Déjà très à la mode, Eddy de Pretto sera la mascotte de 2018. Vous voulez réussir dans la chanson ? Cochez comme lui toutes les cases du culturellement correct contemporain !
1-Soyer un freak consensuel
Souvenez-vous de Christophe Willem. En 2007, la tortue rigolote sortait son single « Élu produit de l’année », où était mise en scène sa gloriole passagère : « On a fait de moi un produit vraiment très smart / Je suis le locataire d’une gloire éphémère / Élu produit de l’année, grâce à mon inventivité / Et quand viendra l’inventaire, je serai le produit de l’année dernière. » Derrière ce morceau caustique qui n’a rien perdu de son actualité ? Les fines gâchettes Bertrand Burgalat et Matthias Debureaux. En 2018, la donne n’a pas changé : il faut se composer un personnage, être dans le décalage qui ne dérange pas, à la fois pittoresque et passe-partout. C’est ce que qu’a bien pigé Eddy de Pretto. Il porte la coupe au bol d’un figurant des Visiteurs, joue les loustics perchés. Mais rien n’est laissé au hasard sur son compte Instagram, et Marina Foïs est très gentille avec lui quand ils partagent le plateau de l’émission de Yann Barthès. Vous vous sentez une âme de freak consensuel ? Foncez !
2-Balancez votre porc
Vous avez décidé d’être un produit vraiment très smart qui plaira à l’intelligentsia. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant pour percer. Il faut que vous soyez une victime. Il faut que vous dénonciez haut et fort. Le fascisme ne passera pas ! Reste à savoir quel fascisme. Eddy a trouvé le sien : le patriarcat. Dans son single « Kid », détournement du célèbre poème de Kipling « Tu seras un homme mon fils », Eddy s’en prend à « la virilité abusive » : « Mais moi, mais moi, je joue avec les filles / Mais moi, mais moi, je ne prône pas mon chibre. » Surfant sur la suite de l’affaire Weinstein, il balance son porc : son père, qui a voulu faire de lui un homme, un vrai, « qui joue au ballon ». Qu’Eddy n’ait pas voulu devenir footballeur n’en fait pas un Pasolini postmoderne. En pleine chasse à l’homme, il est un symptôme de l’époque, aligné sur le discours dominant. Vous aussi, faites la gueule, inventez-vous un antifascisme d’opérette et martelez-le comme argument d’autorité promotionnel.
3-Mélangez Brel et rap
On voudrait nous faire croire qu’Eddy a inventé le fil à couper le beurre avec son hybridation entre rap et chanson française. Stromae ne faisait-il pas pareil ? Comme Stromae, Eddy cite Brel parmi ses idoles, Barbara étant également évoquée. Mais pour être moderne, un locataire de gloire éphémère doit allonger la sauce avec une production hip-hop, comme Eddy s’en explique : « J’avais l’envie, depuis le début de ce projet, de faire bouncer mes titres, de les rendre rythmés et plus urbains en cherchant un groove… » Ne voulant pas sonner comme Vincent Delerm, le blanc-bec a engagé Kyu Steed & Haze, des producteurs ayant précédemment cachetonné chez Booba et PNL. Christine & the Queens avait fait un duo avec Booba ; Tim Dup, Hyacinthe ou Aloïse Sauvage font aussi dans ce « métissage rafraîchissant » (Libération). Aujourd’hui, quelqu’un qui n’aime pas le rap, c’est quelqu’un qui dérape. Alors s’il vous plaît, ne soyez pas réac : travaillez donc votre crédibilité jeunesse et quartiers.
4-Soyez faussement indé
Eddy avait sorti un premier EP il y a deux ans. Honteux, il en a fait disparaître toutes les traces sur la toile pour se refaire une virginité. Derrière les poses de branleur, musique et image, tout est calculé. Il bosse avec Flavie Jaubert, la jeune manageuse qui monte, responsable ces trois dernières années du lancement des carrières de Christine & the Queens et Juliette Armanet. Il est par ailleurs signé chez Initial, filiale d’Universal. Eddy dans Tsugi : « Initial, c’est une toute petite famille, on doit être quatre ou cinq, avec un fonctionnement très indé. Je suis dans tous les mails, dans chaque discussion, que ça concerne la promo, la comm’, les visuels… C’est assez agréable, et c’est ce qui m’a plu. Je ne ressens pas les gros muscles d’Olivier Nusse (le patron d’Universal, ndlr), de Vivendi ou de Bolloré. » Des promos comme la sienne, personne ne l’a dans le circuit indé, hein ! Faites comme Eddy : jouez à la petite chose fragile, avec derrière vous le soutien d’une major mammouth.
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5-Bref, soyez une synthèse
Eddy de Pretto, chanteur vendu comme singulier, est en vérité un turfiste frileux qui rejoue les tiercés gagnants de la veille et de l’avant-veille. Le dosage de son esthétique est calibré pour plaire aux médias de bon goût : un quart de Stromae, un quart de Christine & the Queens, un quart d’Édouard Louis, un quart de PNL. Un parfait quatre-quarts, s’enflammeront les pâtissiers du dimanche. Une « synthèse », rétorquerait Michel Audiard. On n’attend plus que le duo avec Julien Doré ou Nekfeu, la chorégraphie top dingue avec Christine, Camille ou Philippe Katerine. Si vous voulez chiper la place d’Eddy, vous savez ce qu’il vous reste à faire : engagez un imprésario puissant et des producteurs dans le coup, radotez que vous avez été trop longtemps brimé, démoulez une variété chic qui ne fera pas de vagues sur Facebook, pensez à un texte de remerciements en écriture inclusive qui fera son petit effet aux prochaines Victoires de la Musique. Emballé, c’est pesé. Bonne route vers le succès !
LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD