Vous n’en pouvez plus de ces soirées qui démarrent à 18 heures à la maison mais, hélas, ne se terminent pas dans la cuisine bellevilloise d’un(e) pote de pote à refaire le monde à cinq heures du mat’ ? Technikart a la solution…
En manque de clubs ? De faire partie d’une foule en sueur ? D’avoir des BPM’s qui vous traversent le corps pour vous faire décoller du sol ? Ne désespérez pas, et rendez-vous à la prochaine Marche des Libertés. Car il s’agit là de l’occasion inattendue, pour nous autres fêtards désoeuvrés, de faire entendre nos revendications tout en renouant avec des délices oubliés. « Le son qui prend aux tripes, l’osmose collective, la danse », énumère Emmanuelle. Samedi 30 janvier, cette cheffe de projet a bravé pluie battante et vent glacial, pour hocher de la tête près des camions sonorisés roulant à l’arrière du cortège lyonnais contre la Loi Sécurité globale. Sans regret. « C’était dingue », résume-t-elle. Voyant dans cette manifestation la « seule fenêtre de tir » pour se retrouver par dizaines et écouter de la hardcore « à ne plus pouvoir s’entendre » sans casquer d’amende, l’ex-raveuse entend bien remettre le couvert dès que possible. Caprice d’une frivole en déficit d’adrénaline ? Non, « un besoin » tranche-t-elle.
Certains pourraient trouver le terme exagéré. Et réduire ces rassemblements techno à un ralliement opportuniste avec, à l’oeuvre, encore et toujours une jeunesse irresponsable – ou pire encore, délinquante. Mais ce serait négliger l’importance de la fête, souligne Laurent-Sébastien Fournier, anthropologue spécialisé dans le loisir. « Évacuer la sphère du divertissement n’est pas un geste anodin », rappelle-t-il. « Les festivités sont primordiales, car elles permettent de supporter le quotidien en faisant office de soupape ». Indispensables exutoires, les pis-aller de teufs sur voie publique, en cette ère-Castex où nos journées sont tristement fonctionnelles, car dépouillées de la magie des « non-essentiels ». Sortie ciné, tournée des bars, pistes de danse… et j’en passe. Parmi ce néant récréatif, les manifestations luisent d’un éclat capiteux. Nos âmes esseulées pourraient-elles y trouver salvation ? Après tout, au Moyen Âge déjà, la protestation est fête. Back in the days, on désapprouvait les seigneurs Gantonnet, Abzac et autres Adalbert d’Ostrevent à coup de descentes musicales dans les rues. Le tout au rythme des « crécelles, tambours et huées », détaille notre anthropologue. Quelques siècles plus tard, la grammaire de la contestation n’a guère changé. Et ça tombe bien. Car ces bastions de la réunion collective licite, elles représentent désormais l’unique solution pour faire la bringue à grande échelle, de nouveau. « Il est naturel que certains se saisissent de l’occasion. Peu importe le contexte, la fête trouve toujours moyen d’affleurer. En ce moment, la convivialité d’un marché devient prétexte pour improviser un concert, le rassemblement contestataire offre aux DJs l’occasion de performer… Tout est valable ! », note le chercheur, peu étonné par l’exode du clubbing, depuis la chaleur moite des boîtes, vers les boulevards des métropoles françaises.
CLUBBEURS EN EXIL
Mais cette migration, si elle témoigne des capacités de résilience innées de la fête, n’a pas eu lieu spontanément. Pour allumer la mèche, il aura fallu un appel à la mobilisation lors de la Marche des libertés du 16 janvier, lancé par le mouvement Culture4Liberty, qui regroupait notamment divers acteurs du monde de la nuit. « L’enjeu politique était triple », explique Antoine Calvino, auteur et directeur artistique du collectif festif Microclimat qui avait répondu présent lors de la manifestation. Premier objectif : protester contre une Loi Sécurité globale aux accents « liberticides ». Ensuite, solliciter « clémence » pour les inculpés de « La Grande Maskarade », une free party organisée lors du réveillon, à Lieuron. Et enfin, réclamer plusieurs protocoles sanitaires dédiés à l’organisation de soirées en plein air, et d’évènements artistiques. « La France est le pays de la culture, oui ou non ? », s’agace ce DJ, en dénonçant le maintien de la fermeture des espaces de loisir. « Pour exprimer notre mécontentement et faire survivre la teuf, notre seule option était de mettre sur pied ces “ manifestives ” ». Un système D qui pourrait perdurer, et prendre de l’ampleur au fil des semaines ? Antoine l’espère sans trop y croire. « Ce qui nous pend au nez, c’est surtout que les autorités préfectorales tuent le mouvement dans l’œuf ». En prenant par exemple des arrêtés interdisant aux véhicules le transport de systèmes sonores, comme ç’a été le cas à Paris, afin d’encadrer le rassemblement du 30 janvier. Sans savoir à l’avance dans quelles conditions, les clubbers en exil devraient se retrouver pour une nouvelle manif’, prévue très prochainement. Toujours dans l’intention de défendre les couleurs de la scène techno, toujours avec l’ambition de créer une liesse salutaire là où on ne l’attendait plus. On se retrouve devant le char ?
Par Antonin Gratien
Photo Thomas Smith