Journaliste politique la plus glam’ de la Vème , devenue portraitiste de choc dans le JDD, Catherine Nay revient avec le deuxième volume de ses Mémoires, particulièrement piquant. La Saint-Simon de l’Ouest parisien a accepté de passer en revue les présidentiables pour Technikart.
On sait ce qu’on pense d’un livre si on compte les pages en espérant qu’il en reste le moins possible, ou si on aimerait au contraire que ça ne finisse pas. Les Mémoires de Catherine Nay appartiennent à la deuxième catégorie.
Cette histoire personnelle de la Cinquième République devrait être enseignée à l’école. Incarné, perçant, constellé de choses réellement vues, son récit offre le corrigé d’évènements que nous avons vécus au jour le jour, sans pouvoir les comprendre immédiatement. « Tout a lieu, tout est là, tout est phénomène » : Marie-France Garaud s’équipant chez Chanel avec les fonds secrets ; les origines du volcanisme destructeur de Philippe Séguin ; comment, en attribuant sa loi travail à Myriam El Khomri, Valls a épargné et propulsé Macron en voulant le torpiller…
L’aventure commence à Périgueux, préfecture de la Dordogne ayant engendré le pire (le prébendier Xavier Darcos) comme le meilleur : l’écrivain et peintre François Augiéras, mort dans le dénuement en 1971. On ne réalise pas toujours aujourd’hui que ces villes moyennes n’étaient pas des trous, avant que le périurbain, l’abandon du rail et la satellisation autour de quelques grandes métropoles ne les réduisent à l’état spectral. Sa description, magistrale, de cette vie de province et d’une bourgeoisie catholique modérée désormais engloutie, échappe aux stéréotypes chabroliens. Ici c’est la France de Pascal Thomas, de Stéphane Hoffmann (« Château Bougon »), et du Souffle au cœur, de Louis Malle.
Le premier volume s’arrêtait à l’élection de Chirac, le tome 2, qui vient de sortir, s’achève avec celle de Macron (en 2017). Reine du top-livres GFK depuis 1984 et sa biographie de Mitterrand, elle a encore fait le tube de l’année. Nous la rencontrons fin novembre. Trois mois plus tard, la suite des évènements valide ses estimations sur la campagne en cours.
« Femme capable » grand genre, Gene Tierney de l’analyse politique, Catherine Nay impressionne d’abord par son esprit carré. Pierre Robin, auteur d’ Esthétique contre-cool (Rue Fromentin) : « J’ai failli piétiner son mocassin en 1989 dans une rue paisible de la Rive-Gauche, je garde un souvenir brûlant de ce court regard interloqué ou agacé qu’elle m’a lancé, et qui m’a traversé de part en part. Ce sont des moments fugaces mais intenses comme celui-ci qui sont le sel d’une vie ! » La tête et les jambes.
« Le secret d’Albin », dernier chapitre, est saisissant, entre le Rosebud de Citizen Kane et L’Armée des ombres, de Melville. Enfant, j’ai croisé Roger Frey et quelques personnages de même cylindrée, sans réaliser qu’ils étaient exceptionnels. On dira peut-être ça un jour de Castaner.
« UN JOUR, J’AI APERÇU ROGER FREY, C’ÉTAIT ÇA QUI ME FAISAIT RÊVER. »
Qu’est ce qui vous a attirée vers le journalisme politique ? Le journalisme ? La politique ? Les idées ? Les hommes ? Ce que vous appelez le fluide du pouvoir ?
Catherine Nay : C’est parti d’un flash dans le train, je devais avoir douze, treize ans. Mon père étant ingénieur à la SNCF, on voyageait en première classe. Je vois une fille sortir du compartiment voisin, elle était accoudée à la barre en cuivre et elle fumait. Elle était indépendante, elle voyageait seule. Elle avait cet air de contentement de soi, de femme qui assumait son existence, je la regardais et je me suis dit « cette femme est journaliste ». Je n’ai pas voulu être journaliste pour visiter des territoires inconnus, pour faire passer un message, ni même pour ma grand-mère féministe qui admirait beaucoup Louise Weiss. Une de ses amies avait connu Alexandra David-Néel, elle me parlait de ces femmes et disait que c’était « des femmes capables ».
