Sound designer, Johnnie Burn revient sur sa collaboration avec le cinéaste Jonathan Glazer pour La Zone d’intérêt. Une œuvre définitive où le hors-champ sonore ouvre les portes de l’enfer concentrationnaire.
Qu’est-ce qu’un sound designer ?
Johnnie Burn : Il y a plusieurs définitions, interprétations. C’est celui qui est responsable du son et de comment il va être utilisé pour porter, aider la narration. Il doit aussi se soucier de l’impact qu’il va avoir sur le public dans la salle.
Comment avez-vous commencé dans ce métier ?
Je faisais des études de commerce, puis, j’ai intégré un studio d’enregistrement à Soho, un quartier de Londres. J’ai travaillé sur des pubs télé et c’était vraiment fun car j’aimais vraiment le son. Je gagnais 8 000 livres par an, c’était génial (rires) ! J’ai bossé là-bas dix ans, monté ma boîte et je suis devenu un ingénieur du son reconnu dans le monde de la pub. C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de Jonathan Glazer qui m’a fait faire la pub Guiness et des clips musicaux. Et un beau jour, il m’a dit qu’il préparait un long-métrage et m’a demandé de m’y mettre.
Au cinéma, vous travaillez avec lui pour la première fois sur Birth, en 2003 ?
Absolument. Il m’a embauché comme sound designer mais je n’avais jamais bossé sur un film. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais et j’ai tout mixé comme une pub TV. Et donc je mixais avec l’aiguille toujours dans le rouge, à fond ! Lors de la projection du premier montage, le producteur s’est levé en gueulant et a demandé à ce qu’on arrête la projo, c’était trop fort. « Quel est l’abruti qui a fait ce mix ? » Et c’était moi ! J’ai été viré, mais Jonathan m’a réembauché. Je n’avais rien compris à la complexité d’un film. Deux ans plus tard, Jonathan est revenu vers moi et il m’a dit : « Johnnie, j’ai ce nouveau film, Under the Skin. Apprends ce que tu ne savais pas pour Birth, car tu vas t’occuper du son du film et j’ai besoin que tu assures. »
Pour La Zone d’intérêt, vous avez commencé votre travail dès le scénario ?
Lorsque Jonathan a commencé à écrire La Zone d’intérêt, il avait déjà une bonne idée de ce que nous pouvions faire avec le son en tant qu’outil narratif. Deux ans avant le début du tournage, il m’a fait parvenir le script. Quand je l’ai lu, je me suis dit « Oh merde ! » Quelle responsabilité que de parler de l’Holocauste sans le montrer et de tout faire passer par le son. Le niveau de boulot m’a paru incroyablement élevé. J’avais tellement bossé sur Under the Skin et je me suis demandé si je pourrais mener à bien cette Zone d’intérêt. Je l’ai donc dit à Jon, je pensais que ce film allait me tuer. D’ailleurs, j’ai été hospitalisé juste après la première projection au festival de Cannes… J’ai voulu d’abord connaître absolument tous les sons que l’on pouvait entendre en 1943 à Auschwitz, comment ils sonnaient dans cet espace. Dès que j’ai terminé la lecture du script, j’ai commencé mes recherches : quel son faisait telle arme, j’ai écouté des témoins de l’époque, les interactions entre les gardes et les prisonniers, le son véridique d’un tir de fusil, checké la nationalité des victimes comment on assassinait les gens, les sons du camp… Pendant une année, j’ai constitué une bibliothèque de sons, basée sur mes recherches, avec tous les sons que l’on entendait sur 24 heures à Auschwitz.
Comment avez-vous réalisé le vrombissement de la machine de mort qu’est Auschwitz, le bourdonnement permanent, le grondement qui écrase le spectateur dans son siège ?
L’idée du vrombissement a surgi alors que la postproduction était déjà bien avancée. Il y a une scène dans laquelle le jeune acteur qui joue Hans est allongé sur son lit, et chantonne ce motif que Jonathan lui a soufflé. Jonathan a imaginé ce bourdonnement, comme un rythme, vroom, vroom, vroom. Au montage, j’ai suggéré de monter en rythme le son d’une fournaise dans une cheminée, accompagné de bruits de vent, pour créer ce vrombissement. Jonathan a proposé de l’utiliser également en bruit de fond en intégralité dans la scène où Rudolph fume un cigare dans le jardin, avant d’aller se coucher. Et c’était tout ! Puis, lors d’une projection-test avec l’équipe, sans cette piste de vrombissement donc, Chris Oddy, le chef décorateur qui avait beaucoup travaillé sur les recherches, la préparation, nous a dit : « vous n’avez pas donné toute la mesure industrielle du camp, ce n’est pas assez bruyant. Ce devrait être un vrombissement constant.» Il avait raison ! Le son de la mort manquait. J’en parle aussitôt à Jon qui me suggère de placer ce son sur TOUT le film. On a ensuite visionné le film et on s’est dit « MERDE ! » Ça fonctionnait vraiment ! On n’y avait pas pensé au départ, ce n’était pas dans le script et maintenant, on n’entend plus que cela, la machine de la mort en marche. C’est arrivé au dernier moment, deux ou trois mois avant la fin de la post-production. On a donc fait une autre projection-test avec les cadres de A 24. À la fin, personne ne parlait, ils étaient sidérés.
Vous avez un autre exemple de film dans l’histoire du cinéma où le son hors champ est au moins aussi important que l’image ?
Je n’en ai aucune idée, vraiment, je ne vois pas un autre film avec ce même type de narration. C’est vraiment extraordinaire. Jon me disait toujours que l’on allait tourner deux films : celui que l’on voit et celui que l’on entend.
La Zone d’intérêt
En salles le 31 janvier
Par Marc Godin