ANTONIA SCINTILLA : « LA CRÉATION ÉMERGENTE »

Antonia Scintilla Fondation Pernod Ricard

Située à deux pas de la Gare Saint-Lazare, la Fondation Pernod Ricard fait place au dynamisme de la création et se passe d’une collection permanente. Rencontre art contemporain avec sa Directrice, Antonia Scintilla.

En janvier dernier, vous avez inauguré l’Aperto, une résidence d’artistes ouverte au public, à côté de la Fondation Pernod Ricard. Son concept ?
Antonia Scintilla : Je sentais que nous avions besoin d’un espace laboratoire, de recherche et d’incubation, à destination des artistes. C’est un espace ouvert, pour que le public puisse venir voir la création en train de se faire et rencontrer les artistes.

Son programme ?
La radio LYL, implantée à Bruxelles, Marseille et Paris, a été en résidence. Les équipes ont fait le broadcast de leur émission depuis l’Aperto. Précédemment nous présentions un projet croisé avec le Centre d’art Bétonsalon. En ce moment, en collaboration avec la saison culturelle France-Lituanie, un projet éditorial est en cours avec le studio Ariel Ink et After 8 books. En 2025, Lou Villapadierna, plasticienne et musicienne, développera ses recherches autour de la voix. Il y aura enfin un projet expérimental autour des pratiques curatoriales avec les Beaux Arts de Nice.

Avant 2021, la Fondation était située dans le 8e, rue Boissy-d’Anglas, à l’intérieur d’un immeuble chic, connu des amateurs d’art contemporain. Depuis, vous êtes installé à deux pas de la Gare Saint-Lazare, dans un immeuble entièrement vitré. Le public s’est-il renouvelé ?
Oui, et on a doublé le nombre de visiteurs. L’entrée et les expositions de la Fondation sont gratuites, il y a un café-restaurant et une librairie. Mais ce lieu a des défis. Situé au rez-de-chaussée du siège du Groupe Pernod Ricard, il n’avait d’abord pas vocation à être une Fondation. On l’a aménagé avec les architectes de NeM (qui ont travaillé à faire de la Bourse de Commerce, un musée, ndlr), pour qu’il soit le plus modulable possible pour les artistes. Nous avons également collaboré avec l’artiste Mathieu Mercier pour penser l’espace librairie et nous avons un projet avec une grand toile, renouvelée tous les ans avec une invitation faite à des artistes aussi.

La Fondation a été créée en 1998. Son acte de naissance ?
Il est lié à l’histoire de Paul Ricard, lui-même artiste passé par les Beaux-Arts de Marseille, qui a peint toute sa vie. Rappelé pour rejoindre l’entreprise familiale, il a continué de soutenir les artistes par son mécénat. Il n’a jamais collectionné, mais il a ouvert des studios de cinéma, des résidences d’artistes pour soutenir la création. Dans chaque région de France où Ricard était, il créait un Espace Culturel Paul Ricard, à destination des collaborateurs et des proches. C’est cette ambition-ci que la Fondation professionnalise depuis 1998.

À ceux qui veulent découvrir ou mieux s’informer à propos des scènes émergentes à Paris, où aller ?
Il y a par exemple énormément de résidences à la Cité internationale des arts. Des lieux comme le le Wonder, La Tour Orion ou Artagon permettent de rencontrer les artistes, en plus des galeries et des musées. Et bien sûr les Écoles d’art ! À Paris, le dynamisme est incroyable.

Est-ce une exception parisienne ?
Française, et je ne connais pas d’autres exemples. Le tissu de Centre d’art, de FRAC et de fonds régionaux, qui vient d’une dynamique de démocratisation et de décentralisation, est une exception culturelle, impulsée dans les années 1980.

Vous suivez la pluralité des créations émergentes et contemporaines. Percez-vous des tendances ou courants décisifs ces dernières années ?
On ne suit pas de tendance ou de forme. L’idée est de rendre visibles les pratiques artistiques actuelles, qui sont singulières et plurielles. Notre mission, c’est d’accompagner la création émergente. La Fondation est une plateforme d’expérimentations, d’échanges, de rencontres et de recherches. Avec l’objectif d’avoir un lieu qui reste à échelle humaine, ouvert sur la ville, convivial. C’est la manière dont on travaille, avec des commissaires invités, des chercheurs et des artistes. Il n’y a pas de collection. On veut rendre l’art accessible au plus grand nombre.

Présentez-nous l’exposition en cours, par l’artiste Florence Jung ?
C’est sa première exposition personnelle dans une Institution. C’est une artiste singulière, car elle ne crée pas d’œuvre mais écrit des scénarios, où tout est réel et où tout repose sur la rumeur. Elle a souhaité utiliser la Fondation comme un dispositif pour pousser le visiteur à regarder ce qui se passe à l’extérieur de la Fondation.

Les prochaines expositions ?
En février, nous accueillerons la première exposition personnelle de Tohé Commaret et Grichka Commaret, frère et sœur. Elle est vidéaste, il est peintre, et iels coréalisent un film, dont le point de départ est le quartier Robespierre à Vitry-sur-Seine, endroit où ils ont grandi. On finira la saison avec l’exposition « Férocité à domicile », dédiée à investiguer les liens complexes avec la figure maternelle, avec des œuvres historiques – de Chantal Akerman à Rosemarie Trockel –, mais aussi des artistes émergents, comme Rosa Joly, Harilay Rabenjamina ou Sebastian Wiegand. On accompagne par ailleurs un artiste passé par la Fondation, Wilfrid Almendra, a réalisé sa première exposition en Allemagne, dont on finance aussi la première monographie.

Depuis cinq ans, la Fondation co-finance avec le Ministère de la Culture, la plateforme d’écriture TextWork, dont le 35e numéro vient de paraître. L’objectif à terme est-il de réaliser une anthologie ?
On y pense. Pour le moment, l’objectif est toujours d’inviter des auteurs et des commissaires à écrire des textes de fond sur des artistes de la scène française, libre de droit, qu’on édite depuis deux ans, en petit format bilingue. Ces 35 textes sur des artistes de toutes générations confondues donnent un bon panorama de la scène française. La dimension éditoriale a toujours été capitale pour la Fondation. Depuis que nous sommes à Saint-Lazare, nous éditons également un journal semestriel.

Vos objectifs pour la Fondation en 2025 ?
Que la Fondation demeure un lieu ouvert, d’échange, d’accompagnement et d’expérimentations où l’on peut parler de sujets légers comme difficiles, avec convivialité et responsabilité, librement.

www.fondation-pernod-ricard.com/fr

 

Par Alexis Lacourte
Photo Davide Carson