Ce jeune espoir de l’art contemporain français investit ce mois-ci les espaces du Palais de Tokyo à la suite de Philippe Parreno et de Tino Sehgal. Son oeuvre est déroutante, et la dame se veut insaisissable. Un manifeste ?
« Camille Henrot parle exclusivement de son travail. » Nous voilà prévenus. Nous n’évoquerons avec elle ni son compagnon, le musicien et producteur Joakim, dont elle a clippé certaines chansons et avec lequel elle vit à New York depuis cinq ans, ni même ses débuts lointains auprès de l’artiste Pierre Huyghe (elle fut son assistante en 2001), et encore moins ses pubs créées à la sortie de l’ENSAD (École nationale supérieure des arts décoratifs), pour la marque Président entre autres. Nous partons donc à la rencontre de ce grand espoir de l’art contemporain pour lui parler de son expo en cours au Palais de Tokyo, et rien d’autre.
Mais on se pose quand même la question : comment peut-on être une artiste aussi cotée que Camille Henrot, avoir raflé un Lion d’argent à la 55e Biennale de Venise, opéré en quelques années une ascension remarquée à l’international, tout en restant aussi discrète ? À l’occasion de la conférence de presse préalable à l’exposition, un journaliste – visiblement mal informé – lui demande de parler de son enfance. Camille Henrot répond : « Je ne me suis jamais sentie tenue à rien. » Next !
Grande bibliophile, cette haute dame pâle et parfois taciturne de 39 ans évoque, citant John Cowper Powys, une « philosophie personnelle de la solitude ». Préoccupée par un désir vorace de « voir et connaître toujours plus de choses », elle joue de la notion d’échec inhérente à toute entreprise totalisante. « Une œuvre est meilleure si elle est impossible », dit-elle.
En 2013, elle a consacré sa résidence au Smithsonian de Washington à ce qu’elle qualifiait de « projet sur tout ». Le résultat, un court-métrage intitulé Grosse Fatigue qui lui a valu la consécration à Venise, est caractéristique de son travail : ce défilement psychotique d’images fixes et en mouvement, d’archives ou de synthèse, s’apparente à l’inventaire impossible de la stratégie humaine et transculturelle visant à raconter l’histoire de l’univers…
LES JOURS DE LA SEMAINE
Invitée à occuper les espaces du Palais de Tokyo, dans le cadre de la traditionnelle « carte blanche » dédiée à un artiste international, Camille Henrot prend la suite de Philippe Parreno et de Tino Sehgal. Un défi. Avec Days are Dogs, elle choisit d’explorer comment les jours de la semaine structurent notre rapport au temps (et l’exposition, sagement découpée en sept parties).
« L’excès de zèle dans la manière dont on adopte un principe est une manière de le subvertir », avertit l’artiste. Le carcan, la banalité quotidienne, se gonfle du débondement des mythes, allégories et sens multiples que recèlent ses œuvres, en écho avec celles d’une demi-douzaine d’artistes invités. « L’œuvre d’art n’est pas une chose, c’est une façon de voir, une vision pure qui met la réalité à même de se faire voir », a écrit le philosophe Ernst Cassirer. Concernant Camille Henrot, c’est un rapport au monde : « Faire vivre la connaissance comme une expérience physique, pas comme un savoir à acquérir », dit-elle en écho au philosophe.
À la lumière de son travail, il semblerait paradoxal que Camille Henrot ne rechigne pas à se laisser elle-même définir. Les unes après les autres, ses expositions se dressent tels des remparts contre ce maître-mot du rationalisme et ce qu’il recèle de déterminisme morbide : dé-finir, definire, c’est mener quelque chose à sa fin ; c’est aussi bien l’achever.
Days are Dogs, carte blanche à Camille Henrot, au Palais de Tokyo (Paris 16e), du 18 octobre 2017 au 7 janvier 2018
MARINE RELINGER
Paru dans Technikart #216, octobre 2017