Formé à la Cambre (et passé par Balenciaga, Dior et Louis Vuitton), le créateur belge Nicolas Di Felice a réussi l’impossible : réveiller la belle endormie du luxe français, la maison Courrèges. Rencontre d’un directeur de la création à part.
André et Coqueline Courrèges ont créé la maison Courrèges en 1961. Comment vous appropriez-vous cet héritage ?
Nicolas Di Felice : L’héritage, ce n’est pas que formel. Lorsque tu écoutes les entretiens d’André Courrèges, que l’on associe beaucoup au futurisme et que l’on qualifiait d’ingénieur, tu te rends compte qu’il voulait surtout habiller les gens dans la rue, et ça me parle. Avoir les mêmes préoccupations, c’est un bon début.
Un exemple ?
Je me retrouve dans le vinyle (matière fétiche des Courrèges, ndlr). On peut facilement le relier au cinéma et à la musique. Dans les patronages, il y a un jeu de géométrie, les jupes par exemple sont des cercles parfaits. Et lorsque je fais porter mes créations aux mannequins, je me demande toujours : est-ce bien Courrèges ?
Vous parlez de quête d’hédonisme pour qualifier votre pré-collection Spring-Summer 2024.
J’ai imaginé la recherche d’un certain hédonisme, comme un road-trip qui vogue vers une communauté new-age et une calm-culture. La matérialisation de cette idée se lie avec mon histoire à la fête et au monde de la nuit, là où est ma liberté. En théorie, j’ai regardé plusieurs documentaires sur ces cultures new-age, ainsi que des documents iconographiques et audiovisuels. Les silhouettes et les vêtements sont un mélange entre mes idéaux, mes fantasmes et des documents visuels.
Vous êtes lié à la fête, vous organisez des Courrèges Rave Party et vous avez co-composé les bandes sons de vos défilés. Quelle place occupe la culture dans la Maison ?
Je construis mes collections comme des histoires et je travaille dessus avec beaucoup d’amis ou collaborateurs qui font partie du monde de la culture. Je les intègre dès le processus créatif, et pas seulement au moment de la production d’images. Je pense que cela vient du fait que j’ai fait l’école la Cambre, qui est très arty. J’avais cours avec les autres étudiants, et pas seulement ceux en mode.
Ce qui vous reste de votre passage là-bas ?
Je ne trouve pas qu’être directeur artistique, c’est être artiste. Par contre, cette manière de travailler, en intégrant de façon omniprésente la culture, ça me donne l’énergie de créer.
Votre défilé automne-hiver 2023-2024, à Paris, était orchestré par des mannequins dont les visages étaient figés sur leur téléphone. Quelle interprétation en tirer ?
J’ai voulu représenter la nouvelle silhouette voûtée qui s’est créée à force d’être sur notre téléphone. Le show mettait aussi en avant la distance qui s’installe entre les gens, alors que nous sommes non-stop en train de nous connecter aux autres via ces technologies. Ça représentait le trajet de la lumière de son téléphone à sa lumière intérieure.
Appréhendez-vous de la même manière la création pour l’homme et pour la femme ?
En 2023, tout est beaucoup plus fluide, ouvert et libre, alors j’appréhende les deux de la même manière. Il y a beaucoup de lignes communes entre les deux corps et je fais toujours essayer mes créations tant sur une mannequin femme que sur un mannequin homme.
Quelle définition donneriez-vous à la radicalité sexy de certaines de vos silhouettes ?
C’est libérer le corps, et pas seulement celui de la femme, qui rend ce sexy. Je veux proposer des vêtements dans lesquels on peut se sentir libre. Libre dans les mouvements, mais aussi d’être nous-mêmes. La liberté rend sensuel.
La suite ?
On va ouvrir trois boutiques l’année prochaine : à Paris, il y aura bientôt quelque chose de nouveau et de plus grand. Sinon, nous en ouvrons une aux États-Unis et une en Corée.
System magazine est revenu sur vos trois premières années chez Courrèges en parlant de « Anatomie d’une relance – Les archives du présent ». Comment avez-vous construit et sélectionné vos temps forts de ces trois dernières années pour ce retour en arrière ?
J’ai sélectionné un plan de défilé ; c’est quelque chose que j’adore parce que c’est l’envers du décor, et le show, c’est la récompense. Il y a mes premières campagnes réalisées avec Spyros Rennt (c’est un photographe spécialisé dans la photo de fête, jusqu’aux dernières avec David Sims). Les objets présents, ce sont des reliques. Sans oublier la lettre que j’ai écrite pour avoir ce travail !
@nicolas.difelice
www.courreges.com
Par Anaïs Dubois
Photo Tom de Peyret