Redonner à votre ciboulot (très) ramollo sa célérité disparue, en l’espace de quelques jours ? Les plus malins diront que c’est impossible. Pas notre chroniqueur, bien décidé à booster son QI…
C’était la semaine dernière. Alors que je m’apprêtais à aller me coucher avec mon copain – un blondinet faussement léger qui pense plus vite qu’il ne court –, je le vis rallumer mon Mac et commencer à jouer aux échecs en ligne. Sur le moment, je me suis dis qu’il devait s’agir d’un effet secondaire lié à une exposition prolongée au Jeu de la dame, la fameuse série Netflix qui a fait de ce « sport » d’intellos un truc cool et trendy. Soit. Sauf qu’en fait, il n’en était rien : mon mec est vraiment un bourrin aux échecs, et ce, depuis apparemment plusieurs années.
Vu qu’il était trois heures du matin, et que mon état intellectuel ressemblait à celui d’un pot de fleur tombé du septième étage, je décidai malgré tout d’aller dormir, après avoir regardé mon copain gagner par trois fois contre l’ordinateur. On avait pourtant passé la même soirée, bu les mêmes machins et dansé sur les mêmes chansons d’Ed Sheeran, devant l’écran du salon, sur les coups de minuit. Étais-je déjà en train de me ratatiner mentalement ?
Inquiet de me faire doubler par ce GenZ excessivement contrariant, je me mis dès le lendemain en quête d’un objectif des plus nets : résorber ce fossé intellectuel qui ne convenait pas à mon âme de leader à tendance control freak. Il fallait que je devienne plus intelligent, et vite.
BÊTES À CONCOURS
Je me rappelais les années pas si lointaines où j’enchaînais les exams et les concours, avec d’ailleurs un certain succès, en me rendant compte que je ne serais peut-être plus capable d’intégrer les mêmes écoles, si je devais me coltiner de nouveau toutes les épreuves : maths, philo, commentaire de texte sur douze pages… Entre-temps, mon cerveau s’était ramoli, au gré des coups de pression quotidiens mais aussi des nombreux vices qu’amène à adopter l’horrible « vie d’adulte ».
Mais heureusement, il restait encore une corde à mon arc : mon annuaire téléphonique, qui contenait les noms de pas mal de bêtes à concours avec qui j’avais partagé la douceur d’un écrit de huit heures à la non moins douce Maison des examens d’Arcueil, près de Paris. « Tu te souviens de ce qu’on prenait, pour nous booster pendant les épreuves ? »
En quelques minutes, et après deux coups de fils passés avec des mecs devenus entre-temps chasseur de têtes ou startupper eco-friendly, tout me revenait : les vitamines B, C, D, à combiner avec la caféine, la théine, l’activité physique, entre des cours de yoga censés réduire un tantinet la névrose avant de repartir au charbon. « Mais y’avait pas aussi une putain de gélule ? Tu sais, le jour où on avait cartonné l’épreuve de culture G. C’était quoi, le nom de la boîte ? »
J’étais en passe de retrouver la clé de l’énigme, l’arche perdue, le sceptre d’Ottokar ! D’un coup, tout me revenait : la Ritaline, très utilisée par les étudiants, mais qui provoquait, y compris chez moi, des crises d’angoisse et des vertiges ; et le Piracétam, aux effets assez limités, et qui rendait irritable, anxieux et développait une sorte d’hypersexualité – moi qui avais déjà tendance à tout centrer autour du coït, je le rayais vite de ma liste. « On avait pas trouvé une autre gélule, sur la fin, pour les épreuves d’admission ? »
« CE JOUR-LÀ, JE ME SENTAIS PLUS AGILE QUE JAMAIS ! »
Un dernier coup de fil à un ami restaura – l’espace d’un instant – l’intégrité de ma mémoire : le Modafinil. Bien sûr ! Comment avais-je pu l’oublier ? Il s’agissait d’un autre nootrope mais dont les études avaient, semble-t-il, démontré une réelle efficacité, sans trop d’effets secondaires indésirables. Un truc utilisé par des pilotes de drones « américains » – donc forcément grave smarts – et qui, tiens tiens, pouvait améliorer les performances des joueurs d’échecs. Comme par hasard ! J’étais sur le point de démasquer mon mec, qui allait vite devoir m’expliquer comment il réussissait systématiquement à gagner « contre l’ordinateur ». Ma place dans le couple serait sans doute rétablie ; l’humiliation n’aurait en réalité jamais eu lieu, et je pourrais reprendre une vie normale, pétrie d’arrogance et d’un certain sentiment de supériorité. J’étais, de toute façon, quelqu’un d’assez détestable.
