DAVID CRONENBERG : « ÇA ME FATIGUERAIT DE RÉALISER UN FILM SANS SEXE ! »

technikart CRONENBERG

À l’occasion de la sortie des Linceuls, film-somme, ouvertement autobiographique, rencontre avec un maître du cinéma et pape du « body horror », le Canadien David Cronenberg. 

En 2014, David Cronenberg a arrêté le cinéma pour s’occuper de sa femme en train de mourir d’un cancer. Il est sorti de sa retraite en 2022, avec Les Crimes du futur, et revient aujourd’hui avec Les Linceuls, quasiment un film autobiographique où il expose son chagrin après le deuil, son impossibilité à retourner dans le monde des vivants. Avec une incroyable économie de moyens, le cinéaste canadien s’offre une visite guidée au pays de la mort et de l’affliction, cisèle une des scènes les plus choquantes de sa filmo et génère une incroyable sensation d’étrange étrangeté, où même l’apesanteur de Toronto semble être différente… Une œuvre immense, sidérante, inoubliable. Rencontre avec un jeune réalisateur de 82 ans.

Pourquoi avoir fait, avec Les Linceuls, un film autobiographique ?
David Cronenberg : J’ai écrit ce film alors que je subissais le contrecoup de la mort de ma femme, disparue il y a sept ans. Ce drame m’a touché très profondément et ce qui devait être une exploration technique est devenu, peu à peu, une exploration émotionnelle et personnelle. On peut avoir le sentiment que l’art est une forme d’autobiographie. Je crois avoir déjà dit que mon film le plus autobiographique était The Brood (Chromosome 3, 1979). Même si c’est un film d’horreur, il parle d’un divorce compliqué impliquant un enfant (à l’époque, sa première femme, Margaret Hindson, était entrée dans une secte avec leur fille, ndlr) et révèle certains de mes sentiments, ma vie intérieure. C’était mon film le plus autobiographique jusqu’aux Linceuls, dont certains dialogues ont vraiment été prononcés dans ma vie. Mais Les Linceuls doit fonctionner pour un public qui ne sait rien de moi, ni de mon passé.

Vous avez toujours filmé le sexe et la violence très frontalement. Il y a dans Les Linceuls une des scènes les plus choquantes de votre œuvre, déjà riche en visons insoutenables.
Je ne me considère pas du tout comme une personne obsédée par la violence. Mais l’une des forces du cinéma est de pouvoir montrer des choses que les spectateurs ne connaissent pas, qu’ils n’ont jamais vraiment vues. Je pense que la violence, c’est le corps humain. On détruit le corps d’un être humain. C’est quelque chose d’extrêmement significatif, choquant : tuer quelqu’un, infliger des violences physiques à quelqu’un. Le sexe est également au cœur de mon cinéma car c’est une composante fondamentale de l’existence humaine. C’est aussi très cinématographique, vous savez, et ça implique toutes sortes de questions de pouvoir, d’esthétique, de beauté. Ça me fatiguerait de réaliser un film sans sexe !

Est-ce que les linceuls du film sont une métaphore du cinéma ?
D’une certaine façon, les suaires de mon héros sont des procédés cinématographiques. Ils enregistrent un cinéma d’après la mort, un cinéma de la corruption du corps. Il m’arrive souvent de regarder des films pour retrouver des morts, les voir, les entendre. Le cinéma est une machine à faire apparaître des fantômes, des êtres humains après leur mort. À sa façon, le cinéma est un cimetière.

Peut-on envisager Les Linceuls comme une comédie ?
J’ai été un peu déçu par la réception du film à Cannes. À Toronto, les gens dans la salle se marraient tout le temps. Je pense d’ailleurs que l’on peut envisager pas mal de mes films comme des comédies.

Après Les Promesses de l’ombre et A Dangerous Method, vous retrouvez une nouvelle fois Vincent Cassel, aux côtés de Diane Kruger.
Le casting peut détruire un film, ou à l’inverse vraiment l’élever. C’est le casting qui vous donne du génie. Pour Les Linceuls, mes acteurs ne cessaient de me donner bien plus que ce que j’avais mis dans le scénario.

Vous êtes surnommé le « parrain du body horror » et de jeunes cinéastes comme Julia Ducournau ou Coralie Fargeat se réclament de vous.
Écoutez, je ne sais même pas ce que cela veut dire (rires). Mais je trouve formidable que des cinéastes très talentueux aient trouvé l’inspiration dans mon travail. Bien sûr, leurs films sont différents des miens, même si j’y reconnais des choses… 

Il y a-t-il encore du cinéma en vous ?
Hm, c’est possible. On m’a suggéré de réaliser un film à partir de mon roman, Consumés. Peut-être que je le ferai…

Les Linceuls, en salles le 30 avril


Par Marc Godin
Photo : David Cronenberg par David Sims (Saint Laurent)