TORRIDE, SENSUEL ET SANS SUITE… L’ÉTÉ DE TOUS LES DANGERS ?

one night stand été danger

Chaleur. Du bruissement de l’écume au chant des cigales, tout susurre qu’une sulfureuse rencontre vous tend les bras cet été. Reste à savoir comment conclure dans les règles de l’art, à l’heure où les codes du dating, influencés par l’élan féministe, prennent le cap d’une approche plus subtile – sans être moins osée. Besoin de repères ? Suivez nos guides…

Quand on s’aventure dans les méandres de la hookup- culture par 30° à l’ombre, difficile de ne pas tanguer… Ce royaume tout de frissons suaves, et de plaisirs extatiques assimilé, il y a quelques années encore, à une Sodome moderne. Pour peu, ses détracteurs sonnaient les trompettes de l’Apocalypse, en dénonçant l’avènement d’un rapport consumériste – cannibale, presque – à l’égard de partenaires relégués au rang de vulgaires sextoys sur pattes. Mais ça, c’était avant. À mesure que la vieille distinction entre quête d’une galipette fugace (vade retro) et romances pérennes (amen) s’est estompée, l’étreinte d’une nuit – LA grande préoccupation pour un grand nombre d’entre nous dès l’arrivée des premiers jours de l’été – s’est drapée d’atours plus nobles. « C’est un peu l’intrusion de l’extra-ordinaire, venu déchirer le tissu de nos routines », image Robin, un ami célibataire. Formidable sur le papier. Mais dans la pratique ?

Aussi engaillardi soit-il à l’idée d’accueillir au gré d’un nomadisme de cœur (et de slip) ladite « intrusion », notre galant, fraîchement extirpé d’une relation « longue durée », l’avoue sans ambages, à l’orée de ce qu’il espère être son « summer of lust » : « J’ai peur d’être perdu, de ne plus savoir m’y prendre »… C’est qu’en une poignée d’années, les lois régissant l’empire lascif du plan cul ont muté. Au point de nous précipiter vers un inextricable casse-tête, comme s’en inquiètent certain(e)s ?

Que nenni ! Cette nouvelle donne ouvre plutôt l’horizon de « parenthèses enchantées, aux permissivités inédites », rétorque Nawal, serial-dateuse. Une saillie à l’enthousiasme contagieux, qui fait fleurir quelques sourires… Et embrase les bas-ventres.

GOÛT DES ONE-SHOT

Remontons la bobine. Notre hookup-culture démarre avec la légalisation de la pilule contraceptive, en 1967, explique Agnès Giard, anthropologue et autrice de Les 400 culs – chroniques culottées sur les sexualités modernes (La Musardine). « Soudain, les hommes ont pu cultiver des relations sans risquer de devenir père, puis de devoir épouser leurs partenaires. Ce qui a rejeté les prostituées – ainsi que l’homosexualité – hors du circuit de l’initiation sexuelle. Désormais filles et garçons pouvaient explorer leur sexualité ensemble, dès l’adolescence ». Une phase d’expérimentation préconjugale dont le raz-de-marée des sites et applis de rencontre a offert un nouveau cadre, plus intime. « Grâce à cette configuration, la sociologue Marie Bergström a pointé que le date s’est privatisé, en entraînant les tourtereaux hors de leurs cercles de sociabilisation ordinaires ». Au rythme de ces tête-à-tête délestés du regard des pairs, les filles se « désinhibent ». « Le frein que constitue toujours la crainte d’être associé à la « salope » par le collectif saute – et avec lui, la peur de se donner « gratuitement » dès le premier soir ». Conséquence : les filles assument au grand jour un goût des one-shot – en pleine expansion, d’ailleurs – qui avait longtemps été l’apanage du genre masculin. En 2021, 57 % des Français avaient « eu un rapport sexuel avec une personne sans chercher ensuite à la revoir », contre 53 % en 2015. Avec un pic d’accélération côté féminin (+12 points, contre +5 pour les hommes), selon une enquête Ifop. À Nawal, notre vétérane des hook-up d’attester : « Nous avons acquis le droit d’aimer la baise, pour la baise ». En s’émancipant progressivement, au passage, des scripts sexuels vagino-pénétratifs hégémoniques qui avaient – on le parierait – partie liée au fait qu’en 2021, 1/3 des Françaises étaient sexuellement insatisfaites, selon un autre sondage Ifop. Grosso modo, désormais les meufs osent dire : « 1 cm à gauche ta langue, s’il te plaît, plus longtemps, plus fort, encore, encore ». Etc. Et ce, même à un presqu’inconnu.

