Quintessence de l’actrice, Melissa Leo a tourné environ 140 films et séries en 40 ans. Lauréate d’un Oscar pour Fighter, elle revient en flic coriace dans The Knife, présenté à Deauville.
Melissa Leo a des tatouages partout (« mais des petits car je suis actrice et il faut les cacher lors des tournages »), elle est très intense mais parle doucement et refuse tout ce qui pourrait s’apparenter à de la langue de bois. En promo pour l’excellent The Knife, projeté lors du 50e festival du film américain de Deauville, Melissa Leo vient pour la deuxième fois en France pour soutenir l’un de ses films. « Je ne fais pas beaucoup de promo. Quand vous avez Denzel qui parle à la presse pour Equalizer, vous n’avez pas besoin de Melissa Leo ! Je me rappelle néanmoins être venue une première fois à Paris pour Frozen River. » Quand je lui avoue qu’elle m’a fait flipper au-delà des mots dans Prisoners, immense thriller signé Denis Villeneuve, elle s’étonne. « Effrayante, vraiment ? Holly est flippante et tout le monde la déteste mais elle est le produit de son environnement, elle n’a pas kidnappé les enfants, c’est ce garçon qui l’a fait. Et si mon jeu vous a séduit, c’est parce que je ne croyais absolument pas à sa culpabilité. Je ne sais pas pourquoi Denis m’a choisie, il ne me l’a jamais dit. Peut-être parce qu’à l’époque mon nom était sur la liste de comédiens qui permettent aux films de se monter, à cause de mon prix stupide (rires). »
Quand elle parle de son « prix stupide », Melissa évoque bien sur son Oscar pour le formidable Fighter avec Mark Wahlberg et Christian Bale. « Mon meilleur souvenir de la soirée, c’est ma rencontre avec Kirk Douglas qui m’a remis la statuette dorée. Il m’a proposée de venir prendre le thé chez lui, mais j’ai décliné, j’étais bien trop timide. J’aurais pu devenir son amie, je le regretterai toute ma vie. Le soir de la cérémonie, assise dans mon fauteuil, j’ai vu Kirk Douglas, ce géant, sur la scène. Et quand il a prononcé mon nom, ça a été comme un immense coup sur la tête. La salle était remplie de célébrités et mon esprit s’est évaporé. » D’ailleurs, Melissa Leo a prononcé lors de son discours le mot tabou, interdit, « Fuck ». « De retour à ma place, le patron des Oscars est venu me dire : « Ne vous en faites pas, nous ne sommes pas en direct, nous avons un décalage de 10 secondes. » Ils avaient donc coupé mon Fuck. Sinon, l’Académie des Oscars aurait eu un procès. Et je n’ai jamais été réinvitée…»
New York et soap operas
Née à New York, amoureuse de sa ville (« j’ai beaucoup de mal en Californie, il y a trop de soleil »), Melissa Leo a travaillé dans ce business pendant 40 ans, sans jamais s’arrêter. « J’étais dans les séries Deux flics à Miami,Equalizer, j’ai joué pendant cinq ans dans Treme. Pendant toutes ces années, j’ai gagné ma vie avec la télé. La télé et le cinéma, c’est le même métier et en même temps, cela n’a absolument rien à voir. A la télé, il faut être rapide. Je ne sais pas comment ils peuvent mettre six mois pour tourner un film, ils doivent boire beaucoup de café ! Et à la fin, ils ont tellement de métrage qu’ils ne savent plus quoi faire de la pellicule. Je suis très intense, très rapidement. A la télé, on faisait un pilote et s’il plaisait, on enquillait avec la série. Et on tournait un épisode de 47 minutes en huit jours. Vous savez, j’ai débuté avec des soap operas et on filmait un épisode d’une heure en une journée. Ça a été un excellent terrain d’entraînement, il n’y a rien de mal à travailler rapidement. D’ailleurs, quand j’ai commencé après mes cours d’art dramatique, je bossais sur des soaps dans la journée et je jouais sur les planches le soir. Ça a été le meilleur moment de ma vie, le paradis. J’ai eu beaucoup de chance, je n’ai fait que travailler. »
Celle qui se considère comme une actrice et non comme une star avoue connaître un petit passage à vide depuis quatre ou cinq ans. « Depuis le Covid et la grève, ça marche moins pour moi. De plus, pour la première fois depuis 35 ans, je refuse tous les rôles qui ressemblent à Holly, des méchantes, des mégères. Je ne veux pas me répéter et je trouve que le cinéma est vraiment trop dur avec les femmes. J’ai envie, s’il vous plait, de jouer une femme décente, sympa, aimante, intelligente. »
« Une des meilleures expériences de ma vie »
Quand on lui parle de sa filmo et de ses rencontres professionnelles, Melissa s’emballe et évoque aussitôt Tommy Lee Jones, qui a pourtant une très mauvaise réputation. « Tommy est extraordinaire, c’est un homme vraiment brillant, un des cerveaux les mieux faits que j’ai pu rencontrer, même s’il n’est pas toujours simple. Chaque détail de Trois enterrements, tourné dans son ranch, vient du plus profond de son être. J’ai aimé chaque seconde de notre collaboration. J’ai donné plusieurs fois la réplique à Denzel Washington. C’est le paradis que de bosser avec lui. Il a le « casting approval », donc je sais qu’il m’apprécie car nous avons fait plusieurs films ensemble. Mais il n’est pas sur le plateau pour se faire des amis. Je sais seulement qu’il m’apprécie car un jour, sa femme m’a dit dans un ascenseur « Oh Melissa, on vous aime beaucoup. » J’ai tourné deux fois avec Robert De Niro, dont le très mauvais Trouble jeu, ce n’est pas non plus le genre d’acteur qui vous parle ou qui s’épanche… Il bosse ! Et moi, je ne suis pas très douée pour faire des contacts, traîner avec eux après le boulot. »
A Deauville, on a pu voir Melissa Leo à l’œuvre dans The Knife, où elle incarne un flic opiniâtre bien décidée à savoir pourquoi on a retrouvé une femme inconsciente, un couteau à la main, dans la maison d’une famille ordinaire. « Ce fût une des meilleures expériences de ma vie, un plaisir, un ravissement. C’est vraiment ce que je veux faire maintenant. Nnamdi Asomugha m’a vraiment dirigé pour son premier film et il a cru en moi. J’avais refusé au début car c’était son premier et qu’il était un ancien joueur de foot américain. Quand il m’a enfin parlé au téléphone, j’ai compris qu’il me voulait vraiment, et pas seulement avoir mon nom sur son affiche et mon Oscar. Il connaissait mes films, mon travail, et savait que j’arriverais à interpréter ce personnage de flic complexe. On a fait le film en 20 jours, c’est un tout petit film indépendant. Je suis tellement contente de l’avoir tourné, je suis certaine que Nnamdi ira très loin. »
Par Marc Godin