C’est le boss du scénario français, l’homme qui écrit les scripts en or massif de Jacques Audiard, et qui fait le grand écart entre Matt Damon et Bertrand Bonello. Alors que se profile la sortie de sa seconde réalisation, l’excellent Soudain seuls, rencontre avec Thomas Bidegain au Festival de Saint-Jean de Luz. Attention, ça balance sévère…
CINEPHILE ET ACTION CHRISTINE
La mère de mon pote de maternelle était ouvreuse à l’Action Christine ; eh oui, à l’époque, il y avait des ouvreuses qui vous plaçaient dans les cinémas. J’y suis allé tous les jours, de neuf à vingt ans, pour voir des films américains, les films de la Warner, de la Columbia… J’ai fait toute ma cinéphile là-bas avec Raoul Walsh, John Huston, John Ford… À douze ans, j’ai découvert La Nuit du chasseur. J’ai vu le film trois fois de suite, et je me suis dit « c’est ça que je veux faire ! » J’ai appris à vivre avec ces films : je me sapais comme Humphrey Bogart, je faisais des blagues comme Groucho quand je voyais un Marx Brothers… J’ai découvert les films français bien plus tard, les Pialat quand j’avais 30 ans. Quand j’ai reçu mon premier César, j’ai remercié Catherine Poiret, l’ouvreuse de l’Action Christine.
DÉBUTS
Je bosse avec Pascal Caucheteux de Why not. J’achète et je suis censé monter un film américain. Pendant un an, je n’y arrive pas, on perd du pognon, dans « l’enfer du développement ». Un jour, je déjeune avec Tom Richmond, le chef op de Killing Zoe. Il me parle d’un film tourné en une semaine. Je n’en avais jamais écrit, je me lance, j’écris un truc rapidement et je le vends. C’est The Château (2001), tourné avec Paul Rudd, Sylvie Testud et Didier Flamand. Je connaissais Jacques Audiard et on a eu l’idée de faire un remake de Fingers (Mélodie pour un tueur, avec Harvey Keitel, 1978). Je bossais sur la production. Comme Jacques ne voulait pas regarder les rushs et que l’on s’entendait bien, il me demande de les visionner, puis me posait des questions. Je continue à visionner ses films encore maintenant… Sur De battre mon cœur s’est arrêté, on a fait des reshoots et j’ai réécrit quatre ou cinq scènes. J’étais trop fier ! J’ai même bossé sur le montage. Puis, Jacques reçoit un scénario, Le Prophète. Seul le début se déroulait en prison. J’ai pensé que ce serait plus intéressant si le mec était en prison du début à la fin, avec des permissions, on aurait un cadre. Au bout d’une semaine, Jacques me propose de travailler sur Un prophète. J’avais pensé au film, pas à l’histoire. On a mis trois ans à l’écrire ! C’est comme ça que j’ai gagné mes galons de scénariste…
HISTOIRE OU FILM
Quand tu es scénariste, tu n’écris pas des histoires, tu écris des films. La forme des films est sur la page, je l’ai appris avec Jacques Audiard. La forme s’écrit. C’est pour cela qu’il faut être précis. Un bon scénariste, c’est un mec qui travaille avec un bon réalisateur. Il va donner une ampleur, une plus-value. Moi, si je suis là, c’est parce que j’ai eu la chance de travailler avec de bons réalisateurs…
Tu peux passer des mois à réfléchir sur le film avant d’écrire la moindre ligne : le genre, la durée, un film de trois heures, le film se passe sur trois mois ou trois ans, un film de nuit, quels émotions… Puis l’histoire doit s’adapter au film. Il fait définir et surtout ne pas travailler avec du « Et si ? ». « Et si », c’est trop large. Pour l’histoire d’un couple sur une ile déserte, ça peut être un film de survie, un film d’horreur… Pour mon film, Soudain seuls, j’ai choisi l’histoire d’amour.
Scénariste, c’est un métier d’artisan, c’est comme garagiste. Le réalisateur, c’est le pilote. Il te dit que ça n’avance pas, que ça ne freine plus. On est des garagistes, on répare et ça roule mieux.
BÉLIER ET BONNELO
J’ai un travail au long cours avec Jacques Audiard mais j’aime beaucoup travailler avec d’autres réalisateurs. J’ai bossé sur La Famille Bélier, écrit par une fille très désagréable, Victoria Bedos. Le réalisateur Éric Lartigau me dit que les acteurs sont hésitants. J’ai donc tout réécrit en cinq ou six semaines. La fille avait l’histoire mais elle n’était pas scénariste. La Famille Bélier, c’est l’histoire d’une fille qui part et là, elle partait dès le début. Dans ma version, le film commence avec la scène de la naissance du veau. On voit les interactions entre les personnages, je montre l’héroïne à l’intérieur de sa famille. Avant qu’elle ne parte, il faut la montrer avec les siens… Si c’est tenu, s’il y a une structure, c’est beaucoup plus facile. Victoria Bedos nous a détestés, jusqu’au succès du film…
Pour le Saint Laurent, j’ai déclaré à Bertrand Bonello que je n’y connaissais rien. Je lui ai dit que dans le biopic, la problématique, c’est toujours « D’où ça vient ? », notamment les œuvres, l’inspiration, la gloire. On n’en sait rien et ça donne toujours des scènes embarrassantes dans les films. Le biopic, c’est l’alchimie à l’envers, ça transforme l’or en merde. Pour un bon biopic, il faut raconter ce que ça coûte : le temps, la pression, l’énergie, ce qu’il faut y mettre. Et donc, j’ai fait le Saint Laurent qui est bien, l’autre film est sur Pierre Bergé !
SOUDAIN SEULS
C’est un film de fin du monde, qui raconte que l’amour nous sauvera. Je l’avais écrit en anglais, pour un grand acteur américain. Il a dit oui, ainsi qu’une super actrice. Je travaille avec ma star, qui était également producteur sur le film. J’écris, je réécris, on bosse via Zoom. Huit semaines avant le tournage, alors que les décors sont en construction, on part en Islande, avec mes deux vedettes. Mon acteur principal, qui avait approuvé intégralement le script, contestait maintenant chaque scène, la moindre ligne de dialogue, la moindre virgule. Et c’est devenu l’enfer. On décide d’arrêter au bout du quatre jours. Mais c’était comme arrêter un train, on avait 25 millions de budget, et déjà vendu le film dans 20 territoires. Bientôt, je comprends que l’acteur veut récupérer le film et en acheter les droits. Ça m’allait mais mon producteur, Alain Attal, refuse et décide de monter le film en français et déclare qu’on on les emmerde. Je l’offre à notre plus grosse vedette française, Gilles Lellouche, et Mélanie Thierry. Ils ont été de super partenaires, très courageux, mais bon, cette histoire m’a pris cinq ou six ans…
Soudain seuls, sortie en salles le 6 décembre
PALMARES DU FESTIVAL DE SAINT-JEAN DE LUZ :
Grand Prix : Dissidente
Mention spéciale pour L’Homme d’argile
Prix de la mise en scène : Yurt
Prix d’interprétation masculine : Diego Murgia dans Les Trois Fantastiques
Prix d’interprétation féminine : Ariane Castellanos dans Dissidente
Prix SFCC de la critique : Yurt
Prix du public : Dissidente
Prix du jury jeunes : L’Homme d’argile
Par Marc Godin