Depuis le carton d’Intouchables, le duo Olivier Nakache et Eric Toledano réussit le grand écart : produire des films ambitieux (par leurs thèmes) et importants (par leur budget) qui cartonnent. Le prochain, Hors normes, présenté à Cannes le 25 mai, sortira en salles en Octobre.
Vous êtes l’exception qui confirme la règle : alors que les grosses productions rament depuis quelque temps, vous réalisez, avec votre binôme Eric Toledano, des films aux budgets conséquents (15 millions pour Le Sens de la fête), aussi bien accueillis par la critique que par le public (3 millions d’entrées pour le dernier)… Tout va bien ?
Olivier Nakache : Il faut se rendre à l’évidence : on est dans une énorme période de mutation. Les gens ne regardent plus la télé. La façon de déguster les films est différente. Avec l’arrivée de tout un tas de plateformes, il va falloir que tout notre écosystème s’organise, se régule, se légifère. C’est la raison pour laquelle des organismes comme l’ARP (société des Acteurs, Réalisateurs et Producteurs) y travaillent : pour que les films français ne soient pas noyés dans la masse de films américains. Il y a un système à réguler. Ça risque de prendre un peu de temps, mais tout n’est pas noir. Les gens continuent d’aller au cinéma, la fréquentation des salles ne baisse pas : les gens ont encore un plaisir fou à découvrir les films en salle. Preuve en est les cartons que font des films français chaque année. Notre cinéma possède une énergie vive, portée par de jeunes réalisateurs qui arrivent avec des premiers films ultra-maîtrisés, qui marquent les spectateurs et qui marchent dans les salles. Regardez Jusqu’à la garde (Xavier Legrand, 2018) ou Petit Paysan (Hubert Charuel, 2017). Ça fait plaisir !
Mais vous qui réussissez à attirer des spectateurs dans les salles à chaque fois, vous avez bien une recette ?
Il n’y en a pas, voyons ! C’est ce qui fait tout le sel de nos métiers. De film en film, on repart à la page blanche. Je considère surtout que c’est une vraie chance qu’on a avec mon pote Éric, qu’on nous laisse dire les choses qu’on a à dire à une époque où la fabrication des films est particulièrement compliquée. En ce moment, c’est difficile d’arriver à réunir le budget nécessaire pour produire son film. On est dans un période un peu tendue au niveau des financements, les diffuseurs sont stressés du fait de l’arrivée de toutes ces plateformes, tout le monde s’inquiète. Il faut faire face.
Vous dites ça, alors que vous avez de plus en plus de moyens avec chaque nouveau film. On a la chance d’avoir des partenaires qui nous suivent de projet en projet : Gaumont, Canal, TF1… Nos films ne sont pas extrêmement chers. J’entends par là qu’on fait des films très contemporains, réalistes. Des histoires qui se passent autour de nous, pas dans l’espace. Du coup, ils ne nécessitent pas que nos partenaires déboursent beaucoup d’argent. Là, on vient de terminer notre septième long-métrage, Hors normes, qui sortira en octobre, et comme à chaque fois, on a l’impression de remettre notre titre en jeu.
Même depuis le méga-carton d’Intouchables (19 millions d’entrées en 2011) ?
Toujours ! Rien n’est acquis, rien n’est gagné d’avance. C’est certain qu’après Intouchables, on s’est sentis un peu plus libres. Pas en termes de moyens (il n’y a pas eu de variations de budgets dingues), mais de liberté. C’est juste après Intouchables qu’on a décidé de parler d’un migrant, et les investisseurs nous ont fait confiance. Résultat ? On a pu réaliser Samba (2014), film qu’on n’aurait peut-être pas pu faire avant Intouchables. Quant à Hors normes, avec Cassel et Reda Kateb, ça parle d’encadrement d’enfants, adolescents et adultes autistes.
Vous avez l’habitude de tourner avec de belles têtes d’affiches : Jean-Pierre Bacri et Gilles Lellouche dans le dernier, Le Sens de la fête, Vincent Cassel dans le prochain… Comment se porte le salaire des acteurs depuis la tribune de Maraval de 2012 ?
Il faut que les salaires des acteurs soient cohérents avec les budgets des films et que tout le monde joue le jeu. J’aimerais que les acteurs prennent un salaire cohérent en fonction de leur notoriété du moment. C’est sûr que certains font ramener des gens en salles. Maintenant, le terme « bankable » ne veut plus rien dire. On ne peut plus se dire, « sur ce nom-là, il va y avoir un million de personnes ».
C’est la fin de l’acteur « bankable » ?
Il y a évidemment une tranche d’acteurs plus connus, avec une notoriété plus grande en France, mais un succès est dû à plusieurs facteurs : le sujet, l’équipe, tout un ensemble de choses qui fait qu’on arrive à avoir l’attrait du public. Ce que j’aimerais, c’est qu’à un moment donné, les acteurs prennent un salaire moindre – et si le film cartonne, qu’ils soient intéressés. Qu’ils jouent le jeu avec nous !
Vous même, vous sentez-vous contraint par ces salaires ?
Non, si c’est trop, on en prend un autre. Mais je ne suis pas dans la situation où un acteur va me demander trop d’argent. Après, c’est de la négociation. C’est sûr qu’à une époque, nous étions dans des délires avec des salaires dithyrambiques ; maintenant, c’est revenu à la raison. En tout cas, j’espère. Après, je trouve ça tout à fait normal qu’un Omar Sy, on ne le paye pas comme un acteur qui débute ! C’est normal qu’il ait un cachet supérieur.
Vous prônez l’intéressement.
Oui, mais il faudrait que tout le monde joue le jeu, comme une petite prise de risques. Si un acteur aime un scénario, il peut se dire « je prends un salaire correct, et si le fi lm marche, ça marche pour tout le monde ». C’est de bonne guerre. J’ai l’impression qu’en ce moment, il y a des petits films qui sont faits avec des acteurs bankable qui jouent le jeu. Il y a des acteurs qui ajustent leur salaire. Par exemple, Romain Duris, en fonction des films, ses salaires peuvent varier énormément.
Et, LA question du moment : accepteriez-vous de travailler avec Netflix ?
Je ne sais pas. Pour l’instant on essaye de faire juste ce pour quoi on est fait. On écrit des films et on essaye de les faire dans notre système, qu’on connaît bien. Quand je fais un film au cinéma, je pense à la salle. Mon principal kiff et mon grand bonheur avec Eric, c’est d’aller dans une salle, d’être avec les gens et de voir leur réaction aux films qu’on fait. Quand on a fait Le Sens de la fête, notre pied c’était d’aller entendre les rires dans les salles. On est drogués à ça ! Alors après, si c’est sur Netflix, il va falloir que j’aille dans chaque salon pour avoir la réaction des gens…
Albane Chauvac