L’ÉQUILIBRISTE POP : MIKA, THE VOICE-STAR

Mika technikart

Alors qu’il revient avec un sixième album, Que ta tête fleurisse toujours, et une nouvelle saison de « The Voice » sur TF1, Mika réussit l’art du grand écart entre pop exigeante et popularité mainstream. Il partage son secret avec Technikart.

Près de deux décennies après son tonitruant début, le tube intergalactique « Grace Kelly », voici Mika de retour. À 40 ans, le teint est toujours juvénile, le discours, toujours aussi optimiste, et les chansons (attention, si vous tombez sur la dernière, « C’est la vie » vous l’aurez en tête deux jours de suite), toujours aussi scotchantes… Nous sommes en droit de nous poser la question : mais comment fait-il ?

Né à Beyrouth en 1983, alors que la guerre civile bat son plein, Michael « Mika » Holbrook Penniman Jr. n’y traîne pas. Sa famille rejoint Paris dès 1984. Quelques années plus tard, c’est à Londres qu’ils déposent leurs valises. Inscrit au Lycée Français Charles de Gaulle dans le quartier huppé de South Kensington, le jeune Mika devient victime d’harcèlement : une prof le prend en grippe et se moque régulièrement de lui devant toute la classe. Son défouloir ? La musique classique. Un soir, au culot, il demande une audition au directeur du Royal Conservatory à laquelle il avait déjà été refusé une première fois. Pari réussi.

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RETOUR À L’ÉQUILIBRE_
En bientôt 20 ans de carrière, Mika a compris qu’une pop-star qui dure est celle capable de réussir l’équilibre entre le populaire et le pointu.

 

ATELIER DANS LES POUILLES

La particularité du lycée frenchy du Sud-Ouest de Londres ? Il n’a pas à y porter l’uniforme, contrairement aux autres écoles du pays. Il en profite pour s’y exprimer à travers des vêtements confectionnés par sa mère. Une sorte de libération pour cet ado aimant accro aux couleurs vives, histoire d’égayer comme il le dit la « mélancolie joyeuse » dans laquelle il se trouve.

Aujourd’hui, quand il n’est pas habillé par les créateurs italiens (il a été égérie de Valentino et Sabato de Sarno, le nouveau DA de Gucci, est un fan), il dessine ses propres costumes et les fait fabriquer dans un petit atelier dans les Pouilles…

Si ses références fashion sont, pour la plupart, dans le luxe, sa discographie, elle, contient une multitude de singles capables de toucher autant de personnes qu’une belle pièce de prêt-à-porter. Pop, accessibles et d’un swing à faire danser tout un monastère, Mika multiplie les tubes depuis bientôt vingt ans : ayant percé avec son premier single « Grace Kelly » (2007), et enchaîné avec l’inépuisable « Relax, Take It Easy » (2007), inspiré d’une alerte à la bombe dans le métro londonien, il revient avec « Bougez », un hymne anti-hygiéniste fichtrement efficace.

Souvent cantonné à l’image de l’héritier musical d’Elton John (l’aisance avec laquelle il compose, au piano, ses tubes interplanétaires) et de Freddie Mercury (la flamboyance tout-terrain), Mika n’aime rien de plus que de surprendre : hier, une tournée symphonique ; aujourd’hui, un duo avec Lemercier ; et demain, un retour à « The Voice », cette émission aux millions de téléspectateurs, aux côtés de Big Flo et Oli, Zazie et Vianney…

On te retrouve alors que tu rejoins la nouvelle saison de « The Voice » après cinq ans d’absence. Pourquoi ce retour ?
Mika : Je pense que l’émission a vraiment toute sa place aujourd’hui. Elle a bien changé depuis la dernière fois que j’y étais (la saison « All Stars » en 2021, ndlr), elle est encore plus bienveillante, plus variée, authentique… Elle devrait toujours plaire autant qu’avant. Je trouve qu’on a peu d’endroits où la télévision grand public est vraiment faite avec qualité et bienveillance. Les castings et les talents ont évolué également. Quant à la direction, elle n’essaie pas d’exercer un contrôle sur les jurés : ils ne te disent jamais quoi dire, quoi porter…

« « THE VOICE » ? J’ESSAIE DE FAIRE CETTE ÉMISSION AVEC UNE LÉGÈRETÉ SINCÈRE. »

 

Tu n’as pas hésité avant de redire oui ?
Du tout. Je trouve qu’il est important pour un artiste d’être aussi bien dans une émission grand public que dans un club underground. Ce grand écart, c’est l’essence même de la pop, non ?

Le Mika de « The Voice » est-il le même que le Mika hors-antenne ?
J’y suis 100 % moi, on peut appeler ce Mika-là, le « Mika accessible », si vous voulez. Quand je m’y exprime, je dis les choses sans arrière-pensée, sans m’inventer un nouveau personnage. Quand on fait quelque chose de grand public, comme ce genre d’émission, ce qui peut te tuer, c’est de faire semblant d’être quelqu’un d’autre. Le public se rend toujours compte !

