À la tête de sa marque 3.Paradis depuis onze ans, Emeric Tchatchoua est l’émérite gagnant du prix Spécial de l’ANDAM en juin 2024. Le 3 devant Paradis, c’est l’âme, le corps et l’esprit, quasiment un mantra. Rencontre avec le cool kid du menswear.
Légende photo : LA TÊTE DANS LES NUAGES_ Emeric Tchatchoua transcende la mode masculine depuis onze ans avec une seule philosophie « vivre ses rêves, au lieu de rêver sa vie ».
Pour le printemps-été 2025, vous avez présenté votre collection masculine « Quiet Storm », inspirée des souvenirs des hivers enneigés de Montréal. Comment avez-vous transposé vos souvenirs en silhouettes ?
Emeric Tchatchoua : Les éléments phares de ces souvenirs sont la neige, le froid, le temps très lent et le calme des matins gelés quand je vivais au Canada. À travers les looks, j’ai imaginé des cocons. Pour rappeler l’idée des couettes et des oreillers, on a collaboré avec la maison de luxe française Dumas, qui est spécialisée dans l’art du sommeil. La sensation du temps qui s’arrête on l’a transposée dans les matières, avec de la fourrure, de la laine, des matériaux pour la protection contre le froid. Sur les vêtements on a construit des trompe-l’œil pour faire l’effet de neige et de givre avec des cristaux Swarovski. Et les cols des vestes reprennent la forme des oreillers de cou utilisés dans les avions.
En plus de la maison Dumas et Swarovski, vous avez également collaboré avec Bruce Lee, le NBA, et Keek Crew.
Selon le thème de mes collections, je pense à tout ce qui peut avoir un lien et je cherche comment créer des ponts avec différents savoir-faire. Je crée un langage et une conversation au-delà du vêtement. Avec Keek Crew on a travaillé sur une technologie où deux de mes silhouettes changent car elles sont gonflables. Bruce Lee, c’est parce que j’ai ce souvenir au Canada où je regardais des films et je prenais mon temps. Et la NBA ça fait longtemps que l’on collabore ensemble, mais dans ce processus, je voulais exprimer le dernier match de Michael Jordan contre les Utah Jazz, où il marque à la dernière seconde, là où le temps s’arrête, on vit le moment présent.
Pourquoi avoir choisi la colombe blanche et le bleu ciel comme symboles pour la marque 3.Paradis ?
La colombe a toujours été dans mon subconscient, mais je l’ai choisie comme hommage à mon grand frère décédé. Également car elle représente toutes nos valeurs : la paix, l’unité, la liberté et l’espoir. Le bleu, parce que derrière 3.Paradis, il y a l’idée d’élévation. C’est l’histoire de ma vie, je suis né dans un HLM à Paris, et à travers mes rêves et mon travail je me suis élevé psychologiquement, humainement, spirituellement, et socialement.
La collection de l’été 2024 arborait une palette de couleur quasi-maniaque avec essentiellement du vert et du bleu. Pour l’été 2025, elle était plus chaude, en orange, rouge et jaune. Et pour l’hiver 2025, les tons étaient blancs, gris et noirs. Quelle est place de la couleur dans votre travail ?
Pour l’été 2024, toute mon inspiration vient de Windows 98 avec le fond d’écran mythique du ciel bleu, et de la pelouse verte. Je voulais exprimer cette window opportunity que j’ai su prendre. Celle de l’été 2025 est inspirée par les couleurs du village de mes parents, au Cameroun. Le damier rouge et blanc avec des lignes jaunes, très présent sur les vêtements, est l’un des symboles de ce village. Et la dernière collection, ce sont les paysages blancs du Canada et sa nuit noire. Je suis un citoyen du monde et j’ai voulu montrer, au fil de mes collections, cette triangulaire de culture.
Plusieurs de vos créations font appel à la 3D…
Oui, j’aime lier l’artisanat et la technologie. Dans mes créations, j’ai fait un damier dans une tisserie en France, fait à la main, et de l’autre côté je l’ai reproduit en effet 3D. Lorsqu’on le regardait, les couleurs changeaient selon l’angle. Ensuite, le sac Lego est inspiré de mon fils qui y jouait. Les legos sont comme une plateforme qui te permet de créer comme tu le souhaites, comme je l’ai fait avec ma propre identité. Et sur le sac on peut mettre les legos qu’on veut pour créer son propre sac. Et puis, j’utilise aussi la 3D pour créer des aspects visuels uniques et certaines textures qu’on ne peut pas trouver ailleurs. Selon moi, c’est le futur de la mode, malgré un certain prix aujourd’hui, ça permet de répondre aux enjeux écologiques, parce qu’on ne produit aucun déchet avec la 3D.
Comment travaillez-vous le denim et le tailoring ?
Le denim, on le travaille avec les Teintures de France et Serge Haouzi, le directeur artistique. On fait des délavages, des matelassages, et on fait des gravures au laser aussi. Et les pièces de tailoring on les mixe avec une autre pièce décontractée. Surtout les blazers pour les rendre plus accessibles au jeune public. C’est ce que je préfère, là où je m’amuse le plus.
Quelle est la définition de la mode selon 3.Paradis ?
Innovante, car si on regarde le vêtement de plus près, on se rend compte qu’il y a un travail gigantesque sur les coupes, les matières, les textures et les silhouettes. Je m’assure que tous mes vêtements soient portables. Donc je dirais, chic, onirique et innovante, mais décontractée !
Par Anaïs Dubois
Photo Axel Vanhessche
3D Matthias Saint-Aubin