« PLUS C’EST COURT… PLUS C’EST BON ! »

olivier malnuit

Champion de l’apéro-pitch, concepteur des idées éditoriales les plus folles et as d’un editing au cordeau, Olivier Malnuit nous a quittés il y a un peu plus d’un an. Dans cette interview inédite, il partage ses astuces pour une titraille réussie.

Olivier Malnuit, ancien rédacteur en chef de Technikart et directeur de la rédaction de Grand Seigneur, était à nos yeux un maître du titre et des chapeaux, des relances et des angles, de toutes ces petites combines qu’on apprend avec l’expérience et qui transforment un journaliste en magazine-maker. Permettant à partir d’un même papier de faire une bonne ou une mauvaise page, de bien gérer le rapport photo-texte afin qu’on ait immédiatement envie de la lire plutôt que de la passer sans avoir vraiment compris de quoi il était question. 
Sélim Niederhoffer, déjà auteur du Guide du Copywriting (chez Eyrolles), prépare un livre sur l’art de la titraille pour lequel il avait interviewé Olivier quelques mois avant sa disparition, en décembre 2019, à 49 ans seulement.
On raconte souvent l’histoire de Karl Lagerfeld qui, sur un coin de table, avait dessiné l’esprit des collections qu’allaient présenter tous ses concurrents dans la semaine de la mode qui s’ouvrait. Olivier c’était un peu la même chose, mais en matière de titres et de traitement média. Capable sur n’importe quel sujet de trouver les titres qu’auraient choisi Libération ou Le Figaro, Voici ou Jeune et Jolie. Ou d’imiter, avec le ton et tout, un lancement sur M6, France Culture ou sur Radio Paris pendant la Guerre.
Du coup, il avait des emballements, dont nous étions les premiers étonnés, pour des médias comme Infos du monde ou Capital, L’enjeux, Les échos ou Le Point, Le Drudge Report ou Kombini. Nous poussant à lire d’un autre œil des publications dont, la plupart du temps, nous ne partagions ni les idées ni les centres d’intérêt. 
Voilà pourquoi avec son « côté un peu camelot » de bonimenteur de l’info, il était devenu à nos yeux un des « barons du truc », comme il disait. Pour bien démarrer cette année 2021, voici quelques-unes de ses combines préférées… 


Présentation par Jacques Braunstein

 

techno beaufs
Tu es rédacteur en chef adjoint de Technikart et fondateur de Grand Seigneur, le magazine du plaisir à table. Selon toi, quelle part joue un bon titre dans le succès d’un article ?
Olivier Malnuit : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’un titre, c’est une des pièces maîtresses pour un article. C’est un peu comme au théâtre : si on rate son entrée sur scène, la suite tombe à plat. Nous, on est dans un contexte, spécialement dans la presse écrite, où on doit se battre en kiosque sur des histoires de prise en main vitales. Les études ont montré que si un potentiel lecteur et acheteur, en feuilletant rapidement un magazine ne s’arrête pas 2/3 fois, ne marque pas un temps d’arrêt et un temps d’intérêt, le reposera immédiatement. En fait, le temps de cerveau disponible du lecteur est extrêmement court, et son exigence très forte. Donc on doit pouvoir interpeller le plus largement possible et sans ambiguïté. Il faut surprendre les gens. 

Par le titre ?
Oui, il joue un rôle essentiel. Mais un bon titre ne suffit pas. Celui-ci dépend aussi de l’image ; il y a un lien très fort entre le titre et l’image. Donc le titre ne trouve sa force que dans une architecture globale du surtitre, du chapô, des légendes… Les gens ne lisent que les titres au départ. Et en deuxième lecture, ils ne lisent pas l’article mais les légendes. On regarde un peu les images et tout d’un coup on voit les sur-légendes, on ne va pas tout de suite sur le texte. La majorité des lecteurs signifient leur intérêt pour un sujet par ce petit temps d’arrêt et décident d’y revenir plus tard. Le titre et l’editing global sont essentiels. 

L’editing global ?
C’est une petite musique, une alchimie, où les choses doivent se répondre, mais pas se répéter. C’est pour ça que moi je me méfie beaucoup du titre rigolo. C’est un peu l’école Libération, le titre jeu de mots. C’est une très bonne école, mais méfiance méfiance ! 

Pourquoi ?
Le titre, c’est d’abord une idée. Et parfois, il gagne en puissance en étant sobre, tout dépend de l’environnement. S’il y a un procédé mnémotechnique avec un jeu de mots, c’est très bien, mais la force d’un titre, c’est d’abord un message. Une idée qui est forte, et qui va au-delà de l’information et du sujet. Ça impacte le chapô, qui doit exprimer légèrement plus en détail une idée. L’erreur que font beaucoup de journalistes c’est de faire des chapôs qui sont un résumé de l’article. Non, le chapô doit lui aussi vendre une idée. 