Cette épiphanie ferroviaire et cette volonté d’indépendance expliquent-elles que vous ne vous soyez jamais engagée directement en politique ? Vous n’avez jamais été militante, alors que vous avez des convictions très claires.
Je voulais être journaliste pour être libre. J’avais compris qu’il fallait venir à Paris pour faire ce métier. Avec une amie j’ai préparé HEC-Jeunes Filles. On nous disait qu’il fallait être une femme cadre, ce qui ne me convenait pas du tout. Je voulais un métier où on apprend en marchant, où je peux travailler vite, afin d’être indépendante économiquement.
Comme Dominique de Roux, vous êtes une gaulliste imaginaire…
J’avais des préjugés très favorables sur les gaullistes. Ma famille était gaulliste, mon père parlait de l’homme du 18 juin. Je suis donc partie avec l’idée qu’il fallait admirer les hommes politiques car ils pouvaient faire des choses formidables, comme De Gaulle. Quand je suis arrivée à Paris, il y en avait un qui était mon Johnny Hallyday, c’était Roger Frey, le ministre de l’Intérieur. Je voyais ses photos, il avait ces cheveux blancs, ce regard translucide. Le mercredi, j’allais à la sortie du conseil des ministres, pour savoir qui je pouvais voir, et un jour je l’avais aperçu, c’était ça qui me faisait rêver.
Vous êtes particulièrement positive à l’égard de Chaban-Delmas, qui passait à l’époque pour un dilettante. Est-ce que, avec votre mari, Albin Chalandon, ou Jean-Jacques Servan-Schreiber, ces hommes n’ont pas payé pour leur plastique ? Ils étaient beaux, et comme Bardot, on ne le leur pardonnait pas toujours.
Chaban, c’est vrai qu’il était heureux de vivre, parce qu’il était amoureux, et il n’a jamais été un grand travailleur. Mais c’était un coordinateur. Il savait faire en sorte que les gens s’aiment les uns les autres. Il disait « soyez heureux ». Il écoutait tout le monde et il était très aimé. Il avait une démarche reconnaissable, et lorsqu’il prenait un virage ou qu’il montait l’escalier, il avait un mouvement de hanche et on se disait « mais qu’est-ce qu’il est sexy ». Albin aussi était beau. Lui voulait faire. Il n’y avait pas d’autoroutes, il lançait des autoroutes. Il n’y avait pas de logements et un désir d’échapper aux grands ensembles, il a fait le concours des chalandonnettes. Lorsqu’il est mort à cent ans, il était vieux, mais pas âgé, il était ouvert, très aimant. Il avait reçu une lettre de quelqu’un qui le remerciait d’avoir eu une maison aux chalandonnettes. Les gens devenaient propriétaires pour l’équivalent aujourd’hui de 1500 euros. Il disait qu’il y avait toujours une solution. Lorsqu’il était ministre de la Justice, il a créé le premier parquet antiterroriste. Mais il était peut-être jalousé.
Il y avait, chez les gaullistes, des dissensions qui n’apparaissaient pas nécessairement au grand jour, on l’a vu avec l’affaire Markovic.
Parce qu’il y avait des jalousies. Quand Pompidou est allé travailler chez Rothschild, c’était le péché majeur pour les gaullistes de gauche comme René Capitant et Louis Vallon, qui l’appelait les oies du capital. On le voyait à l’Opéra en smoking, il avait une Porsche, il menait enfin la grande vie. Ils disaient de lui : « C’est notre bourgeois gentilhomme », mais dès qu’il y avait un problème, c’était la fratrie quand même. C’est la comédie humaine. Son péché a été de pousser le Général De Gaulle dehors, après l’affaire Markovic. Ceux qui ont exploité la mort de Markovic pour tuer Pompidou, ont en fait tué De Gaulle. Je me souviens quand Michel Debré nous disait, faussement apitoyé : « Ce pauvre Georges ne s’en remettra pas. » Il n’aimait personne, Debré. C’était un être très personnel, très pessimiste..
