À l’âge où beaucoup commencent à se répéter, Julien Gangnet sort un premier roman impeccable. Sorte de « Parisian Psycho » en forme de lettre d’amour aux trottoirs de la ville.
Il a été cuisinier aux Bains-Douches, a écrit pour la pub, la télé et le cinéma ou joué dans Nonfilm de Quentin Dupieux. Julien Gangnet a été l’ami de Joey Starr dont il avait fait le portrait dans Technikart, quand le rappeur vivait reclus dans son pavillon de Saint-Ouen. Et de MC Jean Gab’1 dont il a écrit la biographie, et contre lequel il a gagné son procès lorsque son nom a disparu de la couverture. Il publie aujourd’hui son premier roman qui se déroule entre Barbès, Max Dormoy et la porte d’Aubervilliers. Un coin qu’il a arpenté jadis, une bombe de peinture à la main : « Je suis parigot, je suis né ici, j’ai sillonné la ville, je la connais bien ».
L’anti-héros et narrateur de Mon business model, Joseph, a « toujours entrevu la promesse d’un destin hors-norme », mais son père est plus circonspect : « T’es un aimant à emmerdes (…) Fais-en un métier, c’est la fortune assurée. » Du coup quand on lui propose un poste d’enquêteur dans une petite agence de presse spécialisée dans les chiens écrasés, il pense que c’est l’occasion qu’il attendait… « C’est un mec qui n’a pas fait d’études, qui ne peut pas travailler dans un grand journal. Et les fait divers, c’est une source qui ne se tarie jamais, il y aura toujours des tarés pour tuer leur femme. C’est même fascinant qu’il y ait encore des mecs qui tentent le coup. Jubillar, t’as envie de lui dire : “mec t’as pas internet, tu lis pas les journaux ?” »
Dans sa quête d’infos exclusives, Joseph recrute une batterie d’informateurs dignes des Mystères de Paris. « J’avais la crainte des clichés. Le crack-head en costar cravate, je l’ai vraiment rencontré. Alors que le marabout 2.0 qui n’a jamais mis les pieds au bled, c’est plus mon idée. Après, c’est de l’assemblage. » À le lire, on entend le langage du pavé, mais son roman est pourtant écrit dans un français classique et tenu : « J’adore l’argot, le parler, l’écouter, mais dès qu’il est écrit, il perd de sa fraicheur… Michel Audiard, n’utilise pratiquement pas de mots d’argot, mais construit ses phrases pour que ça ait l’air d’en être ». Ici ça donne : « Son cul 16/9 surplombant des bas coutures », ou « Mal mariée avec un barbu féru de voyages, dont l’insistance à rejoindre le califat avec les enfants avait dégradé leurs rapports… »
UN JUSTICIER DANS LA VILLE
Malgré sa réussite professionnelle, la trajectoire de Joseph vire au thriller. « Il s’est fixé la mission folle de punir ceux qui traitent mal les enfants. » Jusqu’au meurtre ? « Je voulais qu’il ait un passé et un passif familial pour que ça ne soit pas un roman gauchiste ou les conditions sociales expliquent tout. » On peut pourtant lire Mon Business Model comme une dénonciation des théories libérales. Mais Julien Gangnet le voit plutôt comme un constat. « Il lit des magazines comme Entreprendre et prend tout au pied de la lettre. Et il applique ces théories avec un peu moins de moralité et un peu plus de brutalité qu’il ne faudrait. »
Seul regret face à un tel roman, que Julien Gangnet n’ait pas pris la plume plus tôt. « Pour l’écrire j’ai mis entre 2 et 50 ans. Je me laissais impressionner par la tache jusqu’à ce qu’on me dise “écris une page par jour, à la fin de l’année tu as un bouquin”. T’es pas Victor Hugo ou rien. Ça se travaille et pas seul, avec ton éditeur… Paul Schrader rédigant le scénario de Taxi Driver en cinq jours, maintenant je pense que c’est une légende urbaine. »
Par Jacques Braunstein
Photo ©Adrien Lagier