Showrunner de The Terminal List, le scénariste David DiGilio (la série Traveler : ennemis d’État et le futur Tron 3) a pensé la série de Prime Video comme un parfait mélange entre le cinéma et la télévision, la « cinévision ». Interview « behind the scenes ».
Vous êtes le showrunner de The Terminal List. Comment réussissez-vous à renouveler le genre du thriller et du film d’action ?
David DiGilio : Je crois que le plus important pour un thriller c’est la dimension profondément psychologique. Le plus excitant c’est ce qui est secret. Un film d’action est réussi quand un élément d’un personnage vous touche psychologiquement.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet de Prime Video ?
Chris Pratt et Antoine Fuqua sont tous les deux issus de l’industrie du cinéma et, quand ils ont décidé d’adapter The Terminal List, ils se sont rendus compte qu’il y avait trop d’éléments pour en faire un film et se sont tournés vers la série. Ils ont commencé à chercher des showrunners pour dessiner les bases de la série. Comme je viens aussi du cinéma, on a décidé ensemble de réaliser ce qu’on appelle « cinévision », une pure combinaison entre la série et le film. Le pitch que j’ai proposé à Chris et Antoine allait dans ce sens.
Pensez-vous que cette « cinévision » soit l’avenir des séries ?
Je crois que le monde du streaming aujourd’hui combine déjà ces deux genres. Les séries ont dû s’adapter à de plus gros budgets, de plus gros engagements, de plus gros partenaires avec des groupes comme Amazon qui s’est engagé, à travers Prime Video, dans un projet comme celui de The Terminal List. Ce projet est unique car il n’est pas mené par des effets spéciaux. Il navigue entre le cinéma et la série grâce à un savant mariage entre des personnages dramatiques et un lieu où se déroule la série incroyablement complexe.
Quels sont les trois ingrédients d’une bonne série ?
Les personnages, les personnages et encore les personnages. C’est la chose merveilleuse dans les séries : elles sont complètement basées sur les personnages et leur histoire. J’adore les films, mais ils sont devenus trop proprement dirigés sur l’intrigue uniquement. Ce qui est fantastique avec The Terminal List, c’est que ça parle vraiment des Navy SEALS d’une manière jamais vue auparavant. C’est ce qui a rendu le livre de Jack Carr si puissant et pourquoi la série va marcher.
Que trouvez-vous dans les séries qui n’existe pas dans les films ?
L’élément numéro un qui place les séries télévisées au-dessus du cinéma aujourd’hui, c’est qu’elles offrent la possibilité d’en apprendre beaucoup sur les personnages et en même temps d’être surpris par eux. Dans les films, tout doit être concentré au maximum. Dans les séries, vous découvrez progressivement des éléments d’un personnage de la même manière que pour une personne rencontrée dans la vraie vie. À chaque épisode, vous enlevez une couche. C’est la plus incroyable forme narrative qui soit !
Vous avez supervisé l’écriture de la série basée sur le roman de Jack Carr. Avez-vous travaillé main dans la main avec lui ?
J’ai travaillé avec Jack dès l’envoi du « Go ! ». Le jour où j’ai su que j’avais le job, j’ai eu une conversation téléphonique avec lui. Il est un peu devenu mon parrain sur le travail de The Terminal List. On savait que l’authenticité militaire devait être la base de la série. Tous les éléments réalistes du livre devaient se retrouver à l’écran. C’est pourquoi, en tant qu’ancien Navy SEAL, Jack devait être à 100 % dans le projet. On a aussi voulu emprunter des codes du thriller politique pour les intégrer et transformer The Terminal List en un thriller psychologique. Nous devions être sûrs que Jack approuvait ces changements, qu’il les comprenait et avait envie de les voir. Il a été à fond. Nous avons réussi à apporter une dimension plus intime et psychologique au personnage de Chris Pratt tout en faisant honneur au travail d’écrivain de Jack.
En 2018, vous avez sorti le roman graphique North Wind. Écrire pour vous-même et non pour la télévision a-t-il été un besoin irrépressible à ce moment de votre carrière ?
Je venais de faire un film et, quand vous faites un film à Hollywood, votre agent vous appelle pour vous demander « Qu’est-ce que tu as pour la télévision ? ». C’est ce qui rapporte le plus d’argent à Hollywood aujourd’hui… Même si je venais de l’industrie du cinéma, j’ai quand même réalisé un scénario pour la télévision assez tôt dans ma carrière, probablement trop tôt. Même si le casting était super, avec Viola Davis et Matt Bomer, c’était le déroulé typique avec une courte durée de vie et de diffusion. Ça a été trop brutal pour moi. J’ai eu besoin de réaliser quelque chose de différent. North Wind a été une formidable expérience parce que c’est juste vous et l’artiste, pas d’intermédiaires ou quoi que ce soit.
Tron 3 est en préparation pour 2025. Comment reprend-on une histoire qu’on n’a pas originellement écrite ?
Pour Tron 3 j’ai travaillé avec Joseph Kosinski qui a réalisé Tron 2 et le récent Top Gun Maverick. Quand vous regardez la franchise Tron, ça a toujours été l’histoire de gens normaux qui tombent dans la cupidité, alors que l’histoire que j’ai écrite pour Kosinski raconte l’inverse, et je crois que c’est ce que les gens ont envie de voir.
Comment être au plus proche de la réalité quand on écrit un scénario ?
C’est toute l’importance de l’authenticité dans la narration moderne. Les séries qui marchent sont celles qui ouvrent une porte sur un monde certes réel, mais que le spectateur ne connaît pas. Beaucoup de scénaristes n’admettent pas ce qu’ils ne connaissent pas. Il faut reconnaître qu’on ne sait pas toujours, et faire appel à des experts. C’est ce que j’ai fait avec Jack Carr, mais aussi Jared Shaw, un ancien Navy SEAL qui est aussi coproducteur de The Terminal List. Beaucoup d’anciens SEALS m’ont conseillé sur le projet m’ont dit : « Je sais que tu es le scénariste mais en tant que Navy SEALS, ça n’est pas comme ça que nous aurions fait. » Il y a toujours une solution pour coller au plus près de la réalité. Tout ce qui se passe dans la série a forcément été regardé, disséqué et approuvé par d’anciens Navy SEALS.
Le meilleur conseil que vous donneriez à un jeune showrunner ?
Apprendre à être sur le tournage. C’est très compliqué avec le business model d’aujourd’hui d’avoir les scénaristes sur les plateaux de tournage car tout est écrit très, très tôt, bien avant la phase de préparation et celle de réalisation. Cette présence sur le tournage est aussi importante que l’écriture elle-même. Être showrunner, c’est à la fois utiliser son cerveau gauche et son cerveau droit. Vous devez être capable de créer mais aussi de diriger des gens. Le leadership et le management d’équipe sont très difficiles à apprendre et les plateaux sont la meilleure école pour cela.
Comment envisagez-vous le futur du cinéma et le futur des séries ?
Je suis quelqu’un de très optimiste. J’imagine un switch permanent entre le cinéma et la télévision. Un jour, vous verrez peut-être la saison 3 de The Terminal List dans une salle de cinéma ou, peut-être qu’à la place d’une saison 3, vous aurez un film. On pourrait imaginer des cinémas Amazon ou Netflix qui diffuseraient leurs productions sur grand écran, que vous pourriez ensuite retrouver sur votre télévision ou ordinateur. Ce serait un concept incroyable pour les consommateurs de séries.
Entretien réalisé au Festival de Télévision de Monte-Carlo par Margot Ruyter
Photo Gabrielle Langevin