Depuis 2006, cet ancien de la Chambre Syndicale de la Couture anime Lucien Pagès Communication, l’agence de relation presse de A à Z (d’APC à Zimmermann). Rencontre avec le « publicist » le plus créa’ de Paris.
Vous avez été stagiaire chez Dior, époque Gianfranco Ferré (quatorze stages entre 1993 et 1995), puis au studio Yves Saint Laurent. Comment faire mieux après un tel démarrage ?
Lucien Pagès : Rétrospectivement, quand on ressort ces noms, on a l’impression d’avoir fait partie de l’Histoire, alors qu’à mon époque, c’était la mode actuelle. J’avais la sensation que je vivais dans un monde à part, celui de la couture, un monde en train de disparaître. Cela étant dit, j’ai vu Naomi Campbell, Kate Moss, Amber Valletta sur les podiums à l’époque, et elles défilent encore aujourd’hui.
Aujourd’hui, en quoi la haute couture est-elle différente ?
La haute couture n’existe quasiment plus (à part Schiaparelli, Chanel et Dior). À l’époque de Yves Saint Laurent, c’était un trait spécifique qu’il avait hérité de ses années Dior et c’était une organisation cérémoniale. Quant à la couture, elle est plus casual et axée sur les célébrités et le marketing.
Vous êtes l’attaché de presse le plus connu de la fashion parisienne. Quelles sont vos missions ?
Je dois faire buzzer une marque, connecter les différents acteurs (presse, influenceurs et la marque) et faire en sorte que tout ce qui s’y rapporte soit aligné avec son identité. Et à cela s’ajoute le chiffrage, avec les KPI (Key Performance Indicator), il faut redoubler de stratégie pour qu’une marque ne perde pas de son élévation.
En 2017, vous aviez un pop-up chez Colette, « Les vacances de Lucien ». Quel rôle cet événement et Colette ont-ils eu dans votre parcours ?
C’était un tournant, car les gens ont compris qu’il y avait de la curation dans mon métier. Sarah Andelman a toujours des idées « out the box », et à cette époque elle savait qu’elle allait arrêter Colette et qu’elle ne pouvait pas s’engager avec de nouvelles marques sur les six derniers mois. Donc elle a fait une succession de pop-up avec Balenciaga, Tom Brown, Sacai, Saint Laurent, Chanel et moi-même. Au début, j’avais l’appréhension de m’exposer, puis je me suis dis que c’était révolutionnaire qu’un bureau de presse offre ses clients à acheter. Je ne voulais pas créer quelque chose de prétentieux, alors je l’ai fait décontracté et friendly.
Comment repérez-vous les marques avec lesquelles vous travaillez ?
Aujourd’hui, il y a Instagram qui représente un outil en plus, où on trouve des créateurs avec un savant mélange : leur communauté et leur talent. Je ne suis pas enfermé dans un style, j’aime la mode en général, et ce que je regarde c’est comment le designer va s’exprimer de façon honnête et créative dans son style. C’est mon ADN. En 2019, j’ai accompagné Sacai, lorsque personne ne connaissait. On représente autant des marques émergentes que des marques établies.
Comment l’arrivée de Jacquemus dans la mode, il y a maintenant dix ans, a-t-elle changé la manière dont on conseille et communique ?
Simon Porte Jacquemus ce n’est pas quelqu’un que je conseille, mais que j’accompagne. Il m’a souvent inspiré parce qu’il est très intuitif et avant-garde, c’est un enfant des réseaux sociaux . Quand je l’ai rencontré il y a environ dix ans, j’ai eu la sensation de comprendre la jeunesse.
Vous avez été l’un des premiers à prendre le tournant des réseaux sociaux.
J’avais deux peurs : ne pas être international et ne pas capter que le monde changeait. Et ce qui est sûr, c’est que pour le comprendre, il faut pratiquer ces nouveaux outils. Dernièrement, je me suis mis sur Tik Tok et en 2012, j’ai créé ma page Instagram. Ça correspond d’une manière assez primaire à ce que j’aime faire. J’y suis comme mon propre éditeur en chef, et je fais ma curation !
Et cette volonté d’être international ?
Je me suis toujours connecté avec la presse internationale, représenté des marques internationalement et fait les press days à New York et à Londres, parce que je ne voulais pas être bloqué dans le microcosme français. Alors ouvrir des bureaux à New York, c’était la suite logique de ce travail.
Anna Wintour a-t-elle vraiment snobé Kim Kardashian au défilé de Victoria Beckham, qui s’est déroulé dans les salons de l’hôtel de Soyecourt (ancien hôtel particulier de Karl Lagerfeld) le 30 septembre 2023 ?
C’est marrant, parce que c’est nourri par les réseaux sociaux, ce sont des mini-drames de la mode ! Mais en réalité, il n’y a pas eu d’incident, Anna Wintour était pressée car elle devait remettre la légion d’honneur à Giambattista Valli (designer italien, ndlr), ça a donné l’impression qu’elle fuyait le défilé, mais elle est restée jusqu’à la fin. En ce qui concerne le retard de Kim, elle n’avait que quinze minutes de retard…
« AUJOURD’HUI, LE PRINT A UNE VALEUR ENCORE PLUS FORTE PARCE QU’IL SE RARÉFIE. »
Comment la presse papier contribue-t-elle à votre métier ?
Mes clients ont envie d’avoir de belles parutions, parce que c’est positionnant. Aujourd’hui, le print a une valeur encore plus forte parce qu’il se raréfie. Et les réseaux sociaux se nourrissent de la presse papier, toutes les covers de magazines sont d’abord dévoilées sur Instagram et quand un designer ou une marque ont un portrait, ils le postent. Je pense que c’est une situation win-win.
La suite pour 2024 ?
J’ai le sentiment qu’il faut que je rentre dans une deuxième phase de ma vie professionnelle, dans le même domaine, mais avec une nouvelle façon d’opérer.
Par Anaïs Dubois
Photo Orane Auvray