« J’ai ce besoin de créer des espaces sans danger pour les femmes, où il n’y a aucune crainte du regard sur leur corps. » Dans ces huis clos, les personnages de Marguerite Piard sont emprunts d’une douceur parfois en proie au noir de la nuit, ou sublimés par une lumière solaire.
« Cela fait des années que je souffre de troubles du sommeil et de cauchemars, exprimant des désirs ou des fantasmes parfois violents. Les peindre me permet de mieux les analyser, de m’apaiser. » Pour sa première exposition personnelle à la galerie Maestria, Marguerite Piard invite le spectateur dans des lieux d’intimité, où naît le trouble entre la réalité et le rêve. Cette tension présente dans son œuvre La nuit de la Mara, raconte la légende de cette figure irréelle venant se poser sur le torse de ses victimes pour leur couper le souffle lors d’affreux cauchemars. Ses personnages enfermés par des murs encore parfumés des sensations du jour, illuminés par des éclairages dramatiques, des huis clos où tout peut arriver, trouvent souvent refuge dans la présence de l’autre. « Ces toiles abritent l’idée de la confidence et du secret. On trouve parfois plus de réponses en nos amis ou nos amours. » Du 15 au 27 mars, vos yeux peuvent aussi se poser sur des caresses, des étreintes capturées, des peaux se mélangeant, des femmes solitaires.
MISE À NUE
Précédemment dans son travail, l’artiste diplômée des Beaux Arts de Paris imaginait des espaces oniriques pour ses femmes, comme Le Rouge originel, symbole de la découverte des premières règles. Regroupant des autoportraits ou portraits de ses amies artistes, la façon de travailler de Marguerite Piard est une manière de rejeter le féminin exposé dans les institutions, souvent peint par des hommes. « En prenant mon corps comme modèle, on ne peut pas me reprocher de sexualiser le nu, de l’objectifier. Je me suis tout de même demandée si, en tant que peintre femme, j’échappais de facto à un certain male gaze, lorsqu’il s’agit d’aborder la sexualité en peinture par exemple, ou de représenter des scènes très intimes. » Pour cette exposition, on retrouve ces espaces hors du temps, rassurants comme adoucis par le soleil ou plus sombres, comme symboles de l’exploration des troubles intérieurs.
Sur la vingtaine de toiles exposées, il y a de nombreux formats miniatures, qui renforcent l’idée d’intimité selon la distance entre le spectateur et l’œuvre. Nous devons parfois nous approcher pour y voir les détails, comme si l’on essayait de voir à travers le judas d’une porte. La majorité sont peintes à l’huile sur du bois parfois enduit de plâtre, ou sculpté en bas relief. On y voit alors des fragments de corps, des dos courbés ne masquant pas les plis de la peau, des bas-ventres mi-cachés mi-dévoilés, des portraits regardant l’ombre de leur silhouette éclairée par le soleil. Lors d’une exposition, une de ses oeuvres a presque été léchée. « C’était un portrait de femme nue, un homme a approché sa langue près d’un téton et a demandé à son ami de le prendre en photo. J’étais sidérée, je n’ai rien su faire. » Marguerite Piard crée des espaces comme peints par le soleil, où le corps et l’esprit sont libres, où les baisers sont protégés, où les peurs se dissipent par la douceur de son regard féminin.
J’ai quelques fois des vivants qui me donnent des insomnies
Marguerite Piard
Galerie Maestria, 7 rue Saint Claude, 75003
Par Mathilde Delli