SPÉCIAL PARALYMPIQUES : MARIE PATOUILLET

Marie Patouillet

Médaillée d’or et d’argent, Marie Patouillet a enflammé la piste des Jeux Paralympiques parisiens. Notre championne nationale de paracyclisme va désormais pouvoir tomber le casque et enfiler sa blouse de médecin. Interview.

Petite, la malformation de naissance au pied et à la jambe gauche de Marie Patouillet ne l’empêche pas de courir, ou de pratiquer tous les sports qui trouvent grâce à ses yeux. Ce n’est qu’au cours de ses études de médecine que la jeune sportive se voit contrainte de laisser certaines aptitudes de côté. En 2018, elle découvre le paracyclisme sur piste. C’est le début d’une belle ascension : le Bronze aux Paralympiques de Tokyo 2021, l’Argent aux championnats du monde de Glasgow en 2023, et enfin, l’Or à ceux de Rio de Janeiro. Marie repousse ses limites, sans jamais oublier d’emmener sur la piste ses engagements contre le sexisme et la LGBTphobie. Pour se préparer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, l’athlète interrompt un temps sa carrière de médecin généraliste. Pari réussi, puisqu’elle en ressort parée d’une médaille d’or et une autre d’argent.

Lorsque tu n’es pas à parcourir les campagnes sur ton vélo, tu reprends la blouse de médecin généraliste. Qu’est-ce qui te plaît dans ce métier ?
Marie Patouillet : En terminale, j’ai pris la décision de passer le concours pour entrer au service de santé des armées et j’ai intégré la santé navale en 2007. J’ai rêvé de faire ce métier depuis que j’ai rencontré le chirurgien qui m’a suivie pendant toute mon enfance et ma croissance. C’était le seul capable de me donner des réponses sur ma malformation. J’aime aujourd’hui le contact global avec les gens, je m’efforce de considérer la personne dans son entièreté.

Tu avais le choix entre le cyclisme ou la natation. Pourquoi plutôt l’un que l’autre ?
Le cyclisme est arrivé à un moment de ma vie où il fallait que je fasse le deuil de certaines fonctions de mon corps, dont la course à pied. Il fallait aussi que j’accepte mon handicap, car c’était la première fois qu’il se manifestait autant, c’était une phase compliquée. J’aurais pu faire de la natation, c’est vrai, mais il n’y avait pas ce côté « voyage ». Je fais du vélo pour la vitesse et les paysages.

Ce qui t’a poussée à entrer en compétition ?
Mon entourage m’avait parlé de la fédération handisport, j’ai lu les textes et j’ai vu que je remplissais les critères de sélection pour être classifiée. Je me suis dit que c’était peut-être le moment de découvrir et explorer mon côté compétition, me mesurer à d’autres femmes qui ont le même niveau de handicap. Ça rendait la compétition plus juste.

Tu as ça en toi depuis très jeune ?
Je me souviens de mes cross à l’école où je finissais deuxième ou troisième… J’étais contente, mais il y avait une voix dans ma tête qui me disait que ça n’était pas juste puisque les filles de ma classe avaient leurs deux pieds. Je n’avais pas la même force même si cela ne se voyait pas, moi je le sentais. Cette injustice a fait que la compétition ne m’intéressait pas, jusqu’à ce que je découvre le handisport.

Une rencontre marquante dans le handisport ?
Elle est assez récente, c’est ma coéquipière, Heïdi Gaugain. On est en concurrence directe, car on est dans la même classification de handisport en C5. Elle a 19 ans et moi j’en ai 35. À Rio, on a eu une très belle entente alors que ça n’est pas évident quand on est en concurrence. Malgré son jeune âge, elle m’a confortée dans le fait qu’on pouvait avoir un esprit d’équipe dans un sport individuel.

Ton entraîneur est Grégory Baugé. Que t’a-t-il appris ?
Lorsque j’ai débarqué dans mon club à Créteil, je savais monter sur un vélo mais je ne savais pas faire de pistes et faire du cyclisme. Il y a une grande différence entre les deux. L’US Créteil m’a ouvert grand les bras. J’avais une séance par semaine sur la piste à l’INSEP. Grégory était toujours athlète, mais en fin de carrière. Il passait des diplômes pour devenir entraîneur. La première fois qu’on s’est rencontrés, il m’a vue monter sur le vélo, tomber, faire chuter tout le monde et il est venu me ramasser. C’est de là que c’est parti. Au début, il me donnait des petits conseils, ensuite il a commencé à m’encourager, à me donner des exercices et finalement à m’entraîner.

Tu es également ambassadrice Dior.
C’est un immense soutien en tant qu’athlète paralympique femme appartenant à la communauté LGBT et lesbienne. Au cours de ma carrière de sportive, j’ai pu rencontrer des photographes qui m’ont fait découvrir un peu le milieu de la mode dont Enzo Lefort, qui fait également partie de l’écurie des athlètes LVMH. Désormais, hormis quelques contraintes liées aux chaussures, ils peuvent me faire porter ce qu’ils veulent ! Je le prends comme une expérience. Enzo Lefort m’a shootée avec des tenues que je n’aurais jamais accepté de porter avant… Mais j’ai finalement beaucoup apprécié.

Tu t’engages contre le sexisme et la lesbophobie dans le sport.
Je trouve que la femme ne prend pas assez de place encore, du moins pas ce qu’elle mérite. Il y a encore trop de sexisme, de misogynie. Derrière se cache le côté multidimensionnel des discriminations avec la femme racisée, handicapée, lesbienne… Aux Jeux de Tokyo de 2021, on m’a fait une remarque révélatrice : lorsque j’ai demandé un environnement moins oppressant, où je subirais moins de blagues sexistes et de remarques. On m’a répondu que si je ne voulais pas d’un tel environnement, il aurait fallu que je fasse un sport de fille. Ça a été la goutte de trop. J’essaie donc à mon échelle de faire bouger les choses, monter une association ou créer un documentaire, par exemple. Ce qui est sûr, c’est que je commencerai à me pencher dessus après les Jeux

Tu nous disais que c’était ta femme, Soraya Garlenq, qui t’avais initiée à la photo argentique. On suppose qu’elle joue un rôle capital à tes côtés.
Bien sûr. Le quotidien d’un sportif ou d’une sportive, surtout vers une fin de cheminement vers les Jeux, est intense, prenant, ça laisse peu de place à la vie privée, ça impose aussi un peu de s’oublier. C’est un environnement assez particulier, mais ce sont des émotions qu’on partage à deux. Ce sont des souvenirs indélébiles, notamment lorsqu’elle est venue me soutenir aux championnats du monde à Rio.

Mis à part l’argentique, tu as d’autres passions ?
La musique. Je fais du piano, mais je ne chante pas, je chante faux… Je me suis mise au saxophone et j’aimerais bien m’y remettre dès que possible. Ma vie à deux fait aussi partie de mes passions.

Où sont exposées tes médailles ?
Elles sont sous mon lit dans une housse à chaussons. Pour moi, la médaille n’est pas gage de bonne valeur ou de moralité. La moralité prévaut sur la performance physique.

Tu es double médaillée de bronze aux JO de Tokyo en 2021 et tu repars des Jeux Paralympiques de Paris 2024 avec une médaille d’or et une médaille de bronze. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Cette compétition, c’était mon dernier endroit d’expression de performance physique. C’était aussi une visibilité importante pour les sports paralympiques. Et c’est une chance pour moi de laisser un héritage positif pour ces Jeux.

La suite ?
Je vais reprendre la médecine qui m’a tant manquée et revoir mes patients !


Par Sarah Sellami
Photo Axel Vanhessche