Les dernières publications posthumes de David Bowie mettent l’accent sur la question de la technique qui hanta son œuvre jusqu’à sa disparition en janvier 2016.
En 1970, David Bowie a déjà eu son quart d’heure de gloire avec Space Oddity, dont la publication a coïncidé avec les premiers pas de l’homme sur la Lune. C’est donc confiant qu’il s’attelle à la confection de son troisième album, intitulé Metrobolist, en référence à Metropolis, classique de la science-fiction tourné par Fritz Lang en 1927.
Las, le disque rebaptisé The Man Who Sold The World, par son label Mercury, n’obtient qu’un succès d’estime, en dépit de l’originalité de ses compositions, de ses textes, de ses arrangements conjuguant le blues-rock de Jimi Hendrix et de Cream, le hard-rock naissant de Led Zeppelin et le rock progressif de King Crimson, comme en témoignent les parties de guitare incisives de Mick Ronson et les folles envolées de synthétiseur de Ralph Mace.
LA VOLONTÉ DE PUISSANCE
Il est vrai que cette oeuvre-carrefour, subtilement remixée par Tony Visconti pour son cinquantième anniversaire et rééditée sous le titre Metrobolist, a de quoi dérouter le fan de rock. Après avoir cherché Dieu, le narrateur de The Width Of A Circle se livre à un coït homosexuel d’une rare impudence dans un décor préhistorique ; Saviour Machine décrit la dangereuse utopie d’un monde régulé par un ordinateur, tandis que The Supermen clôt le voyage en bizarrerie sur la déclamation d’une sorte de fragment imaginaire du Zarathoustra de Nietzsche.
La pochette n’est pas moins déstabilisante: déçu de ne pas avoir convaincu avec le glam-rock pionnier de son groupe The Hype, dont il a déguisé les membres en super-héros, David Bowie se présente désormais en robe, signée Mr Fish, cheveux longs crantés à la Lauren Bacall. Il faudra le choc d’Orange Mécanique, début 1972 et le concours des designers Freddie Buretti et Kansaï Yamamoto, pour qu’il reçoive le plébiscite tant attendu : en donnant corps à Ziggy Stardust, archétype de la rock-star du futur comme pure volonté de puissance, David Bowie révèle à son époque le caractère historico-destinal de la technique et conquiert la planète.
L’AGENT SUPRÊME DE LA MACHENSCHAFT
Ziggy Stardust aurait-il été possible sans L’Homme qui vendit le monde, sans cet agent suprême de la machenschaft – dont le dernier avatar est la révolution communicationnelle – qui précipita l’humanité dans le règne du simulacre, en détruisant la possibilité même de l’expérience de l’espace et du temps?
Si le coffret The Width Of A Circle, qui vient de paraître, enrichit copieusement le contexte de The Man Who Sold The World, à coup de versions live ou alternatives de son répertoire d’alors, il y est moins question de la tecvhnique que dans l’orwellien Diamond Dogs, de 1974, dont la Hunger City dystopique devait beaucoup à Metropolis, ou que dans Station To Station également réédité, pour son quarante-cinquième anniversaire: un chef-d’œuvre rétro-futuriste, sous influence Kraftwerk, dont le héros, rêvant d’âge d’or et de renaissance, voyait sa petite amie aspirée par un téléviseur « quadriphonique » et « hologrammique ». David Bowie y brassait, pour la dernière fois, mythologie arthurienne et nazie, gnose et occultisme et, cerveau crépitant sous l’effet de la cocaïne, affirmait, depuis les hauteurs de Bel Air, qu’il était trop tard pour l’Europe mais qu’habité par une foi nouvelle, il pouvait la sauver.
METROBOLIST
THE WIDTH OF A CIRCLE
STATION TO STATION
DAVID BOWIE
(PARLOPHONE)
Par Eric Dahan