L’ART À L’ÈRE DU PROMPTCORE

Nicki Minaj

En partant de la pochette du nouvel album de Nicki Minaj, Pink Friday 2, ses fans, aidés par l’I.A., ont collectivement inventé une ville rose. Ce terrain de jeu imaginaire, véritable cadavre exquis 4.0, annonce-t-il l’entrée dans une nouvelle ère de création multijoueurs ?

Légende photo : ALBUM JACKING_ À l’aide d’IA, les fans de Nicki Minaj ont collectivement transformé la pochette de son dernier album, Pink Friday 2, en une fanfiction se déroulant dans la ville rose et imaginaire de Gag City. Entrons-nous dans l’ère des œuvres augmentées par le public ?

« Un gâteau géant est en train d’être livré à Gag City en vue de l’anniversaire de la maire (Nicki Minaj) », « Rihanna est arrivée à Gag City », « Daenerys Targaryen a été aperçue volant sur un dragon au dessus de Gag City », « Qui rejoint la police de Gag City avec moi ? »… Ces scènes imaginaires et accompagnées d’illustrations générées par IA ont été tweetées par des Barbz – les fans de Nicki Minaj. Elles prennent place dans une ville rose fictive inspirée de son nouvel album, Pink Friday 2. Sur la pochette, Nicki est sur un quai de métro tout rose et posé dans les nuages, avec comme destination au loin, une ville elle aussi rose. Ni une ni deux, les Barbz la nomment Gag City, imaginent les scènes qui s’y passent, la transforment en catwalk géant, et créent autant d’hilarité que de viralité.

Gag City se voit vite dotée de parcs à thème, d’une web radio (bien réelle), d’un KFC tout rose, ou d’une boutique Chanel – sans demander leur avis aux marques en question. Attirées par le coup de comm’, Uber, Apple, Netflix, ou Spotify entrent dans le jeu et postent fissa des images de leur nouveau QG rose. On suit en direct la création d’un lore façon tolkien sous bonbons acidulés, mélange de mèmes, de fanfiction, d’IA, et de jeu de rôle – issu du mot folklore, le lore désigne l’histoire en toile de fond d’un univers fictif. Mieux, Gag City laisse bien entrevoir ce que sera le divertissement du futur : multijoueur, fait d’œuvres liquides, collectives, et sans frontières…

CADAVRE EXQUIS 4.0

« Avec l’IA, plus besoin de connaître Photoshop ou le montage pour participer à un fandom, on n’est plus limité que par son imagination et ses goûts », note la britannique Zoé Scaman, spécialiste en stratégie numérique et auteure d’une étude sur la « multiplayer brand ». « Gag City est un endroit fictif où les gens écrivent leur propre histoire, avec leurs personnages, visuels, événements, etc. C’est comme dans le jeu où chacun rajoute un mot ou un chapitre pour former une histoire, mais sous stéroïdes. » La comparaison avec le jeu littéraire du cadavre exquis est bienvenue, car il a été inventé en France par… les surréalistes. Et Gag City n’en est pas exempte, comme d’autres projets sous IA qui chamboulent la manière de créer – et de faire de la comm’.

Pincess Jane, une « princesse Disney non officielle », est ainsi née d’une vidéo en IA, à partir de laquelle Internet s’est empressé d’ajouter des histoires et personnages aux noms absurdes pour alimenter le lore. Un mème qui devient une histoire fragmentée aux quatre coins de la toile. On a aussi vu la chaîne Twitch @ai_spongebob diffuser un épisode infini de Bob l’éponge recréé en 3D, avec les voix originales clonées en IA, et des dialogues écrits par les internautes sur Discord, idem pour une version lo-fi de Seinfeld – le résultat est bien WTF. Sur Twitch, Jésus (@ask_jesus) donne aussi des conseils gaming ou répond aux questions. On le voit bien, toute personnalité peut devenir un personnage jouable – comme dans Gag City où ce sont les fans qui font arriver Rihanna ou Taylor Swift, et décident de leur apparence et actions.

POPSTAR OPEN-SOURCE

« Et si un produit fini, ça n’existait pas ? » se demande notre experte en fandom 4.0 Zoé Scaman, louée pour ses études sur le comportement de la génération Alpha dans Roblox ou Minecraft. « Ces jeux bac à sable, où la création active est le principe du jeu, modifient leurs attentes. Ils ne veulent pas un produit fini, mais un kit pour créer et remixer, et les marques vont devoir répondre à ce besoin. Pour les célébrités, ce sera aussi intéressant de donner un blueprint comme Gag City, et laisser le coloriage aux fans. »

Côté musique, la « popstar open source » Grimes propose ainsi déjà de créer des sons avec sa voix en IA, et veut en faire un album. On peut aussi citer la musicienne-chercheuse Holly Herndon, avec son clone numérique Holly+ et ses musiques remixables à l’infini. Côté mode, Nike s’est mis à la co-création avec Nike.Swoosh (la communauté crée des Nike virtuelles, et les plus populaires sont récompensées). Une réponse aux sneakers addicts qui créent déjà les paires de leurs rêves – virtuellement ou en vrai, comme @Yams_9102 sur Insta.

Et les marques sortent parfois de l’équation, comme avec la collab fictive entre Nike et Bottega Veneta en tressage Intrecciato, qui a tellement buzzé qu’elle a été créé en vrai – sans la virgule – par les taïwanais de Rifare Co. On appelle ça l’hypersition, quand la fantaisie s’étend à la réalité. On a aussi appris qu’un film « Barbennheimer » allait voir le jour…

« Il va être intéressant de voir comment les inputs des fans vont monter. Qu’est ce que Nicki Minaj va rendre officiel dans ce qui a été créé ? Elle pourrait y ajouter un arc narratif, ou inclure une partie dans un clip, garder certaines esthétiques. Les fans seront-ils capables de créer la prochaine grande idée ? » s’interroge enfin Zoé Scaman. Car il ne faut pas l’oublier, les grands lores deviennent souvent plus puissants que leur auteur – les Barbz sont les vraies stars de Gag City. La fanfiction devenue branchée ? Ça explique peut-être pourquoi Shrek est devenu aussi cool que Beyoncé.

 

Par Jean-Baptiste Chiara