L’excentrique allemand était mort en 1983 : il réapparaît en 2023 grâce à des rééditions et à un album tribute orienté électro. Et si sa postérité commençait maintenant ?
Il est né en Bavière pendant la Seconde Guerre mondiale et est mort à New York à 39 ans (comme Boris Vian). Il était aussi fêlé que le roi Louis II, et nettement plus queer que Lou Reed. Singulier destin que celui de Klaus Nomi (1944-1983), chanteur excentrique qui fut aussi pâtissier à ses heures pour gagner sa croûte – sa spécialité était la tarte au citron. Les témoignages ne disent pas s’il cuisinait les desserts mieux que Cyril Lignac. Pour ce qui est de la pop, en tout cas, il était beaucoup plus doué.
Ouvreur à l’opéra de Berlin, curiosité remarquée dans les boîtes gays de cette même ville : Nomi aurait pu en rester là et disparaître dans les poubelles de l’histoire. En 1972, il traverse l’Atlantique et tente sa chance au pays d’Andy Warhol. Entre deux pâtisseries, il écume les clubs new-yorkais. Il y croise Keith Haring et Kenny Scharf, d’aucuns lui prêtent une brève liaison avec Jean-Michel Basquiat. Une chose est sûre, Nomi aime déjà se farder, se grimer, car comme il le disait lui-même, propos dont nous devrions tous prendre de la graine quand nous nous préparons le matin : « Un homme sans maquillage est comme un gâteau sans glaçage ».
PURES FOLIES
Une nuit, au Mudd Club, l’ovni bavarois croise le dandy Bowie. Ni une ni deux : voici que Nomi se retrouve à assurer les chœurs de Bowie dans un célèbre numéro du Saturday Night Live. On est en 1979, et Nomi ne le sait pas, mais il ne lui reste que quatre ans à vivre. Il est temps d’accélérer. En 1981, il sort son premier album. Il pose dans son smoking emblématique – assurément une des plus belles pochettes de l’histoire de la pop. La France lui réserve bon accueil, et pas uniquement au Palace où il fait sensation. Il rencontre un succès inattendu grâce à « The Cold Song », où il reprend Purcell et montre que le XVIIe siècle peut être plus avant-gardiste que le post-punk. Il enchaîne dès l’année suivante avec Simple Man, où on entend encore de pures folies, telle la chanson « Ding Dong ». Rappelons qu’en cette même année 1982, Nomi est aussi un pionnier du hip-hop en vocalisant le morceau « Six Simple Synthetisers » de Man Parrish.
Seuls ses proches le savent : outre leur vocation théâtrale baroque, les déguisements de Nomi lui servent à cacher les stigmates d’une maladie encore mal connue qui le ronge. Il n’y résistera pas longtemps. En 1983, il meurt du sida à l’orée d’une carrière qui s’annonçait des plus prometteuses. Figure énigmatique, homme le moins militant du monde, Nomi est resté depuis un nom connu des seuls initiés. Et si 2023 était enfin son année ? Sony réédite tout son catalogue et sort un album tribute pétaradant où figurent Arnaud Rebotini, The Hacker, Vince Clarke, Para One, Agar Agar… On dirait du Nomi produit tour à tour par Kraftwerk et The Yellow Magic Orchestra. On y trouve ses deux visages : sa face mélancolique et sa face fantaisiste. Cet homme qui venait d’ailleurs avait composé une chanson qui s’appelait « Total Eclipse ». Après une période d’occultation, il revient en pleine lumière.
Remixes
Klaus Nomi
(Sony Music)
Par Louis-Henri de La Rochefoucauld