Fraîchement nommée rédactrice en chef de la bible des fashionistas anti-fashion Antidote, la franco-britannique Alice Pfeiffer y parle autant de migrants que de chiffons. Engagez-vous, qu’ils disaient ?
Alors que c’est la panique chez les confrères de la presse féminine, le tout nouveau numéro du très chic Antidote, le premier sous la direction de Alice « Fantastique » Pfeiffer (son blaze sur Instagram), tombe à point nommé. Plus queer, plus banlieue-friendly, plus « socially aware », le magazine biannuel est parfaitement de son époque.
Lancé il y a sept ans par Yann Weber – ancien directeur mode et image de l’Express Styles puis creative director du Elle France, qui dirige aujourd’hui la création et la rédaction d’Antidote – le média ne change pas de forme : un thème (cette fois-ci, « Borders ») et un seul et unique photographe (le Turc Olgaç Bozalp) par livraison. Pour le fond, la nouvelle red-chef d’à peine 32 ans, embauchée en octobre dernier, souhaite le mag « plus jeune, irrévérencieux, porté sur la culture, la culture pop, la société, traitant tous ces sujets avec égalité, sérieux, critique ». Tout en respectant la nouvelle formule, lancée il y a deux ans par le DA/proprio d’Antidote, « qui mélange instinctivement les cultures, les genres, les mondes, les problématiques, sans les juger ou les hiérarchiser ». Son truc en plus ? Cette Franco-Britannique, biberonnée au meilleur de la presse anglo-saxonne et à la très exigeante London School of Economics (LSE), est bien décidée à atomiser, une bonne fois pour toutes, la frontière séparant la culture intello (ou comme elle dit, le « highbrow ») du reste (le « lowbrow »). Ce qui donne des articles sur « la pluralité des coming-out », « le multiculturalisme du luxe », le « streetwear métissé », etc.
Et comment en serait-elle arrivée là ? Un master de « Gender Studies » de la LSE en poche, elle tente la lettre de motivation au bureau parisien du International New York Times. Peut-elle commencer lundi, elle peut – la voici lancée dans la carrière journalistique. « J’ai commencé, à partir de cette première expérience et de fil en aiguille, à écrire pour beaucoup de supports anglo-saxons – Dazed & Confused, Vogue UK, Monocle, Wallpaper – où l’on m’attribuait des sujets dits “féminins” : joaillerie, beauté, mode, luxe… Ne me sentant pas directement concernée ni cliente, j’y ai cherché une autre forme d’intérêt, en l’occurrence les questions de genre et de société que chaque acte de consommation révèle. » Petit à petit, cette façon qu’elle a d’explorer « le luxe en tant que phénomène sociétal » en fait une fixture chez nos confrères : elle devient une signature « mode » au Monde, à L’Express, sur Arte (elle s’y amuse des dernières tendances dans les pastilles « Parlez-vous fashion ? »), aux Inrocks (elle y écrit toujours, paraît-il). En se faisant ainsi une place dans des médias non spécialisés – et auprès d’un « public non genré » –, le style Pfeiffer s’affine. Ton grand public, ce regard resté pointu, et toute une palette d’engagements hors-mode. « J’aime beaucoup l’idée que quelqu’un qui ne consommera pas les produits, ne s’identifiera pas aux silhouettes des défilés, et qui tombera un peu accidentellement sur ces pages, y trouvera une résonance au restant du contenu, une ouverture inattendue. »
👉 L’intégralité du portrait à retrouver dans notre numéro 211
DIANE LESTAGE
Technikart #211, avril 2017