LE POINT PORCHER : À QUOI ÇA SERT DE SE PAYER UN TOCARD ?

ministre Castaner tocard

Que notre ancien ministre de l’Intérieur se mette à brosser les pompes d’une grosse machine comme Shein contre un joli titre, on n’est plus à ça près. Mais que Shein veuille de lui, là, ça nous laisse pantois. L’économiste le plus durable de France fait les comptes.

Légende photo : YES, SERVIAM_ À peine installé à son poste (il est nommé conseiller Responsabilité sociétale des entreprises), Castaner s’est empressé de défendre son nouveau patron. « Mais puisque je vous dit qu’il a promis de changer !» C’est ça, cause toujours.

Castaner travaille pour Shein ! Comment est-ce possible qu’un ancien ministre d’un Président ayant clamé « make our planet great again » puisse accepter de travailler pour une marque étrangère, symbole de la fast fashion, dont le secret de la rentabilité se trouve très certainement dans la faiblesse des normes sociales et environnementales. À chaque révélation de ce type, grands naïfs que nous sommes, nous nous persuadons qu’il s’agit d’un cas isolé. M’enfin ! Comment un type comme Castaner, ancien socialiste, marcheur de la première heure, engagé pour la France et les Français, peut-il avoir fait cela ? Et comment l’ancien Premier ministre François Fillon a pu, après sa défaite à l’élection présidentielle, aller travailler chez Gazprom ? Et l’ancienne commissaire européenne à l’Action pour le climat, Connie Hedegaard, chez Volkswagen ? Et le Président de la Commission européenne, José Manuel Durão Barroso, chez Goldman Sachs ?

BON CHEVAL DE COURSE

Comment peuvent s’expliquer les drôles de parcours de nos anciens politiques ? On a tendance à penser que ceux qui s’engagent en politique le font pour changer le monde. C’est peut-être vrai pour certains, mais il faut bien avoir conscience qu’une carrière politique ressemble à une carrière professionnelle dans le privé. Il y a d’ailleurs des parcours d’excellence qui conduisent à la politique. D’abord, il vaut mieux faire des grandes écoles comme Sciences Po et l’ENA. À l’issue de ces grandes écoles, vous avez une chance de travailler directement dans un cabinet ministériel. Après quelques années de bons et loyaux services, on pourra vous offrir une circonscription gagnable souvent dans des endroits où les prétendants n’habitent pas ou n’ont jamais vécu.

En réalité, la réussite en politique ne consiste pas dans le fait d’établir un programme qui pourrait servir la majorité des Français, mais de savoir comment gravir des échelons dans une structure. S’appuyer sur des gens, soutenir les bons candidats puis les trahir, bref, savoir trouver le bon cheval pour pouvoir obtenir un poste en espérant être un jour le cheval de course, telles sont les qualités exigées pour être un bon politique. C’est le parcours de nombreux politiques à gauche, comme à droite. L’art de changer avec comme seule boussole son intérêt personnel. On peut citer Bruno Le Maire ou Gabriel Attal, deux hommes qui se sont côtoyés dans le même gouvernement alors qu’ils étaient opposants politiques, Bruno Le Maire étant au LR et Gabriel Attal, au Parti socialiste. Bruno Le Maire, pour ne citer que lui, s’est fait élire dans une circonscription où il n’habitait pas. Le parcours d’un politique ressemble donc à une succession d’opportunités plus qu’à une réelle volonté de changer la vie des gens.

QUELQUES MILLIERS D’EUROS

Lorsque l’on a bien compris cela, on comprend mieux pourquoi des anciens ministres qui ont souvent déjà été recasés à des postes aussi prestigieux qu’ambassadeur à l’OCDE, professeurs ou Président du conseil d’administration de la société concessionnaire française du tunnel routier sous le Mont-Blanc, comme Castaner, ne peuvent s’empêcher de se gaver, sans conscience, lorsque des marques étrangères leur proposent quelques milliers d’euros en plus. Toute leur vie, ils ont excellé dans l’art de se placer, de répéter un discours sans conviction pour se positionner, de soutenir quelque chose puis de faire le contraire, de jurer sur l’honneur pour ensuite trahir (comme Valls et François De Rugy qui n’ont pas soutenu le candidat gagnant à la primaire du PS, Benoît Hamon, voyant plus d’opportunités dans la candidature de Macron), toutes ces grandes qualités ne peuvent disparaître avec l’arrêt de leur carrière politique. Elles se poursuivent dans le privé, mais avec leur carnet d’adresses acquis en politique.

Ce mélange des genres, extrêmement malsain, entre grandes firmes et politiques ne serait pas accepté dans une démocratie qui se porte bien. Avec ce type d’affaire, chaque jour, nous avons un petit peu plus l’impression que certains font de la politique pour se servir, et non servir. 

Par Thomas Porcher