L’Homme pressé

Philippe Zdar Technikart

On a appris cette nuit la mort accidentelle de Philippe Zdar, à 52 ans. Cultivé et généreux, ce pionnier de la French Touch était un esthète vivant à cent à l’heure.

 Philippe Zdar (1967-2019) 


Serge Gainsbourg avait surnommé
« l’excité du bocal » ce jeune ingénieur du son originaire d’Aix-les-Bains, monté à Paris à la fin des années 80. Quelques années plus tard, Philippe Cerboneschi devient Philippe Zdar.

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Dans les années 90, il se démultiplie. Fan de techno, il écume les raves avec Etienne de Crécy. Ensemble, ils montent le duo Motorbass, dont l’album Pansoul (1996) reste la pierre angulaire de la house à la française. Parallèlement, grand amateur de rap, Zdar bosse avec Hubert « Boom Bass » Blanc-Francard. Les deux amis font leurs armes en hommes de l’ombre de MC Solaar – réécoutez le titre « Obsolète », dont la production, signée Zdar, avait vivement impressionné Thomas Bangalter en 1994. Repéré par James Lavelle, patron du label Mo’Wax, le tandem Boom Bass/Zdar sort ses premiers maxis sous le nom de La Funk Mob. Vite, il se rebaptise Cassius. La suite de l’histoire est connue.

Entre 1999 et aujourd’hui, Cassius aura connu de nombreux hauts et quelques bas (l’échec de l’album Au rêve). Après le carton du Wolfgang Amadeus Phoenix de Phoenix en 2009, superbement produit par ses soins, Zdar aura surtout travaillé pour les autres, assurant la réalisation d’albums de Cat Power, Beastie Boys, Franz Ferdinand…

Dans son incroyable studio de la rue de Martyrs, il était toujours fidèle à lui-même, monté sur ressorts, accueillant et bondissant. Il ne répondait jamais non à une demande d’interview, et prodiguait encouragements et conseils aux apprentis producteurs et ingés son qu’il recevait sans compter son temps. Avec lui, c’était tout ou rien. Laurent Brancowitz de Phoenix se souvient qu’après une journée d’enregistrement il était effondré ou débouchait le champagne, il n’y avait pas de demi-mesure. De la même façon, il n’épargnait pas, vivait au jour le jour, flambait volontiers – Pedro Winter raconte qu’un jour, chez un disquaire à Chicago, il l’avait vu les mains pleines de vinyles claquer 2 000 dollars d’un coup.

Gastronome et bon vivant, il adorait Ibiza, où il loua pendant six ans une maison à l’année. Grand lecteur, il était intarissable sur L’Homme pressé de Paul Morand, dont il aurait pu être le héros.

Y a-t-il quelque chose que cet amoureux de la vie n’appréciait pas ? Oui : la chanson bobo, qu’il qualifiait de « chiasse musicale » faite par des « Gilbert Bécaud jeunes qui parlent de leurs voisines de palier », et contre laquelle il combattait. Avec talent et énergie, de Motorbass à Cassius en passant par ses collaborations avec Gainsbourg, MC Solaar ou Phoenix, Philippe « Zdar » Cerboneschi aura su revivifier la musique d’ici pendant trente ans d’une carrière menée sur les chapeaux de roues. Le destin n’aura pas voulu qu’il continue plus longtemps sa mission. Hélas pour nous, la variété française, elle, court toujours.

Louis-Henri de La Rochefoucauld