Justement, en creux, vous nous faites comprendre avec élégance ce que vous pensez de lui, ou de Fabius. Il y en a d’autres, plus mystérieux comme Victor Chapot…
Victor Chapot, c’est lui qui a dit à Giscard que les jeunes étaient trop payés, et dès que quelqu’un était trop payé, Giscard ne le supportait pas, en bon Auvergnat. Mais Chapot faisait son travail, il savait tout sur le financement de Giscard. Je n’aime pas trop Giscard non plus. Humainement, ce sont des gens sans intérêt.
Dans le deuxième volume de vos souvenirs, le personnage principal, celui qui ressort, par ses qualités, ses fragilités, et dans le gâchis, c’est Sarkozy.
Oui, il faut bien que vous vous rendiez compte que c’est un assassinat, aussi. Quand Macron parle à la télévision avant de se déclarer, ce n’est pas intégré à sa campagne ; quand, en novembre 2011, Sarkozy fait une conférence à Toulon, c’est inclus. Sarkozy, c’est pour moi quelqu’un qui est hors-norme, à tous points de vue. C’est quelqu’un d’une intelligence supérieure, qui a la vista. On l’a constaté au moment de sa présidence européenne avec l’affaire géorgienne, où les Russes étaient prêts à envahir la Géorgie. Il les a cantonnés. Il y allait franchement, et c’est ce qu’ils aiment, les Russes. Au moment de l’Ukraine, on n’a pas su leur parler. Et pour Poutine, qui est un tyran, je pense qu’il faut savoir lui parler.
Comment expliquez-vous que Juppé, qui n’a fait que des calamités (entrée de la Turquie dans l’Union douanière, RSI, abaissement du numerus clausus pour les médecins, déplafonnement de l’ISF, et même lancé les 35 heures) soit encore la référence de gens comme Édouard Philippe ?
Moi, je l’aimais bien Juppé. Je l’admirais, d’abord parce qu’au départ, quand Chirac était président du RPR et lui secrétaire général et qu’il y avait de grandes manifestations, il s’enfermait pendant trois jours pour écrire le discours de Chirac, celui-ci n’ayant jamais écrit. Ensuite, il disait : « Il faut que j’écrive mon discours à moi ». Devoir écrire deux discours d’une heure et demie pour un même événement, c’était une performance inatteignable. Je l’admirais pour ça, mais je trouvais qu’il était pète-sec, qu’il n’avait pas de chair et surtout que les autres n’existaient pas pour lui. Je me suis demandée pourquoi, mais c’est parce qu’il a été élevé dans le culte de lui-même par sa mère.
