Malgré les frustrés du slip et les michetonneuses à la recherche de sugar daddy, Tinder est devenu le plus grand conseiller matrimonial next-gen. Rassurant ? Réponses avec Judith Duportail, enquêtrice du swipe, auteure de L’Amour sous algorithme (2019).
Automne 2016. Je débarque à Lille pour mes études de journalisme. Un vendredi soir de déprime, je télécharge Tinder. Parmi les 240 000 Lillois, il y aura bien quelqu’un, non ? L’inscription se fait en deux clics. Un nom, une date de naissance, un parcours professionnel et quelques photos, passant par la case « valider nos conditions d’utilisation ». Bien sûr, on doit créer aussi son périmètre de recherche. « Vous êtes intéressé par Homme ? Femme ? Les deux ? », « distance ? ». La jauge allant de 2 à 160 kilomètres. Tu swipes à gauche, et tu envoies à la corbeille. Tu swipes à droite, et tu ajoutes au panier.
Après avoir swipé à tire-larigot des visages inconnus accompagnant des bios qui jouaient principalement sur l’humour maladroit, je match avec Gabrielle. La conversation débute. On essaye d’en apprendre l’un sur l’autre tout en restant dans un jeu de séduction. Jusqu’au moment crucial : « Tu fais quoi ce soir ? Ça te dit d’aller prendre un verre ? ». Elle est étudiante en journalisme, drôle de coïncidence. Et, encore plus bluffant, elle vient de La Rochelle, ville proche de ma ville natale, Poitiers. Nos deux jeunes âmes de poitevin et rochellais en peine d’amour étaient-elles destinées à se rencontrer autour d’un beffroi lillois ? Ou l’application a-t-elle quelque chose à voir là dedans ?
Avec plus de 60 millions d’inscrits à travers le monde, Tinder est devenu l’application la plus rentable de l’Apple Store, devant Netflix et Candy Crush. Chaque jour, on compte 45 millions de swipes en France. Idéal pour un pays qui compte, selon un sondage Axciom, 40,6% de célibataires. Mais Tinder a une face cachée. C’est en tout cas ce que la journaliste Judith Duportail a découvert. Après une rupture, elle s’est inscrite à la fois dans une salle de sport et sur l’application : « C’est en apprenant un matin qu’on est tous notés secrètement sur notre désirabilité que j’ai voulu en savoir plus » raconte-t-elle. Pour ce faire, l’application a mis en place le EloScore. « C’est un système très sophistiqué. C’est une cote inspirée par les joueurs d’échec. Sur Tinder, quand on est matché contre une personne attirante, on gagne des points. Mais Tinder se refuse de donner le score. Pour ma part, mon profi était en moyenne liké une fois sur deux ».
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RAPPORTS DE FORCES TRADITIONNELS
Nos histoires d’amours sont-elles désormais contrôlées, dirigées, voire « algorithmées » par les géants de la Silicon Valley ? Tinder est lié à un brevet qui classe les gens en fonction de leur revenus, de leur âge et de leur façon de s’exprimer. En gros, les beaux avec les beaux, les moches avec les moches, pour peu qu’ils aient quelques points en communs. « C’est à la fois poétique et terrifiant. Tinder se réserve le droit de vous mettre en contact avec des gens qui sont nés le même jour que vous, qui ont les mêmes initiales que vous ou qui aiment les mêmes choses que vous. Dans une histoire d’amour, on est sensible à ce genre de détails ». Le souci majeur, c’est que l’algorithme n’est pas si égalitaire que ça. Un homme plus âgé, plus diplômé et plus riche sera avantagé, tandis qu’une femme offrant les mêmes critères aura des points malus.
Sous couvert de nouvelles technologies, l’appli Tinder ne ferait-elle que véhiculer les schémas classiques, les stéréotypes et les rapports de force traditionnels autour de l’argent et de la domination masculine ? « Si on voulait révolutionner l’amour, il faudrait créer des applications de rencontre avec davantage de transparence et pourquoi pas, réfléchir à un algorithme féministe. Mais un algorithme neutre, ça n’existe pas. Être neutre c’est être du côté de la domination ». Pendant ma période active sur l’application qui a généré 810 millions de dollars cette année, j’ai rencontré des coups d’un soir. J’ai connu autant de belles rencontres que de « dates » où le silence régnait. Certaines sont devenues des amis, d’autres des oublies. L’amour a été une fois au rendez-vous. C’était avec Gabrielle.