Et comment ne pas faire semblant quand on se retrouve à être filmé dans un hangar pour ce genre d’énorme show ? 
Je me dis que je ne dois pas trop penser à ce que le public risque de penser de moi. Que je puisse simplement m’amuser et ressentir les choses avec une légèreté sincère.

La légèreté, c’est important pour toi ?
Essentiel, même ! On en parle comme s’il s’agissait de quelque chose de négatif. Alors que la légèreté, c’est l’esprit, c’est le cœur qui s’envole… C’est super important. Donc pour bien faire ce genre d’émission, il ne s’agit pas d’inventer un personnage, mais de tout faire pour se permettre d’être soi-même.

Le talent qui t’a le plus touché depuis que tu fais partie de l’émission ?
Il y avait une femme, Audrey, une enseignante. Elle avait une voix cassée, un peu baby-pop et Betty Boop, et en même temps un peu punk. Je voulais qu’elle chante « La Plus Belle Pour Aller Danser » de Sylvie Vartan. Elle l’a fait et c’était extrêmement touchant. Ça montre qu’avec une simple chanson pop, on peut raconter une histoire qui est toute petite et provoquer une émotion énorme.

mika technikart
FLOWER POWER_
C’est magique : dès que l’auteur de Que ta tête fleurisse toujours s’installe quelque part, le printemps arrive.


Tu viens de sortir ton sixième album en seize ans, Que ta tête fleurisse toujours. D’où vient ce titre ?
Il a été inspiré par une sorte de cadeau que ma mère m’a offert avant sa disparition : un message. Je n’avais pas vraiment compris, sur le moment, ce qu’elle était en train de m’écrire : « Happy birthday, may your head always bloom » (« Joyeux anniversaire, que ta tête fleurisse toujours », ndlr). Elle me souhaitait de toujours avoir des idées, de rester rêveur… Un éternel daydreamer, comme disent les Anglais. C’est resté dans ma tête comme un mantra très utile.

Comment ça, « utile » ?
La créativité est une clé pour arriver vers quelque chose qui ressemble à de la liberté – peu importe la situation dans laquelle nous nous trouvons à ce moment-là. Grâce à la créativité, on peut trouver comment réinventer la réalité. C’est aussi un antidote à tellement de choses : la frustration, la peur de vieillir…

On a le droit de vieillir, quand on fait de la pop ?
Évidemment, avec le temps, on vieillit, on grandit, mais il faut le faire avec un cœur toujours créatif, toujours léger. Si l’on arrive à rester créatif, avec la « la tête qui fleurit » d’idées nouvelles, on peut trouver une manière de rester heureux, et de plus en plus libre.

À 40 ans, alors que tu vis entre la France et l’Angleterre, tu sors enfin un album entièrement chanté en français. Pourquoi maintenant ?
C’était une sorte d’expérience pour moi, et celle-ci m’a énormément plu ! Je ne ressentais pas de besoin particulier de faire un album en français. C’est venu naturellement. J’étais surtout curieux de voir comment j’allais m’exprimer dans une autre langue, langue dans laquelle je n’avais écrit que quelques morceaux jusqu’ici.

Tu y abordes des sujets plus personnels : le mal-être, l’amour, la rupture, le désir…
Une sorte de mélancolie joyeuse parcourt tout l’album. Écrire en français m’a permis de le faire de manière plus poétique. En anglais, cela aurait été plus compliqué.

Et comment te sont venues les idées de l’album ?
Voyons… Je sais qu’avant, je regardais souvent la télé à deux heures du matin tout en écrivant. Donc elles pouvaient être basées sur des trucs aperçues à la télévision. Par exemple, un documentaire sur un bar, le Butterfly Lounge, sur lequel j’étais tombé une nuit à la télé anglaise, a inspiré « Big Girl (You Are Beautiful) » sur mon premier album. Comme je savais que celui-ci serait en français, j’avais l’impression que ça rendait mon écriture plus intimiste. Alors que mon premier réflexe, c’est d’écrire en anglais. Le français, c’était une autre manière de me raconter, peut-être plus confidentielle. Mais pour répondre à la question : les idées derrière les chansons viennent de partout. De mes lectures, de ma vie, des potes. Pour la chanson « Bougez », par exemple, l’idée venait de Valérie Lemercier.

Comment a-t-elle contribué au texte de cette chanson ?
Valérie est arrivée avec son taxi, et elle n’était pas supposée écrire pour l’album ; elle était censée uniquement prêter sa voix sur une autre chanson du disque, « Jane Birkin ». Dans le taxi, elle s’est énervée toute seule en entendant ce fameux slogan « Pour votre santé, bougez plus ». Elle a donc commencé à conjuguer le verbe bouger à tous les temps possibles dans la langue de Molière : « nous bougeassions », etc. Elle avait transformé cette injonction en quelque chose de totalement absurde. Valérie, qui a ce sens de l’absurde, très poétique, m’a présenté les conjugaisons de ce slogan et ça m’a fait rire. C’est resté dans ma tête et c’est devenu une chanson.

