ALI ABBASI : « JE VAIS PEUT-ÊTRE AVOIR À QUITTER LES ETATS-UNIS »

The Apprentice d’Ali Abbasi

Grosse sensation de Cannes, The Apprentice raconte la jeunesse de Donald Trump et ses relations avec son venimeux mentor, l’avocat Roy Cohn. Derrière la caméra, le petit génie de Border. Rencontre en short.

Vos trois derniers films, Border, Les Nuits de Mashhad et The Apprentice, sont centrés sur des monstres et des freaks. Pourquoi ? 
D’une certaine façon, les monstres nous aident à définir notre propre humanité. Quand on parle de monstre, on parle de ce qu’est un être humain, c’est une question existentielle. Et puis, je trouve que c’est assez excitant d’aller chercher de l’humanité dans des endroits improbables, voir le monde à travers l’œil de l’autre. J’ai cette facilité, ce don, pour me mettre dans la peau de personnes que je n’aime pas particulièrement ou avec lesquelles je ne suis pas du tout d’accord. 

Êtes-vous intéressé par la politique et Trump ?
Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas intéressé par les débats politiques autour de Trump ou la pseudo rivalité entre Démocrates et Républicains. Mon film est basé sur cet homme à la personnalité complexe et sa relation unique, étrange, et l’avocat Roy Cohn, un mec vraiment bizarre, un weirdo total, cette rencontre entre deux outsiders. J’étudie la politique américaine à travers ces deux personnages et c’est plus intéressant. Je ne suis pas certain que ce soit un film sur Trump et que les spectateurs vont apprendre un truc révolutionnaire qu’ils ne connaissaient pas. Ce n’est absolument pas un biopic ou une série en quatre parties sur la vie de Donald Trump.

Ayant bossé sur Trump pendant longtemps, est-ce que vous avez changé d’avis sur cet homme qui parle maintenant de migrants qui mangent des chiens ou d’avortement après la naissance ? 
Pas vraiment, non ! Vous savez, en 1989, c’est ce même homme qui a acheté une page du Time pour demander la pendaison des Central Park Five (cinq ados afro-américains reconnus coupables, puis incarcérés pour le viol d’une femme blanche qu’ils n’avaient pas commis, NDR). Il avait demandé leur exécution. Mais pourquoi ? Je ne cois pas qu’il soit conservateur, ou qu’il soit libéral. Il est Trump. Il a cet aspect punk-rock, comme Roy Cohn. Il n’en a rien à foutre !

Est-ce que The Apprentice est une version punk de Barry Lyndon ?
Oh ouais, j’adorerais. Vous pouvez me le répéter encore et encore ? (rires) C’est vrai qu’il y a des affinités entre Trump et Redmond Barry. Ils sont ambivalents, et Redmond est un arriviste qui s’approprie les codes et les manières de son entourage car lui-même n’a aucune conviction.

Avez-vous eu de l’argent américain pour le financement et des pressions ? 
C’est une coproduction et on a eu de l’argent américain, bien sûr. Mais j’ai toujours des pressions ! Quand j’ai fait Border, on a voulu le vendre aux Américains qui adoraient le film. Ils nous disaient « c’est trop drôle, c’est original, c’est un grand film, mais pourquoi montrez-vous un pénis qui sort d’un vagin ? » (rires) Mais je n’en sais rien ! Et ils sous-entendaient que je me compliquais l’existence et celle du film. Mais ils voulaient bien me la simplifier en coupant la scène. Avec Les Nuits de Mashhad, ce fut exactement la même chose. « C’est un grand film sur le mouvement des femmes en Iran. Mais pourquoi cette violence et cette scène de fellation non simulée ? » Quant à Trump, il a l’habitude de rudoyer le monde, tout le monde a peur de lui. 

Vous avez déjà reçu une plainte ?
Lors du festival de Cannes, le porte-parole de campagne a menacé de porter plainte (« ce film n’est qu’une diffamation purement malsaine… Il mérite d’être brûlé », NDR). On verra quand le film va sortir (le 11 octobre aux USA, NDR), car pour l’instant personne ne l’a vu. D’ailleurs, je lui recommande de voir le film d’abord ! Je suis sûr qu’il va le regarder et qu’il va balancer son avis sur les réseaux. 

Comment avez-vous travaillé avec Sebastian Stan qui qu’il devienne cette jeune version de Donal Trump ? 
On a beaucoup travaillé en amont. Ce qu’il y a de bien avec Trump, c’est que sa vie est très documentée, on a beaucoup d’interviews, et même sur ses années de jeunesse. On a essayé de capturer ses tics, son langage corporel, mais on ne voulait absolument pas copier trop servilement, ou encore moins parodier Trump. Il faut vraiment doser ses effets avec un tel personnage, 10% en plus et vous vous plantez. En plus, le personnage évolue durant toute la durée du film pour devenir à la fin, dans les 80 années, cet homme que l’on connaît maintenant.

Vous avez tourné au Canada.
Dans les années 70, New York ressemblait à une zone de guerre, c’était apocalyptique, avec des buildings écroulés, des terrains vagues… La ville allait être en faillite. On voit ça partiellement dans Taxi Driver ou Macadam Cowboy. Le New York des années 70 a disparu, mais cette ville est très facile à recréer, et ce partout dans le monde, notamment parce qu’elle a inspiré tant de mégapoles. Je suis certain qu’on pourrait même la recréer à La Défense ! Même chose pour Los Angeles. Vous savez que Coralie Fargeat a tourné à Cannes et à Nice alors que The Substance est censé se passer à L.A. Nous, on a finalement tourné à Toronto. On a regardé un tas d’actualités de l’époque pour reconstituer notre New York des 70’s. Et on a également adopté le langage des actus pour tourner certaines scènes, une certaine rugosité, une certaine urgence. Et on a couplé nos scènes avec des scènes d’archives

Vous pensez que Trump va aimer votre film ?
Oh, je pense qu’il va aimer le début et le fait qu’il soit incarné par Sebastian Stan. Pour la seconde partie, je ne sais pas trop, mais c’est un homme surprenant, on verra…

Que va-t-il se passer lors de la sortie américaine du film ?
Je ne sais pas, je vais peut-être avoir à quitter les Etats-Unis (rires). 

Vous pourriez retourner en Iran, votre pays natal ? 
Absolument. Mais je ne sais pas s’ils me laisseraient en repartir (rires)…


The Apprentice
d’Ali Abbasi
Sortie en salle le 9 octobre


Par Marc Godin