À 34 ans, le créateur franco-turc fait partie des finalistes de la dixième édition du LVMH Prize. Il nous présente sa vision pour une mode élégante et genderless…
Tu as lancé ta marque en 2019 et aujourd’hui tu te retrouves l’un des neuf finalistes du LVMH Prize 2023. Comment as-tu été repéré ?
Burc Akyol : Je postule tous les ans aux grands prix… L’année dernière, j’ai été lauréat du Fashion Trust Arabia Prize. C’est d’ailleurs grâce à ça que j’ai pu habiller Kendall Jenner ! (Elle a porté sa robe « Pause » au gala LACMA Art + Film en novembre dernier, ndlr). J’ai connecté avec son équipe là-bas.
Quand Kendall Jenner porte la pièce d’un jeune créateur, ça change quoi ?
L’effet immédiat, c’est que tu jumpes de followers et que tu es harcelé de messages ! Lorsque cela est arrivé, je prenais enfin une semaine de vacances après un an de travail. Finalement, j’ai passé quatre jours à répondre à tous les stylistes, les éditeurs, les magazines… Question ventes, nous avons vendu l’équivalent d’un an en un mois via l’e-shop.
Tu connaissais déjà Marni Senofonte, sa styliste ?
Je l’avais rencontrée une première fois lorsque je travaillais pour Esteban Cortázar. J’ai travaillé avec lui pendant cinq ans, de 2014 à 2019, avant de me lancer en solo. Cela a été une bonne école, puisque c’était une start-up : nous allions la gestion du budget et le rêve créatif.
Tu es passé par les plus grandes maisons. En 2008, tu étais chez Dior, période Galliano.
J’étais à la Couture, c’est ce qui ressemble le plus au rêve que l’on se fait du métier, avec toutes les mannequins qui arrivent dans le studio pour les essayages, les toiles incroyables…
Tu as egalement été chez Balenciaga, de fin 2008 à 2009, période Nicolas Ghesquière.
J’y ai fait de l’homme, ce qui demande beaucoup de rigueur, c’est un savoir-faire très précis.
Tu crées enfin ta propre marque en 2019. À l’époque, toute la mode ne jurait que par le streetwear.
Quand je l’ai lancée, c’était un peu une revanche sur le velcro, sur le streetwear. Il n’y avait que ça : des sweat-pants et des sweat-shirts ! J’ai eu très peur pour notre métier, pour la sophistication que j’aime dans un vêtement, je me disais, « mince, je n’ai plus le désir d’acheter, tout est trop normé ». Et moi, j’avais envie d’exceptionnel. Donc j’ai monté ma marque pour faire de l’exceptionnel !
Aujourd’hui, qualifierais-tu une partie de ce que tu crées de street-couture ?
Pratiquement tout ! D’ailleurs, la plupart des gens qui viennent voir les vêtements disent : « C’est de la couture, non ? ». Ça montre à quel point le streetwear est devenu le vêtement de référence : dès que tu proposes quelque chose de plus élaboré, avec une belle matière ou un détail en plus, on le considère comme de la couture.
À quand remonte ta vocation ?
J’avais envie de faire ce métier depuis mes sept ans. Mon père était tailleur à Dreux et son atelier, c’était ma chambre de bébé. Il travaillait depuis la maison, j’ai appris avec lui. Dès mes dix ans, j’achetais les Vogue, mon père m’apprenait à coudre, je faisais des vêtements pour mes sœurs et je regardais les défilés à la télévision. J’étais très fan d’Hedi Slimane, c’était la première fois que la mode homme s’adressait à un physique comme le mien, assez fin. J’ai découvert le désir du vêtement à travers ce qu’il faisait chez Dior. Ce désir où tu te dis « waow, je veux cette pièce », alors que tu n’as pas les références à dix ans. C’est toute la force du vêtement.
Quand tu quittes Dreux pour Paris, c’est pour suivre les cours de la Chambre syndicale de la Mode (aujourd’hui l’Institut français de la mode).
C’était un rêve. L’école ressemblait aux ateliers Chanel, on était rue Saint Roch, à deux pas de la rue Cambon, sous les toits de vieux appartements parisiens, et les profs étaient en blouse blanche. Nous avions l’impression d’être dans des ateliers de haute-couture.
Tu es créateur, et tu gères également la partie business de ta marque. Ce n’est pas trop contraignant de faire les deux ?
Je pense avoir une bonne fibre pour ça, je n’ai pas créé mon entreprise seulement pour le fun, j’ai aussi envie qu’elle soit successful.
Comment travailles-tu ?
Alors, je fabrique d’abord mes samples dans mon atelier à Paris, à partir de matières choisies pour leur qualité et certifiées GOTS (la norme Global Organic Textile Standard, ndlr). J’essaie tous mes vêtements, même les robes, pour avoir un rendu, et réfléchir à comment il peuvent être perfectionnés. Lorsque tu deviens le « wearer », c’est plus simple d’avoir une vision claire. C’est une bonne façon « d’éditer ».
Tu parles de « wearer » et pas de « consumer ».
Oui, c’est avant tout une personne qui porte la pièce. Le consommateur, c’est une étape au-dessus, celle de la loyauté envers une marque. Je le définirais comme quelqu’un qui arrive chez toi et qui va rester.
« LE VÊTEMENT EST UN OBJET, C’EST LA PERSONNE QUI LE PORTE QUI LUI DONNE DU SENS. »
Ta mode est véritablement genderless, il n’y a pas de catégories homme ou femme sur ton site…
L’idée de genrer le vêtement tel qu’on le fait est une notion occidentale très récente, elle date de la société des services. Auparavant, il n’y avait pas l’idée de sexualiser le vêtement. Il y avait des hommes qui portaient des robes et aujourd’hui encore, si une djellaba, ce n’est pas une robe, je ne vois pas ce que c’est ! Je considère donc le vêtement comme un objet, c’est la personne qui le porte qui lui donne du sens : celui-ci aura son genre, son manque de genre ou son indécision.
Il y a quelques années, Virgil Abloh s’est adressé aux finalistes du LVMH Prize en leur disant « en faisant partie de cette sélection, vous avez déjà gagné ». C’est ta façon de voir les choses ?
Absolument. On était 2400 worlwide au début, 22 demi-finalistes, neuf finalistes, on va pouvoir présenter notre travail au monde entier pendant deux jours (avant l’annonce du lauréat le 7 juin, ndlr), le jury est incroyable (pour l’édition 2023, Jonathan Anderson, Maria Grazia Chiuri, Nicolas Ghesquière, Marc Jacobs, Kim Jones, Nigo, Stella McCartney et Silvia Venturini Fendi en font partie, ndlr)… Nous sommes tous admiratifs de ces créateurs. Si nous laissons de côté leur statut et notre jeunesse dans le métier, il s’agit d’une véritable rencontre de passionnés. Cette année, c’est les dix ans du prix, et on sent à quel point ils aiment ce projet chez LVMH, c’est une mission de cœur. En tant que jeune créateur, c’est enthousiasmant de faire partie de cette sélection. Un juré disait « les DA’s de demain sont dans cette pièce », et quand on sait que Demna Gvasalia, Matthew Williams ou encore Virgil Abloh ont tous été finalistes avant nous…
Pas trop de pression ?
Si, mais la pression vient du fait que c’est un moment important, qu’on ne va pas le prendre à la légère. Je veux surtout y aller en étant la « best version of myself » !
Défilé à la PFW le 20 juin.
Par Anaïs Dubois et Laurence Rémila
Photo Benjamin Malcowivz