DU GRAND CINÉMA À SAINT-JEAN DE LUZ 

fifi

Des enfants, des paumés, des sorcières : trois réussites imparables résument la qualité et l’éclectisme du festival.

Alors que les entrées ciné ne cessent de chuter, que les plateformes cartonnent et que Disney essaie maintenant de tordre le bras de la chronologie des médias pour engranger toujours plus de profits, voici une bonne raison de ne pas désespérer. Lové sur une plage qui évoque le paradis, un festival propose tous les jours un très bon, voire un grand film, pour un public d’aficionados nombreux et ravis, tandis qu’acteurs et metteurs en scène font le voyage et tapent la discute avec les spectateurs… C’est la recette miracle du formidable festival de Saint-Jean de Luz, décidemment un des meilleurs du tournoi, qui donne à voir la relève du cinéma en programmant exclusivement des premiers ou des seconds longs-métrages. Parmi la moisson de (très) bons films, on en évoquera trois aujourd’hui. Et tout d’abord, un vrai et beau miracle de cinéma, Fifi de Paul Saintillan et Jeanne Aslan.

Sophie, alias Fifi, 15 ans, est issue d’une famille pauvre, chaotique, dysfonctionnelle. Elle habite un HLM pourri où s’entassent des mômes turbulents et des parents à la ramasse. Bientôt, Fifi pique les clés d’une copine partie en vacances et s’installe en cachette dans la maison cossue d’un dentiste. La belle vie commence, mais Stéphane, 23 ans, frère aîné de la copine, débarque pour garder la maison. Étudiant tourmenté, il l’invite à rester. Entre les deux, une cohabitation s’engage…

Fifi est une œuvre tendre, fragile, avec une narration qui ne tient parfois qu’à un fil, car c’est l’histoire toute simple d’une rencontre. D’une fille qui n’a rien et d’un garçon qui a tout, de deux milieux sociaux, de deux territoires… « Je me sens bien là, au milieu de la nuit. Ça faisait longtemps que ça m’était pas arrivé. » Deux personnages qui ne devraient pas se parler, s’observent, s’apprivoisent, se rencontrent vraiment. Et, contre toute attente, c’est complètement spectaculaire. La petite musique d’Éric Rohmer retentit, bien sûr, l’ombre des frères Dardenne plane, et comme François Truffaut, les cinéastes Paul Saintillan et Jeanne Aslan nous emmènent finalement, avec leurs personnages à la mer. Et c’est magnifique. Mais cette formidable chronique d’un été pas comme les autres ne serait pas un film aussi intime et phénoménal sans les stars de demain que sont Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire. Grand film.

VIRÉE POÉTIQUE EN BELGIQUE ET ONIRISME PORTUGAIS

Ailleurs si j’y suis vient de Belgique et c’est une belle réussite. Plombé par son divorce et son travail, Jérémie Renier, toujours aussi épatant, coupe son téléphone portable, fait un pas de côté et trouve refuge dans les bois, à côté d’un étang paradisiaque. À côté de lui, tout se délite car personne n’accepte sa fuite : sa femme éprise de liberté, son père dépressif, son boss au seuil de la retraite, son pote rêveur… Pour son second long-métrage, François Pirot (Mobile Home) évoque la vacuité de nos existences mais emploie un ton irrésistible, entre poésie et humour. Son film, un poil long, est un bijou, servi par un cast XXL : Suzanne Clément, Samir Gesmi, Jackie Berroyer et un magnifique Jean-Luc Bideau.

Quant à Alma Viva, c’est simplement un vrai miracle venu du Portugal, l’histoire d’une fillette de neuf ans, Salomé, hantée par l’esprit de sa grand-mère, considérée comme une sorcière et fraichement décédée, dans un village reculé, plein de croyances et de superstitions. Alma Viva débute avec le plan d’un œil sans visage et tout le film est vu à travers un regard d’enfant. Avec beaucoup de grâce, la réalisatrice Cristèle Alves Meira passe du naturaliste (au début) à l’onirisme, convoque le réalisme magique et le conte initiatique, saupoudre d’une pincée de Cria Cuervos et filme plein cadre l’invisible. C’est un vrai geste de cinéma, une œuvre puissante et indomptable.

À Saint-Jean de Luz, après les applaudissements, de nombreux spectateurs se sont retrouvés devant le beau cinéma Le Select, avec leurs lunettes noires sur le nez. Et ce n’était pas seulement à cause du soleil…

Fifi, Ailleurs si j’y suis et Alma Viva sortiront en salles en 2023.


Par Marc Godin