La journaliste/autrice derrière les « cosmolistes » de Cosmo revient avec un quatrième roman, Voix d’extinction. Dans cette comédie écolo, Sophie Hénaff imagine des animaux déguisés en hommes plaidant eux-mêmes leur cause… Allô, Brigitte Bardot ?
Dans votre roman, vous imaginez un « Traité de protection de la Nature » adopté par tous les chefs d’États de la planète. Voix d’extinction, c’est un plaidoyer animaliste ?
Sophie Hénaff : C’est une comédie avant tout ! Je le classerai dans un genre spécifique : celui des fables à l’envers. Je ne me sers pas des animaux pour parler des hommes mais des hommes pour parler des animaux.
De plus en plus de partis politiques s’intéressent à la condition animale en ce moment.
Oui, l’urgence devient telle que ça commence à passer le seuil des ultra-spécialisés des végétariens et des mouvements écologistes, ça gagne un peu tout le monde.
Avez-vous ressenti une urgence à écrire cette fable ?
Au départ, je suis vraiment partie de cette idée de comédie en donnant la parole à des animaux. Je me suis toujours dit que si jamais ils nous parlaient, ce ne serait pas forcément pour dire des choses qu’on aimerait entendre. J’ai sauté sur l’occasion pour traiter le sujet de l’urgence écologique qui me touchait et me tenait à cœur. J’ai voulu rendre hommage aux animaux que j’aime depuis toujours.
Et pourquoi avoir choisi la forme de la comédie ?
Les messages, quand il sont assénés, font mal à la tête. Il ne faut pas trop taper sur les consciences, surtout en ce moment où on en prend de tous les côtés… Pour porter un message, le roman est la façon la plus touchante d’embarquer les consciences sans être moralisateur ni culpabilisant. C’est la manière la plus légère de prendre conscience du sujet.
Imaginons que Macron et Biden tombent amoureux de votre roman et décident de faire adopter un Traité de protection de la Nature. Quelles seraient ses trois mesures phares ?
En premier, l’interdiction de l’élevage intensif : on gagnerait beaucoup au niveau du climat et de l’écologie, et puis ça rendrait un grand service aussi bien aux animaux sauvages qu’aux animaux d’élevages. Ensuite, une forme de répression beaucoup plus sévère du braconnage. Il ne faut pas aller en Afrique pour trouver des espèces rares braconnées, on en trouve aussi en Europe… Une autre bonne initiative : la réduction des plastiques et la mise en œuvre d’une vraie politique d’investissement dans les technologies qui permettent de nettoyer les décharges et les océans.
D’où vous est venue l’idée de ces animaux déguisés en humains?
C’est vraiment le fruit d’une réflexion que je me suis faite. J’ai imaginé les animaux parler et je me suis dit que s’ ils avaient le physique d’humain et étaient là en espion, c’était encore plus drôle. Il y a la recette de la comédie et du propos porté en toute sincérité . Contrairement à nous, les animaux, eux, sont sincères !
Quel est le rapport entre votre roman et La Ferme des animaux d’Orwell ?
C’est un roman que j’aime beaucoup mais qui, selon moi, illustre en majeure partie le monde des hommes. C’est comme La Fontaine qui utilise le prétexte animal pour incarner des hiérarchies humaines.
Vous êtes journaliste à Cosmopolitan. Comment êtes-vous devenue romancière ?
J’ai toujours lu, et mon envie de romancière vient de mon appétit de lectrice. La plume journalistique me permet de m’exprimer sur des formats plus courts. Ca m’a toujours encouragé car j’avais tout de suite la récompense de mes efforts. Mais il fallait que j’écrive un roman : j’en lisais trop pour ne pas en écrire ! J’attendais la bonne idée pour me lancer, et ça m’est tombé dessus avec mon premier roman Poulets Grillés.
Si moralité il y a, c’est que l’Homme peut agir pour la protection de la nature, à condition d’en tirer profit.
Heureusement, certaines personnes font le bien pour de bonnes raisons. Au sein des écologistes, beaucoup mènent la bataille sur le terrain : leur conscience et leur poésie les poussent à le faire. Et puis, il y a l’organisation des humains à travers l’industrie et la politique qui vont souvent agir pour de mauvaises raisons afin de faire gagner ce collectif. Beaucoup d’industries sont en train de se repeindre en vert, pourquoi pas ! Il faut que les industries y trouvent un intérêt, il n’y a que l’argent et le pouvoir qui font avancer les choses. Si Nestlé décidait un jour de tout faire en bio, ce serait parfait !
Un espoir pour ce livre
Je veux apporter ma pierre à ce changement et à cette bascule importante qui est en train de s’opérer dans la société.
En ce moment, nous sommes en semi-confinement. Comment le vivent les animaux?
D’un côté oui, car pleins d’animaux ont pu retrouver leur liberté de mouvement au niveau de leurs territoires. Mais par exemple, ça a beaucoup nui aux hérissons : qui avaient pris l’habitude de traverser la route tranquillement et qui se sont retrouvés du jour au lendemain avec un flot de voitures… Leur répit aura été de courte durée.
Voix d’extinction (Albin Michel, 368 pages, 19,90 €)
Entretien Laurence Rémila & Adèle Chaumette
Photo : Astrid di Crollalanza