Vous parlez beaucoup des relations des politiques avec les femmes. Y a-t-il des similitudes entre leur rapport avec elles et leur rapport avec l’argent ? Vous dites de Jospin : « On le sentait intéressé par les femmes, mais dans le genre timide et coincé » (comme moi). Un ami, qui s’était occupé d’une de ses campagnes, l’avait vu dire devant une mallette de cash : « J’espère que ce n’est pas de l’argent sale »…
Oui, c’est Jospin et l’argent, Jospin et les entreprises. Il avait une vision de l’économie où il détestait les patrons, mais il a choisi d’imposer les 35 heures sans savoir si ça plaisait aux ouvriers. La classe ouvrière a quitté les socialistes à cause de ça. Aux municipales suivantes, les ouvriers votaient Front National, parce qu’avec les premières lois sur les 35 heures, ils n’avaient plus d’heures supplémentaires. C’est Sarkozy, en disant qu’il fallait travailler plus pour gagner plus, qui correspondait exactement à ce qu’ils voulaient. Je me souviens du bonheur des filles qui travaillaient dans le café à côté d’Europe 1, d’avoir 300 euros de plus par mois. Et après, Hollande supprime ça…
« SARKOZY RESTE AU-DESSUS DU LOT, ET IL A BEAUCOUP D’AFFECT… »
La détestation de Sarkozy a aussi fait reculer les libertés publiques. Les écoutes d’un avocat avec son client, les filets dérivants, la mort civile de Maurice Lantourne pour l’arbitrage Tapie…
Sarkozy était furieux contre la justice, et la façon dont le juge Gentil l’avait traité sur l’affaire Bettencourt, terminée par un non-lieu. Il y a conflit permanent entre son intelligence et son tempérament, il ne maîtrise pas son verbe. Mais il reste au-dessus du lot, et il a beaucoup d’affect, ce dont était dépourvu Jospin. C’est un cocktail qui fait que j’ai de l’affection pour lui, mais d’abord de l’admiration, je trouve qu’on a été absolument injuste de souligner ses défauts, et jamais ses qualités exceptionnelles. Si vous écoutez le discours de Macron sur l’Europe, ou celui de Juppé, c’était sec. Mais quand vous réécoutez celui de Sarkozy devant le Parlement Européen… il avait passé la nuit dans l’avion, il revenait d’un sommet au Japon, et il a parlé pendant 57 minutes. J’étais devant ma télé, je l’écoutais, je n’avais jamais entendu ça, ça vous donnait envie d’être européen. Et c’est lui qui a apporté à Merkel l’idée du traité simplifié, alors que les européens se réunissaient déjà en se demandant comment ils allaient continuer sans la France. Il a trouvé ce stratagème, et tout le monde l’a remercié. Il a essayé de vouloir faire bouger les choses, mais quand vous faites face à des personnes comme Merkel, vous avez un bloc de négativité, même pendant la crise des banques avec les subprimes.
Merkel ne serait-elle pas surcotée ? Tout ce qu’on lui attribue de positif, ce n’est jamais elle qui l’a fait.
Oui. Ce qu’on peut lui attribuer à juste titre, et ce n’est pas positif, c’est la fin du nucléaire. Une femme comme Merkel ne durerait pas seize ans chez nous. Mais il y a en Allemagne, après Hitler, une hantise du talent oratoire. Si on veut réussir outre-Rhin, il faut parler une langue de bois supérieure. Et Merkel rassurait, elle n’avait jamais un mot plus haut que l’autre. C’était le plein emploi grâce à Schroeder, qui avait mis fin à la politique de redistribution générale que nous continuons ici, et les retraites y sont plus faibles qu’en France. Sarkozy est le seul qui a fait une réforme sur les retraites. Il a eu de la chance parce que les syndicats ne voulaient pas discuter, il n’y avait pas de compromis possible.
Sarkozy, tout ce qui le rend agaçant, c’est aussi ce qui le rend touchant, ses complexes sociaux notamment, avoir grandi à Neuilly sans cocher toutes les bonnes cases.
Je pense que c’est moins un complexe social qu’un complexe physique, il a souffert parce qu’on se moque toujours de sa taille. Alors qu’Hollande, qui n’est pas plus grand que lui et qui est quand même moche, on ne se moque jamais de sa taille. On dit : il est gros.
Il vit bien son corps, Hollande.
Il est heureux, donc il est inatteignable. Tandis que l’autre le vit mal parce qu’on le lui rappelle tout le temps. Il n’est pas traité normalement, Sarkozy, avec un préjugé défavorable permanent.
Chez les Républicains aujourd’hui, qui peut le remplacer ?
Le moule est cassé, de cette ampleur-là. D’ailleurs, c’est pour ça que les gens viennent quand même le voir. Dans son livre, Édouard Philipe écrit que, quand on déjeune avec lui et qu’il parle de politique étrangère, il est plus fort que tout le monde. Parce que, quand même, Macron sur la politique étrangère, la façon dont il règle l’Algérie, c’est insensé. Ouvrir les archives avec quinze ans d’avance, alors qu’en face ils n’ouvrent rien, trois mois avant l’anniversaire des soixante ans des accords d’Évian… c’est un enfant !
