Anne-Cécile Mailfert « La Touchette peut nous affranchir ! »

Anne-Cécile Mailfert

 LA PÉPITE DES ARCHIVES 

ANNE-CÉCILE MAILFERT, PRÉSIDENTE D’OSEZ LE FÉMINISME ET INITIATRICE DE LA CAMPAGNE « OSEZ LE CLITO », LE CLAME HAUT ET FORT. LA TOUCHETTE PEUT ÊTRE UN ACTE D’ÉMANCIPATION. UNE INTERVIEW DE 2014 QUI A GARDE TOUT SON SEL !

La touchette chez les hommes semble admis de tous alors qu’elle gêne toujours dès qu’il s’agit de femmes. Pourquoi selon vous ?
Anne-Cécile Maifert : Effectivement la masturbation féminine n’est pas regardée de la même façon dans la société. Prenez les teen-movies. Typiquement, il n’existe pas d’American Pie au féminin. Sexualité féminine et masculine ne sont pas traitées de la même manière, ce qui reflète de nombreux tabous et inégalités. Le plaisir des femmes a longtemps été considéré comme un péché sous prétexte qu’il pouvait nous faire perdre la tête. Les religions, et notamment l’Église catholique, ont donc entrepris de contrôler le corps des femmes, réduisant l’acte sexuel au plaisir de l’homme et à la procréation. La masturbation féminine peut donc poser problème en ce sens qu’elle signifie que les femmes peuvent prendre du plaisir, découvrir ce qu’elles aiment ou non, seules. Cela dérange l’ordre établi.

Les adolescentes sont-elles tentées par la masturbation différemment que les ados ?
Les enfants se masturbent dès la petite enfance. Vient ensuite l’adolescence, l’appétit sexuel est selon moi présent chez les filles comme chez les garçons. Il y a cependant un important tabou qui pèse sur la sexualité des femmes. On a l’idée que la sexualité d’une femme débute lorsqu’elle perd sa virginité. Perdre sa virginité c’est quoi ? Être pénétrée par un homme. Alors que la sexualité, c’est : commencer à connaître son corps, à découvrir le plaisir.

Les femmes n’ont jamais eu autant accès au porno. Avec quels effets ?
Il faut savoir que l’industrie du porno est tenue par les hommes, pour les hommes. De fait, les codes et les fantasmes qu’on y trouve suivent ceux de la domination masculine. Ça conditionne de nombreux hommes, on leur montre ce qu’ils doivent désirer. Les femmes sont aussi conditionnées à accepter ce positionnement d’objet sexuel, certaines tentent le coup en visant le plaisir. Je peux comprendre que beaucoup de femmes ne se retrouvent pas dans la représentation d’elles qu’elles retrouvent dans le porno. Je comprends que certaines se disent : « Ah mais être dominée ça ne me fait pas jouir du tout ! ». C’est compréhensible et c’est bien. La jouissance vient de la stimulation physique et de nombreuses stimulations sensorielles comme l’imagination, l’odeur, le toucher. C’est ce tout qui pousse l’excitation à son comble et peut conduire à l’orgasme.

Le porno féministe fait parler de lui depuis plusieurs années, pensez-vous que ce soit une bonne entrée en matière pour s’initier à la touchette ?
Pas du tout. La pornographie nous plaque des images, des idées. En nous montrant ce qu’il faut désirer, elle restreint nos capacités, notre imagination érotique. Il pourrait y avoir des choses fantastiques et puisqu’un film va figer deux images, on va s’en contenter. Il faut essayer de trouver ses propres fantasmes, découvrir son propre plaisir, au-delà de ce que les autres ont imaginé pour nous, au-delà de ce que la société a pu imaginer pour nous. Il faut aussi surpasser la représentation d’une « bonne sexualité », d’un « bon désir »… Dans notre société, les codes du désir sont extrêmement machistes, il faut que les femmes se découvrent d’elles-mêmes.

Pour beaucoup d’hommes, la masturbation doit aller de paire avec la pénétration chez la femmes.
C’est une chose qu’on ne dit pas souvent, mais le vagin est très peu énervé. Je pense que toutes les filles qui me liront comprendront ce que je veux dire… On ne jouit pas quand on met un tampon. En revanche, le clitoris est le seul organe entièrement dédié au plaisir. L’unique job du clito c’est la jouissance. C’est quand même génial. Il n’est pas seulement à l’extérieur, il a aussi des ramifications à l’extérieur, autour du vagin. C’est l’excitation du clitoris par l’extérieur et l’intérieur qui amène à l’orgasme. D’autres parties du corps peuvent aussi jouer leur rôle, mais gardons à l’esprit que celui du clito est majeur. Il faut que le clitoris soit stimulé.

Il existe plusieurs types de clitoris, à chacun sa méthode en matière de touchette ?
Oui je pense. Chaque femme est différente. Aujourd’hui on arrive à des aberrations telles que la chirurgie plastique pour la vulve, c’est complètement idiot. Chaque femme a une vulve différente, reçoit les informations de manière différente et va jouir, si elle le souhaite, de manière différente. C’est pour ça qu’il n’y a rien de mécanique, et par conséquent pas de mode d’emploi. Il n’est jamais obligatoire de jouir, ou de ressentir des sensations fortes.

La masturbation est elle pour vous un moyen de s’émanciper des hommes ?
Oui, la touchette peut nous affranchir. Ça peut permettre aux femmes de découvrir leur corps et leur plaisir seule plutôt que de le faire uniquement à travers d’hommes qui entendent nous « montrer » ou nous « initier » à la jouissance.