Cela fera bientôt un demi-siècle qu’il est le maître l’électro à la française. Eternellement fringuant, il continue d’avancer, de se remettre en question, d’innover. Les Gafa vont-ils finir par avoir le dessus ? Pas tant qu’il y aura Jean-Michel Jarre. Qui a toujours un coup d’avance.
Technikart : La jeunesse ne s’englue-t-elle pas de plus en plus dans les réseaux sociaux ?
J-M.J : On n’est qu’à l’aube de l’ère numérique. Le XXIème commence maintenant. Internet, c’est encore le Far West. Le problème, c’est que la Silicon Valley est au Far West, ce qui pose certains problèmes au niveau des droits d’auteur… Mais je suis confiant : si Facebook n’évolue pas, il peut connaître la même chute que MySpace. Il y a un rejet, aujourd’hui. J’ai vu qu’en Angleterre, Facebook n’est plus classé dans les dix réseaux sociaux les plus fréquentés. Google aussi doit faire attention : ce sont des monstres, mais ils sont très fragiles. En tant que président de la CISAC (Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et de Compositeurs – ndlr), je me suis beaucoup battu au Parlement européen pour qu’ils reconnaissent que YouTube est une plateforme de musique et non de stockage, et pour que les artistes puissent donc entrer en négociation, comme on le fait avec Spotify ou Deezer. Il y a une forme d’évolution, de prise de conscience globale.
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Tu ne crains pas de t’attaquer à plus fort que toi ?
J-M.J : C’est vrai que Google et les GAFA en général ont des lobbies hyper puissants pour contrer la réglementation. 40 000 mails ont été envoyés au Parlement européen avant que le projet de loi ne soit discuté. Le Parlement européen s’est prononcé positivement mais ça doit être entériné en janvier et là, il y a une incroyable poussée des lobbies pour empêcher de faire passer cette loi qui doit faire reconnaître qu’un auteur, un créateur, doit pouvoir avoir une rémunération juste. Si on tient bon, ça aura un effet en Afrique, en Chine, partout… Toutes ces plateformes vivent de notre contenu – dans un smartphone, la partie smart vient des artistes. De ce gâteau digital, une part doit revenir aux auteurs. Ça ne changera pas la vie des grosses entités ! Dire comme les GAFA que les artistes qui se battent pour le droit d’auteur sont contre le progrès, c’est proprement scandaleux : c’est un peu comme si au début de l’automobile on avait voulu interdire le code de la route au nom de la liberté de circulation. Internet a grossi de manière désordonnée mais les choses vont se calmer, les GAFA seront bien obligés de rentrer dans le rang.
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On sent chez toi une angoisse dans notre rapport à la technologie…
J-M.J : Aujourd’hui, il y a énormément de gens qui passent plus de temps à regarder leur tablette et leur smartphone que leur propre partenaire ou leur propre famille. Mais ces outils nous observent aussi, pour apprendre de nous, mieux nous vendre des produits… Récemment, des Américains ont mis deux Google Home face-à-face pendant quatre jours et les ont fait parler. Ça devient délirant : les robots ne se comprennent pas vraiment mais finissent par s’apprivoiser et se connaître. Et au bout de trois jours, ils commencent à avoir un dialogue ! Ce qui est assez effrayant, d’une certaine manière… Je voulais me servir de ça comme source d’inspiration. Je suis convaincu qu’on ne pourra survivre au XXIème siècle que si on arrive à cohabiter en bonne intelligence avec l’environnement et les nouvelles technologies – deux paramètres qui sont plus interdépendants qu’on ne pourrait le penser.
Entretien par Louis-Henri de La Rochefoucault