Multi-instrumentiste en live, violoniste en orchestre, productrice… DJ Kayan a imposé son talent en Arabie saoudite et sur la scène internationale. Figure essentielle de l’ouverture culturelle de son pays, de AlUla à Bombay, elle renverse les codes. Interview au diapason.
Vous avez été la première femme saoudienne à se produire en live lors de l’événement Desert X AlUla. Ça vous vient de votre famille, cette vocation pour la musique ?
DJ Kayan : Non, je suis la première musicienne de la famille ! C’était un moyen d’expression pour moi. J’ai commencé en tant qu’artiste visuelle, puis le son et la musique m’ont servi à renforcer ce processus créatif, à explorer plus loin.
Vous maniez aussi bien le violon que les platines. Comment décririez-vous votre genre musical ?
La house mélodique. Un genre qui fait parfois appel à des éléments de techno, surtout en festival, lorsque j’ai besoin de rythmes rapides. Je veux que ma musique ait une dimension multiculturelle, pour rendre l’expérience sonore plus riche. Je suis aussi membre de l’orchestre national saoudien, ce qui me permet d’explorer la musique de mon pays plus en profondeur, et de trouver un moyen de moderniser tout ça grâce à l’électro. Mon propre label, DUB SAUDI, est consacré à la musique électronique saoudienne de fusion.
Vous préférez manier l’archet en orchestre ou mixer à Cannes ?
C’est une chance d’être capable d’explorer le son et la musique de plusieurs façons. Mixer, c’est un métier basé sur le divertissement, mais c’est aussi un outil puissant pour délivrer une expérience à travers la musique. Le violon dans un orchestre, c’est un monde à part, où l’on travaille en groupe et non en tant qu’individu.
Vous êtes aussi productrice…
Le fait de pouvoir produire ma propre musique, de la publier et de la partager avec le monde est également un moyen d’expression puissant, car je traduis mes sentiments et mes expériences de vie dans les morceaux que je crée.
Comment avez-vous découvert la musique électronique ?
J’en écoutais depuis mon enfance, puis je l’ai davantage explorée à l’occasion de ma formation à BBC World. Je me suis familiarisée avec le matériel et les logiciels liés au monde de la radio et de la prod’. J’ai vite appris. J’adorais me plonger dans ce monde du son et depuis, je n’ai pas arrêté d’apprendre sur la musique en général et la musique électronique en particulier : c’est un langage universel, comme un super pouvoir. C’est une vibration qui lui est propre et j’aime m’y connecter et donner au public la possibilité d’en voir la beauté.
Y a-t-il d’autres styles musicaux que vous souhaitez explorer ?
Mon esprit est toujours ouvert à différents types de musique : la musique ajoute tellement de beauté à notre vie. J’ai appris à garder l’esprit et l’oreille ouverts en permanence ; je veux plonger plus profondément dans le monde des synthétiseurs, apprendre davantage sur le genre classique arabe et occidental afin de pouvoir créer ma propre fusion.
Le travail de DJ vous oblige à voyager beaucoup et à vous rendre dans de nombreuses destinations en peu de temps. Comment travaillez-vous ?
J’ai toujours établi des priorités et travaillé en fonction des saisons. Pendant très longtemps, mon set live, qui est techniquement et académiquement exigeant, a toujours été ma priorité. Si bien que la production a été reléguée au second plan jusqu’à ce que le moment soit venu, et que je commence à sortir des morceaux progressivement. Les priorités changent toujours, elles ne sont pas fixes, tout dépend de ce que j’essaie d’accomplir ou de partager à un moment donné.
Que pensez-vous de la scène musicale et culturelle saoudienne actuelle ?
Elle est riche et elle a beaucoup de potentiel. Les gens sont curieux et ouverts à la créativité. Nous sommes dans une phase qui célèbre pleinement l’art, sous toutes ses formes. J’aime la façon dont le pays reste fidèle à son identité et à ses origines, bien qu’il ait atteint un haut niveau de développement et de modernisation dans divers domaines. Cela nous encourage, en tant qu’artistes, à rester fidèles à notre identité et à créer des œuvres d’art et des musiques multiculturelles qui mettent en valeur les caractéristiques uniques de l’Arabie dans le monde entier.
Pensez-vous qu’il est encore plus difficile pour les femmes de travailler dans l’industrie de la musique (en particulier dans le domaine du DJing) ?
C’est beaucoup plus facile aujourd’hui, surtout en Arabie, où les artistes féminines bénéficient d’un soutien considérable. Mais cela ne veut pas dire que je ne suis pas sous-estimée, y compris au niveau international, je subis ce que subissent les autres femmes : certains ingénieurs du son pensent que je ne connais pas bien mon son. Ces situations sont courantes partout… J’ai dû travailler dur pour gagner un certain respect en tant qu’artiste. Je cherche toujours à bien apprendre mon métier et à le représenter de la meilleure façon possible.
Quelles ont été vos plus grandes sources d’inspiration ?
La vie et tous ses détails, la métaphysique, la poésie et tous les artistes qui sont fidèles à ce qu’ils font et qui atteignent un haut niveau d’intelligence et de créativité
Vous mixez souvent dans des paysages grandioses. Quelle a été votre expérience la plus impressionnante ?
J’ai adoré me produire dans une église de Venise transformée en école d’art à l’occasion de la Biennale. J’ai joué du violon en tant que DJ pour des artistes du monde entier… C’est un spectacle que je n’oublierai jamais. Une autre expérience inoubliable a été de me produire au milieu de Desert X AlUla, un événement artistique unique qui n’a lieu qu’aux États-Unis et à AlUla. J’ai fait des recherches sur les œuvres d’art et les installations qui y étaient présentées et j’ai essayé de leur donner vie à travers le son et la musique. J’ai également collaboré avec le studio néerlandais VOUW, le festival de lumière Noor Riyadh et MDL BEAST, où j’ai joué dans un centre historique sous une installation interactive représentant une vue à vol d’oiseau de la ville de Riyadh depuis la NASA. J’ai également adoré me produire au festival SOUNDSTORM de Riyad, principalement en raison de la qualité de la production et des visuels, qui ont battu des records Guinness à plusieurs reprises.
Quel conseil donneriez-vous à une jeune artiste saoudienne ?
D’être fidèle à elle-même et à son métier, de le faire pour l’art et pour la musique, d’apprendre son métier et d’être la meilleure dans ce domaine, de respecter le don de la musique et tous ceux qui l’approchent pour des réservations ou des collaborations, de ne jamais douter d’elle-même et de sa créativité, et de s’exprimer sans limite !
Y a-t-il un autre artiste saoudien avec lequel vous aimeriez collaborer ?
Les artistes Ahmed Mater, Muhannad Shuno et Rashed Al Shashai, des artistes visuels saoudiens que j’admire beaucoup. J’aimerais associer ma musique et mon son à leur travail.
Vos projets pour l’avenir ?
Développer le live set — j’y ajoute actuellement plus d’éléments et d’instruments, maîtriser la performance live et tous les aspects techniques et enfin, créer plus de productions électro classiques et lancer de nouveaux titres pour mon label DUB SAUDI.
Par Victor Tonnac
Photo Ahsan Minhas