EMMANUELLE DEVOS : « J’AI TOUJOURS EU UN FAIBLE POUR LA CHIMIE ! »

Dans Les Parfums, l’actrice aux deux César (Sur mes lèvres en 2002 et À l’Origine en 2010) incarne un « nez » (créatrice de parfums) en plein burn-out. Emmanuelle Devos a accepté de répondre à nos questions les plus odorantes…

Depuis le tournage des Parfums de Grégory Magne, faites-vous particulièrement attention à votre nez ?
Emmanuelle Devos : Pas plus que d’habitude… (rires) ! Vous savez, j’ai toujours été sensible aux odeurs. Mon odorat fonctionne à plein temps et puis j’ai davantage de mots maintenant pour décrire ce que je sens. Mais il faut une mémoire olfactive incroyable pour arriver à décoder chaque senteur…

C’est un métier que vous connaissiez avant d’avoir reçu le scénario ?
Je m’y étais intéressée à l’âge de 18 ans… J’ai toujours eu un faible pour la chimie. Mon grand-père est pharmacien, ça aide (rires)… J’aurais vraiment pu en faire mon métier, et ouvrir une parfumerie. Il m’arrive de tester aussi, pour Madame Figaro, des crèmes et des parfums. Et je fais ça très sérieusement ! Je note avec application dans mon petit carnet…

Et le film a été une occasion de replonger dans ce monde qui vous fascine…
Oui, j’ai appris quelques gestes techniques pour les mélanges… Et puis j’ai reproduit des gestes très communs finalement : la manière dont on respire les flacons, dont on tient la pipette ou un échantillon. Tout ça m’a d’ailleurs donné envie de relire le Parfum de Süskind que j’avais dévoré lorsqu’il est sorti. Il est toujours dans ma bibliothèque… On ne se rend pas compte à quel point l’odeur fixe nos vies. Quand on aime quelqu’un, on aime son odeur…

Vous avez un parfum fétiche ?
J’en ai même deux ! Un parfum d’été et un parfum d’hiver. Celui d’hiver, que je mets depuis très longtemps, c’est Olène de chez Diptyque. Et celui d’été, c’est Zagara de Santa Maria Novella, qui vient d’une pharmacie-parfumerie de Florence, un endroit incroyable. J’adore ce parfum parce qu’il a une petite histoire : Jean François Gabard, mon agent depuis toujours, me l’offre systématiquement à Cannes et j’y vais pratiquement tous les ans. C’est devenu un rituel.

Et une madeleine de Proust olfactive ?
C’est à dire que j’en ai plusieurs… C’est toujours lié à ces senteurs familières, vous voyez de quoi je parle : les exhalaisons de gazon coupé qui me rappellent la campagne ou ces odeurs de gâteau de ma grand-mère… Mais si je devais n’en conserver qu’une, ce serait le parfum de ma mère, Cabochard de Grès.

Dans le film, votre personnage, Anne Walberg, « perd son nez ». Que craignez vous de perdre en tant qu’actrice ?
Je pense qu’on peut perdre l’envie de jouer. On peut perdre la foi en ce drôle de métier. Traverser des crises à force d’enchaîner les films…

Pour continuer avec ces parallèles, votre personnage appréhende le monde par le biais du monde olfactif. Qu’en est-il pour vous, actrice ?
Comme eux décryptent les odeurs, moi je décrypte un peu les acteurs. On ne fonctionne pas tous pareil, mais j’essaie d’analyser les émotions humaines. De la même manière qu’il existe une banque d’odeurs, je puise dans une sorte de banque de sentiments. De toute façon, tous mes rôles par essence sont des chocs émotionnels en rapport avec le monde, avec les autres – comme des atomes qui s’entrechoquent.

Ça a une incidence sur les rôles que vous choisissez ?
C’est certain, oui. Certains sont réparateurs et d’autres, au contraire, laissent des traces dont il faut se méfier. Et puis il y a ceux qu’il faut apprendre à décrypter. Pourquoi on les choisit ? On ne le sait jamais trop, mais c’est étonnant les effets que ça a sur vous. Par exemple, je me suis mise à écrire après avoir joué Violette Leduc dans le film de Martin Provost. Je devais devenir cette écrivaine des années 50, qui ne me ressemblait pas du tout ! Ça a été difficile à jouer, c’est un personnage très torturé…

De tous les rôles de votre filmographie, vous avez un petit préféré ?
Alix, que j’incarne dans le film de Jérôme Bonnell, Le Temps de l ’aventure, est un personnage dans lequel j’ai adoré me voir. Cette femme, qui rencontre un homme au hasard d’un voyage et se lance dans un tourbillon passionnel avec lui, me ressemblait sans vraiment me ressembler.

Et Anne Walberg, c’est vous ?
Je me suis reconnue, c’est vrai, dans sa peur du monde extérieur. Et puis cette femme enfermée dans son art, terrifiée par le monde, au caractère un peu particulier, me parlait. Cette manie de ne pas regarder les gens dans les yeux… J’ai un vieux reste d’agoraphobie. Mais ce métier vous oblige en quelque sorte à passer outre. Les rôles sont souvent réparateurs. C’est Noémie Lvovsky qui m’a dit : tu es faite pour le cinéma, pour le gros plan. Jusque là je pensais que ma carrière se trouvait sur la scène d’un théâtre. Elle a été une marraine-fée en quelque sorte… Lorsque j’ai réalisé que je pouvais être filmée, faire du cinéma, sur le tournage de Dis moi oui, dis moi non, (1990), c’était extraordinaire ! C’est une forme de renaissance à soi-même.

Les Parfums : en salle le 1er juillet


Par Violaine Epitalon
Photos Arnaud Juhérian