« JE SUIS PARTISAN D’UNE INFORMATION HONNÊTE, MAIS PAS D’UN JOURNALISME HONNÊTE. » 

 

La longueur idéale pour un titre ? 
Souvent, sur les couvertures, on se rend compte que par rapport à la maquette, il faut des titres qui ne dépassent pas deux, trois, quatre mots grand maximum. Après, il y a l’école avec des titres très longs, j’aime beaucoup aussi. Mes modèles, c’est soit Le Match des années 1960 où on est vraiment sur un surtitre, un titre, un sous-titre :  toute une architecture de messages qui se répondent. Mais dans nos maquettes actuelles, on est sur des titres très courts. Tu ne vois que ça au départ. Et ce titre te balance une idée, le surtitre te la situe, et le chapô te la présente sur un plateau, disons. 

Tu peux trouver un titre pour n’importe quel article ?
Ce que comprennent mal parfois les graphistes et toute la chaîne de travail dans un journal, c’est qu’un titre, ça ne vaut rien sans son environnement maquette. Donc l’idée « Olivier, envoie le titre avant », alors oui, je peux envoyer toutes sortes de propositions de titre, mais ça ne veut rien dire tant qu’il n’y a pas un parfait mariage avec la maquette. 

Tu commences par le titre ?
Disons que, neuf fois sur dix, avant même d’avoir le sujet, j’ai le titre. Et si tu as le titre, tu as l’angle. Tout le monde ne fait pas ça, mais c’est une technique assez privilégiée par pas mal de rédacteurs en chef dans la presse magazine. Moi qui ne suis pas du tout un bon journaliste de terrain, j’ai toujours tiré mon épingle du jeu parce qu’en réunion, « tac », je balance une connerie, et tout le monde dit : « ah merde c’est ça ! » C’est donc le titre, c’est donc l’angle et c’est déjà en maquette. Mais ça ne vaut pas s’il n’y a pas une anticipation de l’image. C’est aussi le petit privilège du rédac’ chef, c’est pour moi un des plaisirs de la rédaction en chef d’avoir le directeur artistique à côté, vraiment main dans la main, et tu sens tout de suite les trucs comme une recette de cuisine en train d’être exécutée. Tu vois la maquette évoluer, c’est un dialogue. Il y a un niveau de fusion globale entre la mise en scène graphique et l’écriture. 

Et un bon journaliste peut-il être mauvais en titraille ? 
Oui, il y a de très bons journalistes qui font de très bons papiers mais qui n’arrivent pas à titrer. Mais, quand même, ça révèle un truc : qu’ils ne sont pas des storytellers. C’est tout à fait respectable, ce sont des journalistes sérieux qui ne sont pas des camelots, comme moi, de la vente. 

« LA FONCTION PREMIÈRE D’UN TITRE, C’EST QUAND MÊME D’ÊTRE COMPRIS »

 

C’est quoi, la règle dans le monde du journalisme ? Qui titre ? 
La règle, c’est le fameux angle, qui est un truc encore très compliqué pour beaucoup de journalistes. C’est la terreur pour certains, parfois trop honnêtes. Je suis partisan d’une information honnête, mais pas d’un journalisme honnête ! On est là pour amuser et informer les gens, les divertir sur une partie de l’histoire. Donc l’angle, le parti pris et la façon de le dire sont primordiaux. La titraille ne fait pas forcément miracle. 

Comment ça ?
J’essaie d’être vigilant sur moi-même ; j’ai cette capacité à formuler les choses comme ça de façon rigolote et raccourcie, mais attention, la « blagounette » d’editing peut être la pire ennemie d’un article s’il n’y a pas de fond. Parce que le titre, c’est toujours une idée. Une idée qui interpelle, qui est dans l’air. 

Des exemples de bons titreurs ?
Franz-Olivier Giesbert, c’était quand même un putain de titreur sur Le Point, et d’ailleurs depuis qu’il est parti, ils font des couves qui sont moins bien. Giesbert m’avait raconté que l’accroche de couv’, il y pensait jusqu’au dernier moment, et qu’il visait ce qu’il appelait « l’accroche qui frappe entre les yeux ». Celle qui réveille quelque chose auquel tu as pensé, mais dont tu n’as pas encore conscience. Et là, tu achètes. Tout de suite après la présidentielle de 2012, il a fait une couverture avec une photo de Hollande volée : on a l’impression qu’il marche de travers, il y a un coup de vent qui lui barre la mèche à gauche… Il a l’air un peu farfelu, et il titre « Oh… j’avais oublié de vous dire ». Je découvre, c’est ce qui est extraordinaire, que quand tu es Franz-Olivier Giesbert, tu peux titrer avec un truc que le mec n’a pas dit !
François Hollande n’a jamais dit ça, mais cette expression synthétise une espèce de climat du mec élu par défaut : « attention il va y avoir des surprises ». Et ça, c’est fantastique. 

olivier malnuit
L’HOMME AU CHAPEAU_
Olivier photographié par Gilles Petipas


Une fois que tu as ton titre de couv’, tu fais comment ?  
L’autre règle, c’est de tester son titre, une fois en maquette, auprès du plus grand nombre avant. Et de terriblement se méfier de ses propres pulsions. Il ne faut pas s’auto-censurer, mais la fonction première d’un titre c’est quand même d’être compris. Parfois tu crois faire le malin et en fait les gens ne comprennent pas. 