été danger one night stand
GET A ROOM_
3 h 00 du mat’, au milieu du club. Touché, coulé. On clôt les paupières, histoire de s’abandonner au creux d’un baiser. Le brouhaha des gens autour, la playlist has been du DJ – et surtout, surtout, la rentrée. Dis chérie, on passe à la vitesse supérieure ?

 

RESPECT DU CONSENTEMENT

« Cette réappropriation du désir féminin est l’une des tendances émergentes », confirme Florence Escaravage, autrice des 5 clés pour trouver l’amour (Marabout) et fondatrice du portail Love Intelligence dédié à « l’accompagnement de la vie affective ». « Il y a une libération de la parole et de l’écoute, articulée autour d’un chassé-croisé : les femmes se “masculinisent”, en revendiquant une sexualité affranchie des pudeurs traditionnellement imposées à leur sexe, tandis que les hommes adoptent une posture plus slow, sociologiquement associée au féminin ». Le fruit d’un intérêt partagé pour « le féminisme, et la déconstruction ». Mais aussi un effet « gueule de bois », conséquence d’une overdose d’applications aux retombées parfois brutales. Ghosting, éjection après usage… « On a compris qu’à force de se précipiter, on s’égratigne », résume notre experte, en augurant dans la foulée le retour en force d’un « romantisme moderne » qui prendra, notamment, la forme d’une « drague de plaisir, moins brutale, plus élaborée » avec pour théâtre « le bureau, la rue… N’importe où, du moment que chacun veille au poids qu’il fait peser sur ses avances », suggère Florence Escaravage, en touchant du doigt l’incontournable nouveau b.a.-ba du dating : le respect du consentement.

Un enjeu d’une actualité criante, notamment auprès des lieux de célébration que la jeunesse fréquente, en cette période estivale. « Environ 60 % des femmes ont déjà été victimes d’harcèlement ou d’agression dans ces espaces, qu’il s’agisse de bars, festivals ou clubs », déplore Safiatou Mendy, coordinatrice de l’association Consentis œuvrant pour la prévention contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif. « Dans ces lieux de désinhibition, il y a une confusion entre agressions sexuelles et drague, parce que le consentement est perçu comme flou ». La fameuse « zone grise ». Une formule épineuse, dont il y a urgence à se débarrasser car elle « laisse planer un doute déculpabilisant pour les agresseurs, en supposant que les choses sont fatalement compliquées – et donc opaques – là où elles ne sont que complexes ». Selon notre interlocutrice, pour qu’un consentement vaille, il faut qu’il soit enthousiaste (actif), réversible, spécifique (partager un verre n’équivaut pas à accepter une fellation), libre et éclairé (sans pression externe), ainsi qu’informé (concernant les IST, notamment). À ces conditions seulement, un « oui est un oui ».

 

ÉROTISER L’ACCORD

Face à ces exigences impulsées, notamment, par le mouvement #MeToo, il n’est pas rare d’entendre des râles affligés, fustigeant un « formalisme » qui œuvrerait en sinistre tue-l’amour. À croire que communiquer sur le consentement serait nécessairement fossoyeur de désir. « Cette vision très « rabat-joie » est véhiculée tant par le porn mainstream que par la pop culture, qui suggèrent que l’élan érotique « authentique » doit être spontané, s’il veut être passionnel », pointe la sexologue Lucie Groussin. Je te vois, tu me vois, on grimpe aux rideaux – sauf que non. « Dans la réalité, pour que tout le monde se réveille heureux le lendemain, il faut quelques précautions ». Mais alors quoi ? Mettre en place un consentement contractuel, comme le propose l’application Yes-Means-Yes ? « Piège plus insidieux, tu meurs », balaie d’un revers de main la thérapeute, pour qui cette perspective « amplifierait le problème en rendant quasiment impossible, durant l’acte notamment, la révocabilité des termes sur lesquelles les partis s’étaient préalablement « engagés » ».

