Le jeune prodige Damien Chazelle envahit les écrans le 25 janvier avec sa comédie musicale La La Land, starring Ryan Gosling et Emma Stone. Buzz de l’année ?
L’histoire d’amour au centre de La La Land est particulière : elle a lieu entre deux artistes, un pianiste et une actrice, c’est-à-dire des gens vraiment beaucoup plus autocentrés et narcissiques que la moyenne…
C’était tout le challenge. Les Parapluies de Cherbourg m’a beaucoup aidé pour ça : un environnement très spécifique observé au microscope mais qui vous donne l’impression de regarder un gigantesque conte de fées. J’ai adoré faire ça, observer le mode de vie des branchés californiens de 2016 et le retapisser d’une imagerie spectaculaire. D’un point de vue théorique, c’est l’idée qui m’a le plus passionné. Ces personnages-là, cette histoire-là, ce décor-là, vous auriez pu tout aussi bien les filmer en 16 mm noir et blanc, caméra épaule. Comme le disait Ryan Gosling après avoir lu le script : « Au fond, c’est simplement un drame dans un deux-pièces-cuisine, ton film »…
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Ah ah ah, et il avait raison : la scène la plus mémorable de La La Land se situe précisément dans un deux-pièces-cuisine.
Vous parlez du moment où il se disputent pendant leur dîner ?
Exactement : un champ-contrechamp tout simple, qui laisse le souffle court et les yeux embrumés.
Oui, c’est le numéro musical du film où il n’y a pas de musique ! Comme je vous le disais au début de notre entretien, je raisonnais essentiellement sur ce film en termes de set-pieces, cette séquence était le climax de toute la structure dramatique. Il fallait qu’elle dénote dans le look général du film : à cet instant, plus question que la caméra parte dans tous les sens, en roue libre. On entre dans une autre mélodie. Je stoppe la machinerie, je ne bouge plus et je regarde les acteurs. Pas de mouvement, tout est figé, tout est un peu plus long, ça dure 7 minutes, c’est la scène la plus longue, elle est même exagérément longue, et tout d’un coup ça dénote.
On sent que vous aimez « offrir » des scènes aux acteurs. Je pense à cette séquence où Emma Stone passe une audition et se fait déranger impoliment alors qu’elle semblait emportée par sa performance… C’est un moment bouleversant qui ne repose que sur le jeu de l’actrice.
Oh, merci de l’avoir remarqué… J’adorerais pouvoir dire que c’est mon talent de directeur d’acteur qui fait de cette scène ce qu’elle est, mais honnêtement j’ai juste laissé Emma faire, et elle m’a laissé la gorge nouée. L’idée de cette scène m’a été soufflée par Ryan : pendant un casting, alors qu’il était en train de tout donner, un téléphone sonne dans la pièce et le mec en face de lui répond nonchalamment. À notre manière, on a tous vécu ça : un moment qu’on vit comme un don de soi total, et la personne en face qui nous regarde de manière détachée. Ça peut t’arriver avec ton boss, ta copine, ta famille… Ça raconte juste le moment où l’on se vit comme un incompris.
J’ai l’impression que, comme Whiplash, La La Land parle de vous, en tant que réalisateur, à un instant T de votre vie.
Si vous voulez, mais il va falloir m’expliquer.
Le héros de Whiplash était un laborieux qui s’accrochait pour montrer son talent ; celui de La La Land a plus confiance en lui, il fait tout reposer sur sa virtuosité et son charme.
Ah ah, c’est assez marrant, c’est probable. Vous savez, au tout début du projet, je me disais que le héros de La La Land, c’était celui de Whiplash avec quelques années de plus. L’histoire du mec qui a appris et qui veut désormais devenir quelqu’un. Si on regarde les deux films à la suite, cette idée fonctionne…
Ça serait le « Chazelle Cinematic Universe », comme avec les films Marvel ?
Voilà, exactement. De toutes façons, les deux films sont très proches, ils parlent de ce qui m’obsède le plus au monde : qu’est-ce qui fait de toi un artiste ? Comment tu en fais un mode de vie ? Qu’est-ce qui compte le plus, la théorie ou la pratique ? Ça parle du « up and down » perpétuel de la pratique artistique : se sentir seul, se sentir successful, se sentir doué, se sentir nul.
Bon, là j’imagine que vous vous sentez plutôt « up » : le lm est adoré partout où il est montré…
Je souffle un peu, oui. Bon, pour l’instant le film n’est sorti dans aucun pays donc je ne veux pas trop m’emballer non plus… L’angoisse quand tu fais un musical, c’est que ça passe ou ça casse, surtout quand tu viens chercher l’émotion. C’est un genre blindé de chausse-trappes et de pièges mortels : j’étais beaucoup plus tranquille les premières fois où je montrais Whiplash, je savais qu’on pouvait trouver le film loupé, mais pas risible. Là c’était le risque : tout foutre en l’air. Les premiers retours sur La La Land m’ont rendu tellement heureux, ça m’a même dépassé, je ne sais pas quoi vous dire de plus. Actuellement je me sens moi-même comme un personnage de comédie musicale : j’ai envie de faire des claquettes et de me mettre à chanter.
La La Land, en salles le 25 janvier
Entretien FRANÇOIS GRELET