Ça t’est déjà arrivé ? 
Oui ! On a eu un Technikart avec moi en couverture (en avril 2007, ndlr), c’était au moment de la crise des SDF qui dormaient sous des tentes sur le canal Saint-Martin et du mouvement lancé par un comédien politiquement engagé, qui s’appelait Les enfants de Don Quichotte. Cette crise émeut les Français et Emmaüs en profite pour réaliser un sondage qui montre que notre peur numéro un, c’est de tout perdre en quelques jours ou en quelques semaines. Sur cette idée-là, on a monté une espèce d’enquête canular, en faisant croire que j’étais devenu clochard en quelques jours suite à un enchaînement de mauvaises circonstances. Et j’ai vécu en squattant chez les uns et chez les autres pendant 15 jours pour faire le récit d’une expérience humaine qui est très intéressante.


« ÇA NOUS FAISAIT RIRE PARCE QU’ON ÉTAIT À FOND DANS LE ROSÉ. »

 

Et en couverture, ça donnait quoi ?
C’était le clou du spectacle : moi en photo avec mes sacs en plastique bleu, blanc, rouge, ceux qu’on retrouve chez les soldeurs, avec tout mon bordel, paumé dans la rue. Et le titre, c’était : « Et si tout s’arrêtait demain ? », un peu long, mais au moins c’était clair. Et le surtitre, très important: « Plus de boulot, plus de rosé, plus d’appart ». Ça nous faisait rire parce qu’on était à fond dans le rosé. Et puis il y avait encore un sous-titre (c’était trop), « Notre reporter a vécu l’angoisse numéro un des Français… » Le magazine sort, et il y a des gens qui comprennent : « On veut pluS de boulot ! PluS d’appartements ». Incroyable. Après, honnêtement c’était un editing de merde, c’est pas ça un titre ça. « Et si demain… » Trop long ! On a fait beaucoup mieux, franchement. 

Par exemple ? 
Les meilleurs titres de Technikart, c’est « Culture picole » sur une photo d’Amy Winehouse. Voilà, deux mots, tout est dit. Un autre, plus long : « Toujours branleurs, déjà pères ». C’était neuf et fort. Après, t’as les titres cultes qui participent à l’histoire de Technikart : l’ultra-concept « Je bosse donc je jouis », sur l’extase de la vie professionnelle, avec une illustration d’enfants de Mao allant rejoindre l’usine ; le fameux « Cours connard ton patron t’attend » qui est un titre très particulier mais qui a le mérite de la sincérité. C’est vraiment Patrick Williams (rédacteur-en-chef adjoint du magazine à la fin des années 1990, début des années 2000, ndlr) qui a dit ça. Patrick, c’était vraiment les titres slogan, très néo-soixante-huitard.

Tu as parlé d’une certaine longueur à respecter. Tu es plutôt long ou plutôt court dans tes choix de titrailles ? 
Plutôt court ! En fait, si tu veux qu’un « titre concept » vive en couverture, c’est trois mots maximum. Après, il y a aussi une autre technique que j’utilise dans Grand Seigneur, avec des titres très longs. Quand il n’y a pas tant de choses à dire, le titre peut devenir une espèce d’événement graphique à lui tout seul. Pour le grand dossier vin du prochain Grand Seigneur, on a douze pages d’interviews de vignerons et de bouteilles. Pour trouver un semblant d’unité graphique dans ce bordel, on a produit de superbes photos, avec les bouteilles de vin sur une très belle table de bistrot. Et je me suis dit que le meilleur titre, qui va à rebours de ce que je fais d’habitude, ça va être un truc qui décrit exactement la vérité : « Deux tables, 56 bouteilles, pas de chaise… » (Rires.) Dans le chapô, je racontai une histoire plus ou moins bidon comme quoi chez nous, c’est l’apéro permanent, qu’on a fait goûter ces vins, qu’on a tout bu (avec modération, bien sûr) mais que personne ne pouvait s’asseoir. C’est drôle, et c’est volontairement à rallonge. 


Le mot de la fin pour un apprenti journaliste ?
On est dans un contexte d’information hyper-concurrentielle, gratuite et accessible en permanence. Si tu vas proposer de l’information absolument exclusive, okay, mais c’est rarement le cas. Et donc oui, il y a un côté un peu camelot, saltimbanque et théâtrale là-dedans qui est indispensable – tant que c’est au service du fond. 


Entretien Sélim Niederhoffer