Pour éviter cette voie légaliste aux accents blackmirroriens, une autre piste existe. Aïcha, par exemple, se souvient encore : « Au terme de notre premier rendez-vous, mon date m’a demandé avec les yeux s’il pouvait m’embrasser. C’était du jamais vu. Quelque chose de doux, de grisant ». La preuve par l’anecdote que demander l’autorisation n’équivaut pas à casser l’ambiance. « Quelqu’un s’enquiert du bien-être de l’autre, et ça fait des étincelles », commente avec entrain Lucie Groussin. « Pour se sécuriser avant un plan cul, certains conviennent d’un safe word permettant de mettre fin aux ébats. Beaucoup d’approches sont envisageables – mais il faut garder en tête que le consentement n’est pas forcément plombant. Il peut se muer en lever érotique. Qu’on songe à l’effet produit par cette question : comment veux-tu que je te traite ? ».Esclave impudique, maîtresse inflexible, roi capricieux… Tout est propice aux scénarios enfiévrés. « Non seulement la verbalisation de l’accord peut s’inscrire dans le jeu sensuel, mais veiller au consentement continu du partenaire, grâce à l’étude de son langage corporel, permet d’explorer ses zones érogènes, par-delà les 2 cm² de peau habituels – voire de découvrir des penchants personnels jusqu’alors insoupçonnés ». Bref, prendre soin de l’entente entre partenaires, c’est aussi emprunter la voie royale pour avancer, caresse après caresse, vers « l’état orgasmique ».

QUE CALOR_
6 h 15, le jour se lève. On fait valser les langues, et tant pis pour le lipstick en bataille. Le fruit des amours volages se dévore à pleine bouche, ou pas du tout.

 

FRISSON DE LA NOUVEAUTÉ

Sinbad ne peut qu’approuver. Celui qui goûte avec gourmandise aux délices de la sexualité teintée BDSM explore ces noirs rivages en adoptant la politique sécurisante de « l’écoute suivie ». « Serrer la gorge, bander les yeux, attacher les mains – à chaque étape, il y a un check qui va du « comment tu te sens ? » jusqu’au débrief post-sexe », pose celui qui, en s’éloignant d’une sexualité non-communicative, s’estime « gagnant sur tous les tableaux ». En date, côté face : frisson de la nouveauté, au moment de découvrir un corps aux courbes et ravissements inconnus. Côté pile : l’esquive des scénarios « cryptés et souvent déceptifs, parce que trop conventionnels » du plan cul.

La méthode ? Une discussion décomplexée sur les attentes respectives, avant de se glisser vers l’intimité duveteuse de la chambre à coucher. Dans ce kinky boy causeur, contre-modèle du queutard donjuanesque sans foi ni loi, Agnès Giard voit la crème « de la séduction contemporaine ». Aux foules d’hommes qui hurlent à la Lune, en loups blessés, que la drague est morte parce qu’on n’aurait « plus le droit de rien faire », notre anthropologue rétorque : « vous avez une vue bien courte ». « Les enjôleurs de demain seront ceux qui trouveront le courage, et l’ingéniosité, d’engager un échange franc sur les desiderata de chacun sans désamorcer la magie, forcément alimentée par une part d’énigme, de la rencontre ». La maestria du flirt futur se jouerait dans ce tour de force: cultiver le parfum capiteux de l’aventure, tout en jouant cartes sur table. Ni Lovelace cynique, ni Casanova crâneur. Honnêtes, simplement. Prêt(e)s à relever le challenge ?

 

Par Antonin Gratien
Photos Romin Favre