De sa ville natale d’Aix-en-Provence aux front-rows des défilés de la fashion-week, la rigolarde et rigoureuse adjointe de Loïc Prigent se retrouve aujourd’hui devant les caméras. Et demain, arbitre des élégances la plus smart de France ?
Lorsqu’il s’agit de parler trajectoires pro, l’un des deux scénarios possibles veut qu’elles s’écrivent en famille. Naturellement, on pense à la musique et aux clans Dutronc et Higelin, voire à la mode avec les Versace ou les Fendi. Chez les Morice, c’est à travers le paternel, Philippe Morice, que tout a commencé : « Papa était assistant-réalisateur pour le cinéma et la télévision. Je suis allée très tôt sur des tournages. À l’âge de huit ans, j’ai décidé de suivre des cours de théâtre, qui m’ont marquée ; j’adorais l’ambiance des coulisses. » Pendant presque dix ans, en parallèle de l’école, Natacha s’éclate sur les planches ; sans pour autant oublier son dada principal : la mode. « Petite, je déguisais mes peluches avec des bouts de tissus… Je n’ai jamais cru que j’allais devenir directrice artistique ou créatrice, mais j’étais fascinée par ce jeu. » Quand on lui demande si elle était une enfant coquette, Natacha raconte ce qu’elle appelle son « premier caprice mode ». Une révélation bien plus qu’une envie subite et passagère : « Ma mère m’avait acheté un jean jaune. Sur le papier, ce pantalon promettait un super beau jaune poussin, magnifique… Quand le truc est arrivé, il ressortait d’une couleur moutarde : immonde ! Je me souviens très bien que je refusais de le porter. C’est le moment où je me suis dit que j’étais relou. On a un œil, peut-être, mais on est relou. »
IDÉE FIXE
Dès son tout premier stage, à 14 ans – toujours grâce au levier familial –, la collégienne intègre une enseigne de luxe, le temps de deux semaines d’observation : « La cousine de ma mère travaillait chez Dior Parfum. Elle m’a trouvé ce taf qui consistait à suivre la personne chargée de la formation des maquilleurs et masseurs officiels Dior. Je passais mes journées au même étage que le pôle marketing, alors j’ai pu voir un peu de tout. » Natacha se fait déjà, à 14 ans, une première idée du milieu et des ficelles qu’il faut tirer pour passer au niveau supérieur.
La suite ? À 17 ans, l’adolescente se retrouve propulsée chez le créateur Pierre Hardy, spécialisé dans la création de souliers de luxe. Là encore, merci papa : « Avant d’être assistant-réalisateur, il a travaillé à l’Opéra de Paris. Pierre Hardy bossait aussi là-bas, il s’occupait de l’inventaire des bijoux. Ils se sont connectés et Pierre lui a proposé que je vienne deux semaines dans son entreprise. » Intégrée au service presse, Natacha passe de l’observation à l’action. Chargée de préparer les sacs shopping, c’est-à-dire de répondre aux demandes des magazines qui veulent organiser des shootings, elle multiplie les aller-retour dans le showroom (la caverne d’Ali baba des fashionistas).
Déterminée, elle rejoint ensuite Sciences Po Lille, motivée par une idée fixe : se spécialiser dans la prod’ de défilés. La tête dans les bouquins (de la socio’ et de la philo de l’art ou de l’esthétisme) et dans les mags (Vogue, Dazed & Confused, i-D, WWD, Madame Figaro), Natacha perfectionne sa culture du milieu.
« LA COUSINE DE MA MÈRE TRAVAILLAIT CHEZ DIOR PARFUMS… »
Pour son ultime répétition, direction Eyesight, une boîte de prod’ parisienne spécialisée dans la production de défilés. Enrôlée en stage comme assistante-chef de projet, Natacha est à la manœuvre pour « toutes les étapes des événements : de la recherche des lieux jusqu’au lancement des mannequins sur le podium ». Elle continue : « C’était vraiment ce que je désirais faire depuis des années. Enfin c’est ce que je croyais… Au bout des six mois, je me suis rendu compte que ce travail se limitait trop à l’aspect exécutif. J’ai réfléchi, et j’ai repensé aux documentaires de Loïc. Ce qui me charmait, ce n’était pas le défilé en soi, mais plutôt de transmettre toute la magie autour de ça. » Il se trouve que la réponse à ses questions n’a qu’un nom, Loïc Prigent. Pendant l’une des Fashion Week sur laquelle elle intervient, ils se croisent, enfin : « Je suis allée le voir et j’ai forcé le destin : “Bonjour, je suis Natacha Morice, j’aimerais faire des documentaires dans la mode, sauf qu’on a un petit problème. Je ne veux le faire qu’avec vous, on fait comment ?” ».
FACE CAM’
Un excès de zèle qui scelle son arrivée chez Deralf, boîte de production de documentaires – en coprod’ avec Bangumi – fondée par Loïc Prigent. Son nouveau mentor croit en elle, bien qu’elle ne « connaisse rien au monde de la télévision ». En six mois, Natacha comble ce vide et apprend à filmer, monter, à raconter une histoire, à créer une rythmique… bref, à faire le trait d’union entre les marques et le public. Une « formation ponctuée (le 60 minutes Les dessins d’Yves Saint Laurent, ou le voyage à Venise pour accompagner Xavier Veilhan pendant la Biennale). Touche-à-tout, influente et dorénavant indispensable, son boss réévalue son poste. En plein été 2017, elle devient sa productrice et Loïc Prigent l’implique de A à Z dans la confection puis la diffusion des documentaires : de la partie éditoriale à la post-production, de l’écriture jusqu’au brief des équipes : tout passe par elle.
Début 2021, c’est la consécration : Natacha passe des coulisses à l’écran. Loïc Prigent décide de fonder un nouveau format face caméra pour sa pupille, Les Codes de la mode. Le principe ? Des vidéos explicatives de dix minutes (des « petites histoires géniales souvent oubliées ») sur les grandes maisons du luxe : pourquoi le Saddle bag de Dior s’appelle ainsi ? D’où vient le monogramme Vuitton ? Le tout mis en ligne sur le compte YouTube de Loïc Prigent. Résultat ? Des millions de vue pour des capsules diffusées directement en digital – faisant de Natacha, œuvrant au milieu d’influenceuses plus ou moins interchangeables, la « passeuse » fashion la plus nécessaire de ces années de transformation vertigineuse pour le secteur.
Par Jacques Simonian
Photo Alexandre Lasnier