Vous ne voyez personne d’intéressant surgir dans le monde politique ?
Quand on examine les choses on se dit, après-coup, que la victoire de Pécresse à la primaire LR était logique. J’avais des copines qui me disaient : « Je m’inscris pour voter Barnier, parce qu’il a un physique de président, et après un jeune on voudrait un vieux ». Je connais bien Michel, je l’ai toujours trouvé pasteurisé dans son expression, pour ne pas dire carrément soporifique, même s’il a accompli un travail exceptionnel lors du Brexit, en sillonnant l’Europe et en rencontrant toutes les forces vives, politiques, syndicats. Xavier Bertrand croyait à la rencontre du peuple, ça aurait pu marcher s’il était monté à 20 % en septembre, mais comme il est resté à 13 %, il a raté son coup. Et puis Ciotti a créé la surprise, mais il ne jouait pas à être président, donc il est resté Valérie. C’est une femme avec de l’expérience, qui est une bonne présidente de région, qui en veut, qui est solide. Grâce à Christian Jacob, qui avait demandé une primaire fermée, il n’y avait pas de cadavres dans le placard, pas de rancune cuite et recuite, ils ont donc tous accepté de se mettre derrière elle pour travailler, Xavier Bertrand en premier, dont il faut saluer le fair-play et la classe. Il y a quand même une force politique, le président de l’Association des Maires de France, Lisnard, tout le monde est derrière elle. Alors est-ce que ça va durer (nous sommes le 26 novembre, ndlr) ?
Il faut qu’elle soit moins appliquée, elle récite beaucoup.
Être une grande oratrice, pour une femme, c’est très difficile, je pense que la voix est un handicap. Elle est victime de ce qu’elle est, elle fait très sortie de messe à Versailles, c’est vrai. Et puis elle est intelligente, elle est vive, mais ce n’est pas une rigolote. D’ailleurs c’est bien aussi, parce qu’elle sera sérieuse.
Vous parliez de Lisnard, c’est dommage que ce ne soit pas le bon timing pour lui, il est très au-dessus de la concurrence.
Je pense qu’il est très heureux d’être là où il est, c’est un marchepied vers le pouvoir et un contre-pouvoir, il va réussir. On a fantasmé sur François Baroin, mais il n’a jamais eu envie d’être président. C’est Chirac qui est venu le chercher. Il était dans mon service à Europe 1, journaliste politique. Un jour je lui ai demandé : « C’est quoi pour toi la vie rêvée », et il m’a répondu : « C’est d’avoir une maison au bord d’un lac, pêcher le matin, chasser le soir ». Quelque chose qui est indispensable pour faire de la politique, c’est avoir de l’énergie, et de l’endurance. Sarkozy, Macron sont des athlètes de haut niveau. François est fragile, au bout d’un mois d’allers-retours entre Washington, Bruxelles et le reste, il avait des valises sous les yeux. Il abimait son capital, son physique, mais il a une voix ensorcelante, même quand il énonce des choses banales on chavire. Il m’avait dit : « Je sais que la politique c’est le malheur ». Je pense qu’il a eu sa dose de malheurs personnels, et il n’a plus envie d’en prendre plein la gueule.
« À VILLEPINTE, ZEMMOUR AVAIT UN AIR PLUS SÉRIEUX, IL RESSEMBLAIT À PIE XII. »
Qu’avez-vous pensé du discours de Zemmour à Villepinte ?
