Au Nouveau-Mexique, passion sauvage entre une redneck et une culturiste. Par la réalisatrice de Saint Maud, Ross Glass, du cinéma queer, romantique et féministe, dopé aux stéroïdes et aux visions démentes.
En 2020, la Britannique Rose Glass, 29 ans, timide et bien élevée, électrisait le festival de Gérardmer, avec son premier long-métrage, Saint Maud, l’histoire d’une infirmière bigote qui se mettait en tête de sauver l’âme d’une patiente atteinte d’un cancer. Si l’héroïne parlait directement avec Dieu, le spectateur se retrouvait aux enfers et le final, absolument tétanisant, le propulsait dans un ailleurs cinématographique, saisi par la terreur la plus primitive, avant de perdre tous ses repères dans une épiphanie gore. Depuis la révélation de ce talent miraculeux et quatre prix à Gérardmer, c’est peu dire que l’on suivait Rose Glass à la trace. Et voici que débarque enfin Love Lies Bleeding, film américain sous bannière A24, avec une superstar au casting, Kristen Stewart, qui a tout fait pour que ce film existe. Nous sommes 1989, au Nouveau-Mexique. Redneck avec une belle coupe mulet, jamais sortie de son trou, Kristen gère une salle de muscu miteuse, passe son temps à déboucher les chiottes et à dealer des stéroïdes. Une soir, elle fait la connaissance d’une jeune culturiste ambitieuse, la sculpturale Katy O’Brian, et en tombe raide dingue. Leur relation passionnée va les entraîner malgré elles dans une spirale de violence et leur faire affronter Ed Harris, truand psychopathe à la chevelure hantée et accessoirement papa de Kristen…
DU CINÉ QUI DÉBOITE
Pour ce néo-noir, Rose Glass et sa coscénariste Weronika Tofilska ont dû relire tout Jim Thompson et James M. Cain. On nage dans le Pulp, mais sans le côté ricanant et mâle toxique de Tarantino. Dans la nuit noire du polar hard boiled, il y a des truands sans pitié, fascinés par les calibres, une crevasse sans fond où l’on jette les cadavres des ennemis, des flics qui rodent, des maris cogneurs, des étoiles qui voient tout… À ce roman de gare érotique et outrancier, les deux scénaristes ajoutent des couches quasi mythologiques : l’amour fou, le sexe, le fantastique, la violence et elles transforment la série B en œuvre féministe mutante. Car, derrière la caméra, Rose Glass va une nouvelle fois nous prouver qu’elle est une des cinéastes les plus excitantes du moment. Love Lies Bleeding a bien sûr de nombreux points communs avec Saint Maud, notamment dans la célébration du Dieu cinéma, mais si Saint Maud était placé sous le signe de Polanski, celui-ci semble célébrer David Cronenberg et David Lynch. Sur une B.O. vertigineuse de Clint Mansell, la réalisatrice ose tout. Elle scrute les corps qui se métamorphosent, les seringues qui s’enfoncent dans la (nouvelle) chair, les veines qui gonflent en Dolby Atmos, la violence sèche et les plaies béantes. Elle prend tous les risques et si certaines scènes ne fonctionnent pas entièrement, le geste et la liberté sidèrent. Sans parler des acteurs, Kristen Stewart, qui décidemment transcende tous ses films, Katy O’Brian ou Ed Harris, étourdissant en vieux crotale.
Avec son adrénaline et sa sauvagerie miraculeuse, Love Lies Bleeding est beaucoup mieux qu’un chef-d’œuvre. C’est un cocktail Molotov, un film qui vibre et qui vit, du cinéma qui déboite, qui suinte la cyprine, le sang et la dope, avec une histoire d’amour qui transcende tout. Le cinéma dans tous ses éclats.
LOVE LIES BLEEDING
ROSE GLASS
EN SALLES LE 12 JUIN
Par Marc Godin