Et pourquoi le Andy de ta chanson « Moi, Andy et Paris » n’aime-t-il pas Paris ?
Avec Andy (son compagnon, ndlr), on a une vie très privée : cela fait 18 ans qu’on est ensemble. On a toujours « détaché » vie publique et privée : il y a mon activité, mon travail, mes concerts, d’un côté ; et de l’autre, une sorte de petite bulle qui nous appartient, une bulle contenant deux chiens, et dans laquelle, on cuisine, on jardine, on dessine, on écoute de la musique… Je pense que Paris, dans le contexte de cette chanson, représente le monde extérieur. C’est bien d’avoir une bulle, de pouvoir se séparer de ce monde extérieur – peu importe s’il s’agit de Paris, de Londres, de New York…

On retrouve le « son Mika » – toujours pop, tourné vers l’international, et d’une efficacité immédiate – sur des morceaux comme « Bougez » ou « Sweetie Banana » mais aussi des morceaux symphoniques notamment dans « Passager »…
J’aime bien l’idée qu’on puisse mixer différents genres au sein d’un même disque. Évidemment, je viens de la musique classique et je travaille souvent avec des orchestres symphoniques. Il y a eu la série de concerts que j’ai donnée à la Philharmonie de Paris, et ça va continuer.

La prochaine date de ton show « Mika Philharmonique » est prévue pour le 23 juin à Orange.
Oui, et j’irai ensuite le présenter dans plusieurs villes à travers le monde. Je me dis qu’il ne faut pas s’imposer de limites vis-à-vis de genres musicaux, parce que le plus important est de raconter une histoire. Le son et l’orchestration doivent toujours être au service de la mélodie et de l’image.

Tu prévois une tournée française et européenne au printemps 2024, « Apocalypse Calypso Tour ». La plupart des dates sont d’ailleurs sold-out.
Cela me réchauffe le cœur de voir toutes ces générations confondues qui se rendent aux concerts. Il y a ceux qui y viennent alors qu’ils ne vont jamais à des concerts pop en général. D’autres qui écoutent de l’électro, du rock…

« ÊTRE SUR SCÈNE DOIT ÊTRE EUPHORIQUE, PRESQUE COMME UNE DROGUE. »

 

Et quelle est ton approche pour préparer ces lives ?
La chose plus importante, sur scène, c’est d’être pleinement dans le moment présent. C’est libératoire – et « empowering », pour prendre un terme à la mode. C’est à ce moment-là que le live devient plus cérémonial, voire spirituel. Ça doit être euphorique, presque comme une drogue.

À tes débuts, en 2006, on te parlait surtout de Elton John et de Queen. Quelles sont les autres grandes influences auxquelles on ne pense pas forcément ?
Mes premières inspirations sont tous ces magiciens et magiciennes qui réussissent, avec uniquement un piano et une guitare, à construire un autre monde parallèle. Ça part de Joni Mitchell, à Elton John, en passant par Nilsson, Prince, Bowie… Avec très peu, on peut construire tout un monde.

Harry Nilsson, le compositeur 70’s préféré des pages musique de Technikart ?!
Oui, Nilsson est partout ! Il a été une influence primordiale. Si vous écoutez Pandemonium Shadow Show, un de ses albums, sorti en 1967 et qui était un échec, vous entendrez des influences qui sont partout dans mes chansons…

Tu as vécu à Paris, à Londres, à Beyrouth. Aujourd’hui, tu te sens plutôt…
(Il coupe) Mon coeur appartient à des gens et non pas à des endroits ! J’ai vécu assez de cycles où j’aimais, où je détestais, où je retombais amoureux de certaines villes. Ce cycle est inévitable. Dans les différentes villes où j’ai pu vivre dans le monde entier, j’ai toujours l’impression que les seules choses qui restent constantes, ce sont la musique, les gens que j’aime – et cela va bien au-delà du pays dans lequel je me trouve. La vérité, c’est que je n’aime pas trop les villes, je préfère la campagne…

On nous dit que tu aimes y retrouver un… troupeau de moutons.
Absolument (rires). Alors, ils sont extrêmement embêtants, certes, ils ne pensent qu’à bouffer, d’accord, et ils foutent le bordel partout. Mais quand je les regarde, je me dis qu’ils sont hors système, ils sont à part. Même si je suis une créature de la ville, et de nature nocturne, lorsque j’ai une journée off, je veux voir des moutons !

Tournée « Apocalypse Calypso Tour » à partir du 1er mars au 2 avril
Album Que ta tête fleurisse toujours (Mika Punch / Universal)
« The Voice » 2024 : dès le 10 février sur TF1 & TF1+

 

Entretien Sarah Sellami (avec Laurence Rémila)
Photos Romin Favre
DA Matthias Saint-Aubin