DR WILLIAM LOWENSTEIN : « LA FRANCE EST ACCRO À LA PROHIBITION. »

Spécialiste en médecine interne, addictologue et président de SOS Addictions, le Dr William Lowenstein est auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les problématiques de la dépendance, qu’elles soient liées à la drogue, à l’alcool, au tabac, au jeu ou aux écrans. Technikart est allé à sa rencontre dans le cadre de son dernier ouvrage Tous addicts, et après ?*.

« En tant qu’addictologue, la dépendance me gêne beaucoup moins que la mort. »

En préambule de votre livre, vous soulignez que l’on voit à la télévision plus de messages de prévention routière que de mises en garde sur les dangers de l’alcool, alors que les accidents de la route tuent 3 400 Français par an, contre 43 000 pour l’alcool. Comment expliquez-vous ce sens des priorités ?
William Lowenstein : Là où il y a une organisation correcte, depuis l’annonce par Jacques Chirac de la lutte contre l’insécurité routière, la gouvernance est beaucoup plus fragmentée sur la politique de santé des addictions. Cette fragmentation de la gouvernance fait que rarement on peut avoir les mêmes campagnes cadrées et continues de prévention. À cela, il faut ajouter économiques évidemment, mais aussi historiques, du type : « On est un mauvais patriote si on ne boit pas », qui nous mènent à une situation qui tient de l’impasse.

À la lecture de votre ouvrage, on apprend qu’au xviesiècle, l’usage du tabac était largement interdit. Aujourd’hui, alors que l’on connaît parfaitement sa dangerosité, il est légal partout et tue huit millions de personnes chaque année. Pour autant, aucun État n’a envisagé de le prohiber de nouveau ou d’en restreindre l’accès.
Je répondrais avec une notion canadienne, celle de taxe puritaine. Ces « taxes puritaines » désignent les taxes que les États ont imposées à un certain nombre de produits qui peuvent menacer la vie de ses populations. Le tabac, l’alcool, les produits trop sucrés et le jeu. On veut réduire les consommations en les taxant, mais le seul problème, c’est que l’État devient dépendant de ces taxes puritaines. Si vous prenez les 14 ou 15 milliards de taxes sur le tabac et les 4 ou 5 milliards de taxes sur l’alcool, parce que le vin est évidemment protégé et très peu taxé, les taxes puritaines sur le jeu et sur certains aliments, on arrive à 20 milliards. Et 20 milliards, dans le contexte actuel, ça parle ! Donc on en vient à se dire que, si on est efficace, les 20 milliards, ils ne rentrent plus. Vous voyez un peu le cercle vicieux qui s’est installé sur ces taxes puritaines.

La e-cigarette est une saine alternative au tabac. Pourquoi n’y a-t-il aucune campagne de santé publique incitant les fumeurs à passer à l’e-cigarette ?
L’e-cigarette est la révolution thérapeutique la plus importante que l’on ait connue dans ce domaine. L’addiction à la cigarette fumée est une addiction sévère. Je dis « cigarette fumée » parce que c’est la combustion qui fait tous les dégâts : goudron, monoxyde de carbone, benzopyrènes, etc. C’est elle qui est responsable des cancers, infarctus et insuffisances respiratoires. La combustion, c’est comme si on se mettait, vingt, trente fois par jour pendant une minute, derrière un pot d’échappement ! La e-cigarette, c’est de la vapeur ; pas plus embêtante que la vapeur d’eau. Une évaluation du Royal College of Physicians a prouvé qu’il y avait 95 % de risques en moins. Et on nous demande d’attendre cinquante ans alors que, chaque année, la cigarette fumée tue 75 000 Français. Même si on n’est pas totalement sûr, est-ce qu’on continue à appliquer le principe de précaution quand il se transforme à non-assistance à fumeurs en danger ? C’est ce qui nous oppose aux Anglo-saxons qui sont à fond dans le pragmatisme et soutiennent cette alternative. Parce que c’est de la dépendance à la nicotine dont il s’agit. Mais être dépendant, ça ne veut pas dire en mourir. On est dépendant à plein de choses, aux médicaments contre la tension artérielle qu’on doit prendre à vie, à ceux pour baisser le taux de cholestérol, etc. En tant qu’addictologue, la dépendance me gêne beaucoup moins que la mort.

Le ministère de la Santé a annoncé vouloir interdire les « pouches », ces sachets de nicotine qui sont aussi une alternative à la cigarette. Que pensez-vous de cette mesure ?
Les sachets de nicotine représentent une alternative importante pour réduire les risques liés au tabac. Les interdire priverait les fumeurs français d’un outil moins nocif que la cigarette.
La cigarette électronique nous a montré cette voie salvatrice de la réduction des risques.
Ces dispositifs ont permis à de nombreux fumeurs de se détourner du tabac.
Pourquoi ne pas poursuivre cette logique en encadrant strictement ces nouveaux outils plutôt que de les bannir ?
Une réglementation bien pensée, par exemple sur les arômes et les emballages, permettrait de limiter leur attrait chez les jeunes, tout en garantissant aux fumeurs adultes un accès encadré à ces produits. Il ne s’agit pas de se battre contre la nicotine en première intention ; il s’agit de se battre contre la combustion.

Alors que l’efficacité du cannabis thérapeutique est prouvée et sa consommation largement légalisée dans les pays développés, pourquoi reste-t-il inaccessible en France ?
Je parlerai de stratégie politique et de morale immorale. C’est la crainte que le cannabis à visée médicale ne soit le cheval de Troie de la légalisation du cannabis. On a quand même, autour de nous, 22 pays européens qui ont autorisé le cannabis thérapeutique ! Il y a aussi une dimension « Tu ne te soigneras pas avec le cannabis », « vade retro cannabis », parce que la France est accro à la prohibition. On en est encore là alors que l’Allemagne a légalisé, que le Portugal a décriminalisé, que, dans cinq ans, toute l’Europe aura du cannabis thérapeutique. C’est inéluctable, mais on continue à vous faire le coup du Gaulois réfractaire.

 

Par Alexis Lemoine
Photo Astrid di Crollalanza © Flammarion

 

* Dr William Lowenstein et Dr Laurent Karila
Tous addicts, et après ? : Changer de regard sur les dépendances
Éditions Flammarion
19 euros
368 pages

William Lowenstein :  tous addict et après