Dans la course à l’audience médiatique sur internet, Chris Moran, le rédacteur en chef stratégique du Guardian, – grand média britannique, concurrent de la BBC et du New York Times – surprend.
Pour lui, la clé face aux algorithmes et au temps de cerveau disponible minimal de chaque lecteur, serait : moins d’articles et moins de mots. Nous l’avons rencontré à l’occasion du 1er festival des médias de demain, Médias en Seine, organisé par Les Echos, Radio France et France TV. Explication.
Comment avez-vous atterri au Guardian ?
Chris Moran : J’étais enseignant en école primaire, puis je suis devenu acteur. Je me suis installé à Londres pour bosser mon acting et à ce moment-là un ami de Cambridge m’a recommandé auprès de ce qui était alors le Guardian Unlimited, au vu de mon expérience en anglais et en IT. J’ai commencé en freelance pendant 10 ans, puis j’ai endossé le rôle de directeur de l’audience du Guardian, un nouveau poste que j’ai créé en formant une équipe autour de moi. Ça c’était en 2009. Mon job principal était de persuader les journalistes à plus réfléchir sur les différences de leur travail digital, par rapport au print. L’idée était qu’une bonne accroche était une accroche de journal. J’ai choisi ce travail parce que je trouvais cela déconcertant : nous sommes “LE média” mais nous appliquons les mêmes règles d’un médium à l’autre. J’ai cru que ce serait facile de les en convaincre mais ce fut une rude tâche. Pourquoi ? Parce que les gens n’aiment pas changer leurs habitudes.
Hack day
Les gens ont-ils peur de changer leur habitudes ou ont-ils juste peur du changement ?
C’est un mélange des deux, mais c’est surtout peu pratique, c’est du boulot en trop. Au début je me disais « pourquoi ils ne m’écoutent pas, ils sont tous bêtes », mais en fait non, c’est moi qui ne les avaient pas persuadés qu’ils avaient besoin de le faire. Alors je me suis intéressé pour la première fois à la data. Nous avons organisé un “hack day” en 2010, et avec l’un de nos développeurs, Graham Tackley, j’ai mis en place ce qu’il est aujourd’hui l’outil d’analyse data du Guardian. Nous sommes passés d’un organisme de presse qui ne faisait jamais attention la data, à l’un de ses utilisateurs majeurs : plus d’un millier d’utilisateurs par mois de cet outil appelé Ophan. J’ai occupé ce poste pendant 7 ans et depuis 2016 je suis rédacteur en chef stratégique, j’ai des projets spécifiques et l’un d’entre eux est d’arriver à nous faire écrire moins de journalisme.
Mois mais mieux
Mais si vous écrivez moins de journalisme, vous écrivez plus de… ?
L’idée c’est « faisons moins, mieux ». Moins d’articles et moins de mots. Ce qui s’est passé lors de notre passage au web, c’est que nous n’avions plus un journal qui nous fixait des limites d’écriture. Car nous avions autant de place qu’on voulait. Mais cela signifiait surtout que nous n’avions aucune idée de combien nous écrivions, combien on pouvait écrire et combien il était possible de montrer aux être humains ! L’impact sur la rédaction ? Nous ne prenions aucune grande décision sur ce que nous pensions que les lecteurs devaient savoir. Une grande partie du projet était donc de rassembler la data pour dire aux rédacteurs la place exacte dont ils disposaient pour montrer au monde leur journalisme, qu’ils se posent ensuite la question de ce qu’ils ont vraiment besoin d’y inclure.
Internet est illimité, mais en tant qu’éditeur nous ne pouvons pas montrer un nombre infini d’articles aux êtres humains, nous n’avons pas l’espace promotionnellement. Si vous produisez un grand nombre d’articles que vous ne pouvez montrer à personne, il y a une grosse interrogation sur si vous devriez le faire ou pas. Est-ce assez important pour le produire ? Focalisons-nous sur ce qui nous importe vraiment et faisons tout pour que ce soit le plus gros possible.
Plus d’informations sur Ophan avec cette conférence
Entretien Albane Chauvac Liao