La chronique de Violante Segal
Entre tomber amoureuse d’un raciste attentionné et partir à l’autre bout du monde avec un infidèle alcoolique, Violante hésite. L’amour véritable se cache pourtant dans l’un ou dans l’autre.
« Je prends conscience du peu de valeur que tu accordes aux relations sentimentales ». Voilà ce que m’a dit Pierre la semaine dernière, lorsque je lui ai annoncé que je voulais qu’on arrête. À cause de son orientation politique, il avait fini par me trouver méfiante. J’en conclus que partager les mêmes idées que mon mec ne me fait pas « peur ». Ça me rassure même.
Pourtant, une semaine avant, sans trop me mouiller, je lui avais confié que je croyais être sur le point de tomber amoureuse de lui. Lui, il me l’avait déjà dit mais avec toute la délicatesse qui le caractérise : sans aucune pression. Tout ce qu’il avait décidé de faire pour se protéger, c’était d’être lui-même, totalement, c’est-à-dire un beauf qui se lance dans de copieuses diatribes sur la politique migratoire en France, l’Union Européenne et les stigmatisations raciales après quelques pastis. Ce qui avait pour effet, au mieux de m’énerver, au pire de m’effrayer. Ce n’est que dans le cadre de conversations d’oreiller qu’il me rassurait à coup de : « Je suis pas raciste, que les choses soient claires ». Et comme tout un chacun connaît la rareté d’une relation instantanément fluide et tendre, j’avais envie de le croire. Mais voilà, il n’avait pas besoin d’être raciste pour me déplaire, il pouvait simplement tenir à réduire tout le monde à sa religion ou sa nationalité. Raciste peut-être pas, obsessionnel, oui. Mais il fallait bien commencer quelque part. En demandant autour de moi, je n’avais parlé que de ses défauts, ceux-là en l’occurrence, afin de finalement obtenir la réponse que je cherchais. Il faut que ça cesse. Je n’ai jamais précisé qu’il me respectait, me faisait rire, que je me sentais bien avec lui et que j’adorais lui faire l’amour. Et bien que sa remarque sur ma façon de concevoir une relation comme une entreprise m’avait blessée, elle était vraie. L’échec me terrifie, le produire me traumatise.
Selon moi, la plus parfaite des activités qui se rapproche de l’amour, c’est le sexe
Par « amour irrationnel », ma copine Nora est restée vivre à New York parce qu’elle y avait rencontré un barman. Son visa a expiré, le mec l’a trompée et elle s’est mariée avec lui pour obtenir des papiers qui ne viennent toujours pas. Après cinq ans de brillantes études à Paris, elle est devenue serveuse dans un restau, payée au black, et subit les infidélités de son mec, alcoolique et drogué. Elle ne rentre pas, parce que sans papiers, elle risque d’être privée de territoire et elle est trop reconnaissante de l’accueil chaleureux que les États-Unis lui ont offert. Aussi est-elle amoureuse mais tout le monde a oublié pourquoi. Par volonté d’amour rationnel, je ne sors avec personne. J’ai trop de défauts et je vois les défauts des autres en premier. Selon moi, la plus parfaite des activités qui se rapproche de l’amour, c’est le sexe. Il y a un début, une fin obligatoire. Il y a de la sensualité et l’envie de plaire à l’autre. Il y a un maximum de désir et un minimum d’orgueil. Une promesse, certes brève mais tenue, d’exclusivité. Il y a de la générosité et, l’espace d’un instant, il me semble qu’il y a de l’amour.
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La carte « relations sexuelles » dans la grande famille des relations sentimentales est-elle uniquement choisie par les plus pragmatiques d’entre nous ? Ou les plus idéalistes ? Les deux catégories se rejoignent là-dessus : trouver l’amour est trop compliqué. Baiser demeure la plus juste des initiatives pour le consommer par perfusion, quitte à ce qu’un raciste refoulé vous prenne pour un faussaire de l’amour.
Violante Segal
Photo Florian Thévenard