Face à la programmation pointue et éclectique du festival Antigel, co-fondé par le musicien Éric Linder et l’actrice culturelle Thuy-San Dinh, on se demande où se trouve le miracle. Rencontre hors-les-murs.
Ce festival genevois propose au public de découvrir des artistes dans des lieux déconcertants, comme une piscine, un hangar, une chapelle. L’origine d’Antigel ?
Éric Linder : Je vivais à Paris, et pensais à Genève. Je voulais rassembler du monde dans un festival free form, hors du calendrier habituel et avec l’intention de décentraliser la culture. Où y a-t-il une zone de vide, de la place et un manque ? On a pris pour scène la région entière, pour période, janvier-février – ce qui, en 2008 et à Genève, était « Dark Side of the Moon ». On voulait que le public redécouvre son territoire, que cela dynamise l’entièreté de la région, tout en proposant une offre culturelle libre et variée.
Le festival s’étend sur trois semaines. Quels sont les lives que tu ne veux absolument pas manquer ?
Le Philip Glass Ensemble jouera l’une de ses pièces majeures, Music in Twelve Parts, au Victoria Hall. J’ai également hâte de voir De La Soul. Et Brighde Chaimbeul, joueuse de cornemuse, qui se produira au milieu des prés, à la chapelle de Malval, datée de 1322. Cela fait onze ans que nous discutons avec l’Église protestante pour obtenir d’y faire un concert !
Votre système économique?
La naissance d’Antigel est corrélée à un heureux hasard, la création d’un fonds culturel commun aux 45 communes de l’agglomération genevoise, pour dynamiser toute une région et non plus seulement la commune de Genève. Cela nous a permis de démarrer. Notre modèle est aujourd’hui le suivant : ⅓ de fonds public, ⅓ de recettes et ⅓ de sponsors et fonds privés. Notre souhait profond est de stimuler l’action socio-culturelle. Nous faisons beaucoup de politique, de travail avec des élus, de sensibilisation à la culture. On croit dur comme fer que la culture est un excellent moyen de rassembler les gens.
Une édition d’Antigel, c’est au moins 50 lieux, 120 spectacles et 55 000 spectateurs, sur un espace de 282 km2. Documentes-tu l’évolution des architectures à Genève avec Antigel ?
Je fais des milliers de photos. Antigel a été une création intuitive, sans que nous ayons lesdites bonnes études pour le créer. Cinq ans après, des urbanistes sont venus nous voir, disant qu’on faisait de la médiation urbaniste culturelle : oui ! La culture est un excellent moyen de raconter les transformations d’un territoire. La culture ne doit pas être docile. Faire Antigel, c’est ça. Un lieu que je rêve de faire à Antigel, c’est un ancien silo à grain, pour faire un grand concert. Cela fait des années qu’on se heurte aux refus du cercle des agriculteurs. Or, on veut les mettre en valeur – et chaque année, on reviendra et on redemandera.
En proposant des lieux qui ne sont pas des salles classiques, le festival attire un public certainement plus diffus.
La chapelle de Malval, c’est 120 places. Antigel, c’est la possibilité de faire un concert pour 50 personnes comme pour 5000. Au fil du temps, on nous a poussés à faire plus gros. Pour nous, il n’y a pas de concession sur nos programmations et seul le propos compte. On programme à l’envers : on part des lieux, et on se demande qui on aimerait voir s’y produire. En 2023, on a fait un concert de blues dans une serre à salades. Le concept ? Vous repartez avec une salade du producteur. C’est stimulant d’avoir à faire à des acteurs qui ne viennent pas du monde de la culture, mais cela implique de faire comprendre notre action et d’innover, en créant, à l’intérieur d’espace sans loge, électricité ou chauffage suffisants, un lieu accueillant et agréable pour le public, comme pour les artistes.
Existe-t-il des lieux à Paris porteurs de ces valeurs-ci ?
J’aime les anciennes gares SNCF transformées. Plus particulièrement, le Ground Control, derrière la Gare de Lyon.
Tes objectifs pour 2025 ?
La Suisse va accueillir l’Euro féminin de foot. J’aimerais y participer. Je rêve d’un spectacle populaire sur le lac…
Par Alexis Lacourte
Photo Basile Bertrand