J’ai découvert qu’il pouvait être un tribun. Je n’aime pas le personnage, mais il a été bon. C’était un texte écrit, bien lu parce qu’il avait essayé les prompteurs la veille, il a su tout de suite s’y adapter. Son handicap, c’est sa silhouette parce qu’il est très frêle, mais là, il semblait plus étoffé, il avait mis des lunettes et ça lui donnait un air un peu plus sérieux, il ressemblait à Pie XII. Le meeting, il y avait des drapeaux et tout ça, mais moi, comme journaliste, je peux vous dire que j’en ai fait des meetings où il y avait des drapeaux et la foule, ce n’est pas un gage de réussite. En 1981, il y en avait, du monde et des drapeaux, au meeting de Chirac au Parc des Princes. Il est arrivé troisième, donc ça ne veut rien dire. Imaginons qu’il gagne. Alors, rebelote. Où est-ce qu’on choisit ses députés ? On reprend des gens qui n’ont pas été élus, qui n’ont pas d’expérience ?
Vous l’avez vu face à Bruno Le Maire ?
Oui, mais justement, là, il a gagné. Le Maire a demandé cinq minutes supplémentaires pour dégainer tous les éléments de langage qu’il n’avait pas sortis. Je pense que c’est un type valable, Le Maire, mais il a parlé beige.
Hidalgo ?
C’est douloureux. Châteaubriant disait : « L’ambition dont on n’a pas le talent est un crime ».
Votre verdict sur ce quinquennat ?
Le « en même temps » a cassé un écosystème, puisqu’ils ont renouvelé l’assemblée avec d’anciens assistants de députés socialistes, et en choisissant, avec Delevoye, les autres candidats sur Internet. Quand vous élisez une majorité de gens hors-sol, qui atterrissent dans une circonscription, qu’on ne connaît pas, à qui on ne dit pas bonjour sur les marchés, il n’y a pas d’amortisseur lorsque surgissent les Gilets jaunes, qui avaient raison de se plaindre. Comme il n’y avait pas d’amortisseur, ils sont montés à Paris. La réponse de Macron, puisqu’ils voulaient tuer le roi, a été de supprimer l’ENA. Jean Viard avait dit qu’il valait mieux tuer l’énarque que tuer le roi.Macron impressionne parce qu’il est très intelligent, mais dans le fond, il est arrivé en ne connaissant pas grand-chose. La façon dont Zemmour parle de lui est très désobligeante, mais c’est vrai que quand on devient président à 39 ans, sans expérience, sans avoir été élu auparavant, on est incomplet. Même si on est très intelligent, on ne peut pas tout savoir. Et puis, il n’est pas toujours habile en politique étrangère…
Chirac était habile en politique étrangère ?
Chirac, c’était un tempérament, un caractère joyeux, mais je crois qu’au fond c’était quelqu’un de désespéré, qui s’intéressait plus au monde qu’à la France. Ses évasions c’était l’Afrique, le Japon, et il était, d’instinct, dans le multilatéralisme. En avion, il lisait des poètes chinois ou japonais qui vous enquiquineraient, il était assez étonnant. Quand Sarkozy est allé lui dire en face qu’il l’abandonnait, Chirac s’est d’abord trouvé démuni parce qu’il avait perdu le leader de sa campagne. Mais surtout, ça a été une blessure, une humiliation, et c’est ce qu’il n’a pas pardonné. Il a compris que Sarkozy admirait Balladur, et pas lui. Comme on voit que Hollande n’a pas pardonné à Macron, parce que celui-ci a montré qu’au fond, il le méprisait. Il trouvait qu’il n’était pas à la hauteur. Ça, ce sont des blessures d’amour propre.
Une des phrases les plus terribles, les plus assassines dans votre livre, c’est quand vous dites que vous n’avez aucun souvenir de votre première rencontre avec Macron…
Oui, c’est vrai. On était chez Attali. J’ai vu un petit jeune homme. Je ne l’ai pas remarqué.
Tu le sais bien, le temps passe, Souvenirs, souvenirs 2,
Bouquins, 23€
Souvenirs, souvenirs… t.1, Robert Laffon, 21,50€
Entretien Bertrand Burgalat
Photos Guillaume Gaffiot