BERTRAND USCLAT, COMIQUE BROUTAL : « JE NE SUIS PAS UN SOCIOPATHE »

BERTRAND USCLAT

Dans sa série parodique Broute, Bertrand Usclat est tour à tour étudiant du Crous en galère, député LREM incompétent ou hétéro asexuel moralisateur. Et quand il se rend chez Technikart, lequel de ces alias va-t-il nous ressortir ? Interview schizo. 

Depuis le lancement du premier épisode de Broute en 2018, la série cartonne (trois millions de vues sur Facebook à chaque fois). Vous venez de mettre en ligne la dernière vidéo de la saison 2 (un escape game sur le thème des migrants). Vous êtes à l’aise avec votre succès ?
Bertrand Usclat : Broute, c’est ma première réussite… Alors tout ça, c’est nouveau pour moi. Comme les interviews d’ailleurs, je suis un débutant. 

Votre formation au Conservatoire d’art dramatique ne vous destinait pas à tout ça. Pourquoi avez-vous quitté le théâtre ?
Déjà, la caméra fait partie du fantasme de l’acteur. Mais surtout, j’ai su assez vite que je ne voulais pas rester dans cette logique de hiérarchie des rôles et attendre avant de décrocher un rôle important. À l’époque, j’étais déjà un gros geek, ce qui n’est pas commun pour un théâtreux qui a plutôt la vie d’un rat de bibliothèque. Je passais ma vie sur mon ordi à traîner sur des sites comme Koreus et puis YouTube. J’ai vu qu’il n’y avait pas de comédien sur Internet, qu’il y avait un créneau à prendre, alors on a commencé en créant le collectif Yes vous aime. 

Puis arrive Broute. 
C’est venu comme ça. Un soir, j’étais seul, j’ai pris la caméra qui traînait dans les bureaux de Canal+ et j’ai mis play. C’était la première fois que j’abandonnais cette notion d’alias. J’étais fondamentalement terrifié à l’idée d’avancer seul, en mon propre nom, face cam’. Mais j’ai balancé la vidéo sur mes réseaux. Et le lendemain, Arielle Saracco (à la tête du pôle Création originale de Canal+, ndlr) m’appelle : « T’as pensé à en faire une série ? Non ? Bah t’es bien con » (rires).

On sait que votre registre, c’est la parodie. Mais de qui vous inspirez-vous en matière d’humour ?
Des humoristes de radio publique, majoritairement. France Inter a un positionnement intéressant de ce point de vue-là. Tous les Vizorek, Meurice, Pierre-Emmanuel Barré ou VDB réussissent quelque chose de très pertinent en faisant de la blague de texte qui n’a pas besoin d’être jouée. Ils singent en fait la posture du chroniqueur. Et pour ce genre d’humour, tu es obligé de passer par une technique d’écriture hyper-carrée. Et de fait, les conneries les plus simples à écrire, je les fais jouer par des personnages et je les mets en situation.

Comment vous y prenez-vous pour créer ces situations ? 
J’ai toujours été fasciné par les organisations de pouvoir. Que ce soit dans un but dramaturgique ou même au quotidien. Dès que je regarde quelqu’un, je me demande quel est son but, ce qui va le faire agir, pour ensuite le réduire à ces objectifs et obtenir ce dont j’ai besoin. 

C’est un truc de sociopathe, non ? 
Peut-être (rires). Mais non, je vous rassure, je ne suis pas un sociopathe ! Seulement, mes personnages et leur substance me viennent de ce genre de réflexe un peu caricatural. 

Ce sont les personnages de pouvoir qui vous intéressent ?
J’ai un fantasme sur l’homme politique. Ce type un peu gogol, mais pas branleur du tout. Si je fais un Broute long format, j’aimerais faire quelque chose à la manière des films de Raymond Depardon, mettre en scène un politique qui doit faire des compromis mais qui se demande à la fin de la journée « j’aurais pas trop négocié, moi ? ». J’aime quand les gens sont obligés de trahir leur cause pour une cause plus grande.

Dangereux comme logique, non ?
Si ! Mais c’est beau, c’est triste, c’est risqué. Et toujours plus intéressant à filmer quand ça rate. 

Vous vouliez faire de la politique plus jeune, d’ailleurs.
Je suivais une licence de com’ politique, précisément. Puis j’ai voulu faire du management, culture et média à Sciences Po. J’aimerais pouvoir vous dire que j’ai trop de convictions pour faire de la politique, mais c’est surtout parce que j’ai raté le concours plusieurs fois (rires). C’est pas plus mal comme ça. 

Finalement, vous préférez avoir un rôle de clown ou de bouffon (au sens dramaturgique du terme) ?
Je trouve que le bouffon a trop de responsabilités, parce qu’on va attendre de lui qu’il ridiculise sans cesse le pouvoir, et que le clown n’en a pas assez. J’aime bien le clown pour sa valeur poétique, mais je ne veux pas être dans la satyre permanente. Par exemple, l’épisode sur Méliès est un de mes préférés, pour une fois on termine de manière jolie, pas avec un gros coup de poing dans la figure. Et puis je n’ai pas envie d’avoir un devoir à remplir, ni vis-à-vis du roi, ni vis-à-vis du peuple. Je suis beaucoup plus lâche que ça, moi.

Et pourtant vous parlez de sujets de société relativement sensibles. 
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant le sujet problématique à traiter, mais la posture du personnage qui en parle. Je parodie surtout des comportements-types, jamais des opinions ou des ressentis. Sans arrêt je me demande comment créer un personnage qui aura la légitimité de parler de certains sujets qui parfois touchent des minorités. Pour parler de sexualité, on va mettre en scène une fiction avec un personnage asexué, c’est décalé et ça permet de ne pas être dans l’optique de production de pensée. Et le plus important, c’est que je crée dans un domaine où je suis seul. Je n’ai aucune envie de me mettre en concurrence avec qui que ce soit. Je fais de l’humour pour mon propre plaisir.

Broute : saison 1 et 2 à revoir sur YouTube et Canal+ 


Par 
Violaine Epitalon
Photo Augustin Détienne (CANAL+)