Belle gueule, carrure de déménageur, Alban Lenoir, 42 ans, est devenu l’homme fort du ciné français, qu’il distribue des torgnoles ou qu’il tourne dans de petits films indés. Alors qu’AKA déboule bientôt sur Netflix, il baisse la garde pour Technikart.
Légende photo couverture : SUR LE TOIT DU MONDE_ Découvert dans Un Français, signé Diastème, Alban Lenoir est devenu une star de Netflix en incarnant Lino, le petit génie de la mécanique dans Balle perdue et sa suite. Il revient dans AKA, un festival de bastons et des scènes d’action.
Tu viens de Dijon. Parle-nous de ta jeunesse.
Alban Lenoir : Ma mère m’a élevé seule, mon père ne m’a pas reconnu et ne s’est jamais occupé de moi. J’ai découvert Bloodsport à neuf ans, et je voulais être Van Damme. Je me suis mis aux arts martiaux, et j’ai fait des petits courts-métrages avec des potes. Mon parcours scolaire a été plus que chaotique. Je voulais déjà être acteur. À quinze ans, aucun collège en Côte-d’or ne voulait plus de moi et je me suis retrouvé dans un centre de formation d’apprentis pour passer un CAP. J’ai eu la chance de bosser deux ans en alternance dans mon vidéoclub. Je regardais des films en boucle et je discutais ciné avec les clients. J’ai alors découvert d’autres films que les Van Damme… J’ai fait un BEP et j’ai été viré au bout de trois jours. Ma mère m’a dit « Tu as gagné ! » et elle m’a envoyé à Paris.
Qu’as-tu fait ?
Le cours Florent, mais cela ne m’a pas plu du tout. En plus, ça coûtait un bras. J’ai fait de la figuration intensivement, avec mon vélo. J’ai dû faire 300 cachets de figu’ de 18 à 25 ans, jusqu’à ce qu’Alexandre Astier, que je connaissais de Dijon, me donne un petit rôle dans Kaamelott. Je reste persuadé que c’est ma persévérance qui m’a fait y arriver, plus que mon talent. Je ne connaissais personne ! Personne ! Puis Jean-Pierre Jeunet m’a pris sous aile pour passer le casting d’Amélie Poulain, mais ma mère est tombée malade et je suis retourné un an à Dijon. Vingt ans plus tard, il s’est souvenu de moi et il m’a fait tourner dans BigBug, l’histoire est belle.
Tu as joué dans Taken.
Quel plaisir, ça a été déterminant pour moi. J’avais deux jours de tournage, avec un mois et demi d’intervalle entre les deux. J’avais deux répliques avec Liam Neeson (68ème minute, « Votre nom, monsieur ? Je suis désolé, vous n’êtes pas sur la liste ») et il me fume dans un ascenseur. Le premier jour, je monte dans l’ascenseur. Un mois et demi plus tard, il me latte. Ce matin-là, il me salue par mon prénom, me demande comment ça va, on a parlé trente minutes. Il était bienveillant et pro. J’y pense souvent.
« À NEUF ANS, JE VOULAIS ÊTRE VAN DAMME… »
Ton gros break, c’est Un Français, de Diastème, où tu incarnes un skinhead.
Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit que je n’aurais pas le rôle, mais que si par bonheur je l’avais, ma carrière serait lancée. Pendant toutes mes années de galère, j’étudiais les carrières des autres acteurs. Je me suis aperçu que Romper Stomper avait lancé Russell Crowe, même chose pour Ryan Gosling avec Danny Balint, Tim Roth et Made in England, Edward Norton dans American History X… Je me suis dit que c’était mon tour, et c’est ce qui s’est passé. Très peu de gens ont vu le film, mais du jour au lendemain, la profession savait qui j’étais.
Il faut donc jouer un skin pour percer au cinéma ?
En tout cas, ça m’a aidé, ainsi que mon parcours martial. J’ai aussitôt pensé que ce serait le meilleur rôle de ma vie et pour l’instant, je le pense toujours. Mon autre chance, c’est qu’après Un Français, j’ai aussitôt enchaîné avec Antigang, aux côtés de Jean Reno.
Tu te rappelles des Gamins, avec Max Boubil et Alain Chabat, où tu te masturbais sur une photo de Sandrine Kiberlain ?
Oui, oui (rires). J’avais sympathisé avec Max sur une série, Le Pion, avec Faudel, oui, je sais, je reviens de loin, puis avec le réalisateur, Anthony Marciano, qui me laisse choisir entre deux rôles. Un rôle avec une quinzaine de jours de tournage, et ce petit rôle dont tu parles. J’ai choisi le plus marquant et ça a marché car on m’en parle toujours.