SOCIAL-LIBÉRAL CRYPTO-QUEER
Quelques heures plus tard, alors que je préparais ma chronique pour une émission sur Sud Radio, je me voyais déjà franchir le Rubicon. Armé de la boîte magique – obtenue en un temps express par des biais inavouables –, je décidai de faire comme Lance Armstrong avec son EPO, comme Sartre avec ses cachets de corydrane, ou comme Claude François avec son quart de verre de Chivas avant chaque concert : me doper. Et comme je reste aussi un maniaque du café – je tournais il y a peu à seize tasses par jour –, j’arrivai dans l’état souhaité au studio du boulevard Kennedy : hystérique.
Ce jour-là, je me sentais, dans mon for intérieur, plus agile que jamais. Rebondissant sur une blague de Philippe Bilger, et anticipant les questions de Philippe Rossi, j’avais l’agréable impression d’être à la foi rapide et profond dans mes interventions, dynamique et réfléchi, vif et subtil. Maniant mon logiciel social-libéral à tendance crypto-queer, je contournais les arguments plutôt droitards des autres avec une souplesse évidente, qui me rappelait mes sessions d’entraînement physique que je faisais lorsque j’étais ado, en parallèle de mes cours de tennis. Le Modafinil fonctionnait !
À peine sorti du studio, et alors que le stimulus commençait à descendre, je grimpai dans le taxi, avec comme objectif de visionner fissa mes prouesses radiophioniques – qui avaient naturellement dû plaire à l’entièreté de la masse des auditeurs. Je sortis mon téléphone de ma poche et commençais à regarder le replay sur YouTube. Et là… « Tout va bien, Monsieur ? – Oui oui, ne vous inquiétez pas. » Je venais de livrer une prestation des plus normales ; ni particulièrement bonne, ni exceptionnellement mauvaise ; une prestation moyenne. Le feu d’artifice médiatique n’avait eu lieu que dans ma tête.
Alors, je repartai piteux chez moi, à une heure trop tardive – en temps de guerre – pour aller chercher un remontant chez Nicolas. La nuit se passa assez mal – le Modafinil provoquait des maux de tête vraiment désagréables, d’autant plus lorsqu’il était combiné à du Poppers et à des bouteilles de bières consommées à jeun. C’est ainsi que je me réveillai à midi le lendemain matin, tout en ayant l’impression de n’avoir pas fermé l’œil. Je décidai donc de mettre en place mon rituel « lendemain de cuite », même s’il s’agissait plutôt, en l’occurrence, de contrôler une descente.
Le programme « smart drugs » laissait soudainement place à la cure healthy la plus risible du moment : jus de carotte, beaucoup d’eau, fromage blanc nature et, pour me réveiller complètement, douche froide – heureusement pour moi, l’été arrivait. Puis joyeusement, mais la tête toujours dans le pâté, je partis courir dans le parc à côté de chez moi, sans la moindre pression. La brise du printemps se frottait à ma gueule, et je sentais – ou pas – les nutriments de mon petit déjeuner commencer à irriguer mon corps en convalescence.
« Ça va chéri ? », me lança mon mec en passant me voir quelques heures plus tard, alors que je venais de perdre une nouvelle partie d’échecs « contre l’ordinateur. » Les vidéos de développement personel-motivation-deep-work-ferme-ta-gueule n’avaient pas franchement réussi à faire de moi un super cerveau. « Putain, mais tu fais comment pour gagner à chaque fois ? – Je t’ai pas dit ? J’en fais en compète depuis cinq ans, c’est pour ça. Pour tout le reste, je suis une quiche. »
Par Tom Connan