Hiver 2002. Katarina est une prostituée qui officie entre l’Allemagne et la Pologne. Pendant une journée , Guillaume Decamme l’a suivie dans son dur labeur. Voyage au pays des michetons qui ont froid aux mains, pas aux yeux.
Katarina
11h20 Katarina est de méchante humeur. Elle n’a dormi que quatre heures. Elle a mal aux cuisses et sa mère l’a réveillée en démarrant le tracteur. Une aspirine, une bise à son père paraplégique et elle s’échappe de la ferme familiale pour le bistrot de Slubice, gros bourg voisin à la frontière allemande. On se croirait dans «la Vie de Jésus» remakée par Lech Walesa.
12h45 Au Dublin, un pub tenu par un Moldave, Katarina retrouve Tadeusz, son mac, à peine 25 ans. Il a des airs d’Al Pacino de province avec son simili-Boss et ses deux portables. Je me fais passer pour le correspondant français du frère de Katarina. Il s’en fout et se concentre sur son sandwich au thon pendant que Katarina lui remet 50% des 125 euros de recette de la veille.
13h40 Katarina fait les vitrines de Slubice avec Tadeusz et son pittbull. Elle raconte dans son allemand parfait qu’elle voulait devenir danseuse à Varsovie mais, qu’«une fille de 20 ans à Slubice, soit elle se marie, soit elle est pute. Mes parents pensent que je fais une école de dactylo.» Tadeusz, visiblement grand seigneur de la ville, obtient 30% de remise dans tous les magasins.
Tadeusz
15h50 Katarina part travailler au bord de l’autoroute qui relie Berlin à Varsovie. La frontière entre l’Allemagne et la Pologne est très contrôlée, surtout depuis que la Pologne veut entrer dans l’Union Européenne. «Avant, nous étions quatre filles au kilomètre, maintenant je suis seule sur trois kilomètres. Les autres sont dans des bordels ou en Allemagne. Je reste ici pour ma famille.» En fait, Tadeusz l’enverrait six pieds sous terre si elle voulait mettre les bouts.
16h35 Le premier client est un Ukrainien, Pavel: «Je suis un habitué, Kati me fait 50% de ristourne.» Il poireaute depuis deux jours avec son chargement de bois précieux qu’il doit livrer à Brême : «Les Polonais sont des bougnoules, ils nous font attendre trois jours pour passer la frontière.» Au bout d’une heure, il en a fini avec Kati. A 40 DM la passe, il est content du rapport qualité-prix et veut se faire photographier avec son pote Louri devant son camion.
Anabel
17h45 Trois chauffeurs-routiers plus tard, Katarina en a marre. Elle me demande de l’accompagner dans le bordel Anabel, «un établissement avec des filles soignées» où elle travaille pour arrondir ses fins de mois. Tadeusz ferme les yeux contre un pourcentage. Le patron du tripot est mal embouché et les Mercedes garées devant son établissement le font ressembler à un repaire de la pègre. Je décide d’attendre Katarina en éclusant au Dublin.
19h30 Deux Allemands imbibés de vodka frelatée ont demandé à Katarina «la totale», c’est-à-dire un mini-gang-bang sans capote. Elle a refusé. «Je travaille toujours avec des préservatifs. Enfin, presque…», confie-t-elle. On n’en saura pas plus. Elle ne boit pas, elle fume comme une tarée et m’a déjà allégé de deux paquets de Gauloises blondes. Direction le deuxième bordel, Michèle, «un établissement raffiné», comme c’est écrit sur la pancarte. On veut bien, mais c’est plutôt vide, vue l’heure. Sascha, le tenancier, est cool. Il me prend pour un client, m’offre des coups et veut absolument que je monte avec Iliona, une jolie brune de 22 ans. A 50 €, je préfère remonter dans la voiture.
22h00 Katarina ressort avec un mal de crâne insidieux. Elle veut manger chez Mc Do, de l’autre côté de l’Oder, en Allemagne. Au poste frontière, illuminé comme en plein-jour, Katarina rencontre son cousin douanier. Il veut savoir qui je suis. En parlant de la famille et de son père paraplégique, Katarina l’amadoue et il nous laisse passer. Le Mc Do de Francfort-sur-l’Oder est squatté par des Polonais, attirés par l’énorme «M» jaune visible du côté polonais. Un Happy Meal leur coûte une journée de salaire.
23h30 Morte de fatigue, Kati rentre chez ses parents en taxi. «Pourtant, samedi soir est le meilleur moment de la semaine avec tous les Teutons en rut dans les rues de Slubice», lui fais-je remarquer. Choquée par mon ignorance, elle me fait la bise en ajoutant: « Demain je me lève à 8h00, je chante dans la chorale paroissiale.»
Guillaume Decamme