On t’envisage maintenant comme LE spécialiste du film d’action, alors que tu n’as pas fait que cela, je pense notamment aux formidables Crevettes pailletées.
La même année, je peux faire Balle perdue, Gueule d’ange et Les Crevettes. Merci la vie et aux réalisateurs qui m’ont fait confiance. J’ai du bol, mais également une frayeur, car en ce moment j’enchaîne les films d’action et je n’ai surtout pas envie d’être catalogué définitivement dans l’actioner. J’ai fait passer le message comme quoi je rêvais de tourner dans une comédie romantique. Ma chance, c’est que tous les metteurs en scène avec qui je travaille me rappellent pour bosser. Je croise les doigts pour la suite.
En France, on n’a pas beaucoup d’acteurs qui ont la carrure pour ce cinéma très physique.
Ce n’est pas que l’on n’est pas beaucoup, c’est qu’il n’y a pas de films… Pendant des années, on n’a pas réussi à faire financer Balle perdue, avant d’avoir l’accord de Netflix. Et ce film a permis à plein d’autres d’exister. Nous avons beaucoup de talents en France, des acteurs, des cascadeurs, ils vont arriver…
Avec tes films, c’est le plaisir du cinéma d’action de Van Damme à Schwarzy, en passant par Mad Max et Jackie Chan que tu retrouves ?
C’est complètement ça. J’étais fou du cinéma d’action des années 1990 : Stallone, Schwarzenegger, Seagal, Van Damme, Jet Li, Jackie Chan… C’est cet amour du old-school qu’on voulait avec Guillaume Pierret retrouver avec Balle perdue, avec zéro VFX. J’ai l’amour de ce cinéma et j’essaie d’en garder l’esprit, l’essence. Et pour que le spectateur soit en immersion totale, je refuse les doublures, car ça me sort du film en tant que spectateur.
Au cinéma, tu aimes vraiment te bastonner ou rouler à 200 km/h ?
Pour être honnête, j’aimais bien me bastonner, mais comme je vieillis, ça commence à piquer… Quant à la conduite, j’adore piloter sur un circuit, c’est un kiff absolu, car je ne mets que ma vie en danger. Sur un plateau de tournage, je suis terrorisé à l’idée que ça se passe mal.
Sur AKA où tu joues un agent infiltré, c’est toi le boss ?
Pas du tout. J’ai écrit ce film, qui est un très vieux projet, avec le réalisateur, Morgan Dalibert. On a pu monter ce projet à la suite du succès de Balle perdue et au producteur Rémi Leautier. Et Netflix m’a suivi. Je suis très présent sur le film, mais il y a un producteur qui fait mille fois mieux son travail que je ne le ferais jamais, et un réalisateur bien plus doué que moi. J’avais déjà assez de taf avec le maniement des armes à feu et ma prise de poids.
Mais oui, que s’est-il passé sur ce film ? Tu ressembles à Hulk avec des muscles partout.
Je suis passé de la taille M à XL, voire XXL à la fin ! On voulait que je sois dangereux, donc plus massif. Impossible également que les spectateurs de Netflix aient l’impression de revoir Lino six mois après dans une autre histoire.
Comment ça s’est passé avec Éric Cantona, le gros méchant du film ?
Vraiment, ça a été un bonheur. Il est pro, humble, c’est un super partenaire. Que la caméra soit sur lui ou non, il envoie ! Il m’a épaté tous les jours.
Est-ce que le film indonésien The Raid a été une source d’inspiration ?
Ce n’est pas du tout l’idée mais maintenant, dès que tu as un personnage qui monte trois étages, tu penses à The Raid (rires). On m’a également parlé de A Beautiful Day, avec Joaquin Phoenix, mais je n’y avais pas pensé non plus.
Vous avez tourné AKA en combien de jours ?
En dessous de 38.
Tu as 42 ans et déjà plus de 80 films et séries à ton actif.
Ça me parait beaucoup, il doit y avoir mes cachets de cascadeurs, des micro-rôles. Mais c’est vrai qu’à partir d’Un Français, j’ai essayé de ne pas trop perdre de temps…
Le futur pour toi, c’est les États-Unis ?
C’était mon rêve. On m’a fait des propositions après Balle perdue, grâce à la force de frappe de Netflix dans le monde entier. Des énormes projets que j’ai refusés à cause d’AKA. Mais je ne rêve plus du tout de cela, mon seul rêve, c’est de faire de bons films en France. J’aimerais avoir une carrière comme Jon Bernthal : il porte la série Punisher, mais il joue aussi dans Le Mans 66, Fury où il est dément, dans Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese… C’est cela mon rêve.
AKA, sur Netflix le 28 avril
Entretien Marc Godin
Photos H. Lawson-Body