Après le triomphe cannois des Reines du drame, la comédie musicale drôle, punk et queer déboule enfin en salle. Rencontre avec sa réalisatrice, Alexis Langlois.
Vous venez du Havre ?
Alexis Langlois : Oh wow ! Vous êtes bien informé. J’ai quitté le Havre dès que j’ai pu. J’avais une vie très chiante, une famille de prolos pas très intéressante. Mais j’ai toujours eu envie de faire des films, des films, des films.
Vous débarquez à Paris à 18 ans ?
Je voulais faire la fête, rencontrer des gens. Je vais à Paris VIII, j’y reste cinq ans pour des études très théoriques et je fais des films à côté, avec les personnes que je rencontre en soirée. C’est vraiment des amis du milieu queer qui m’ont fait découvrir Gregg Araki, Werner Schroeter ou John Waters. En fait, c’était comme une seconde école. J’ai écrit mon mémoire sur Magdalena Montezuma et je l’ai tatouée sur ma peau, comme Sal Mineo… Tous les étés, je faisais un film avec les copains et donc soit j’économisais un peu d’argent, soit j’allais en gratter un peu, à la fac, dans des trucs d’assos. On faisait des films avec 2 000 €, personne n’était payé et je faisais tout moi-même. Puis j’arrive aux Beaux-Arts de Cergy, car j’ai été lamentablement refusé par la Fémis, et je tourne mon film de fin d’études, Je vous réserve tous mes baisers.
Quelle est la genèse des Reines du drame ?
Ma productrice Inès Daien Dasi a été la première à croire au film. On a cherché de l’argent, moins de 1,5 million, avec le CNC, une commission spéciale qui aide les films de genre. Les distributeurs et les vendeurs se sont engagés assez vite, mais aucune chaîne télé n’en a voulu, même si Arte s’est rattrapé. Dans le film, il y a mes amis, c’est ma bande à 80 %. Il y a Nana Benamer, Raya Martigny, Dustin Muchuvitz, Louiza Aura, Gio Ventura… On a tous mis un petit morceau de notre âme pour faire ce film.
Bilal, c’était évident ?
Plein de gens lui avaient déjà proposé des films, mais c’était toujours dealer le jour, drag queen la nuit, des trucs qui ne l’intéressait pas vraiment. Il est magnifique !
Combien de jours de tournage avez-vous eu ?
Très peu, cinq semaines, mais on a répété à peu près huit mois. Huit mois de répétition, un vrai moment d’apprentissage car certains comédiens n’avaient jamais noué…
Le film est une comédie musicale.
J’ai écrit deux chansons avec Carlotta, deux autres avec Yelle, et toutes les autres, c’est moi. La musique, c’est important. Il y a Rebeka Warrior, Yelle, Mona Soyoc de KaS Product et Pierre Desprat qui a fait le score. C’est vraiment un travail collectif.
Et Asia Argento ?
J’étais assez déçue parce que j’avais proposé le rôle à une grande chanteuse française des années 80 qui a décliné. Donc j’étais déprimée, et un ami m’a conseillée Asia Argento. Je lui ai fait passer des courts et on s’est croisé à la rétrospective de son père à la Cinémathèque. On a bu un café, elle a lu le scénario et c’était parti.
Vous vous sentez toujours comme un prolo au sein de ce business ?
C’est vraiment une industrie de bourgeois. Je suis moins précaire que je ne l’étais, mais j’ai toujours ce sentiment d’illégitimité qui est très fort, pour plein de raisons. Et puis, j’ai aussi une colère de voir que c’est toujours aux mêmes personnes que l’on donne des fonds et que les choses bougent très lentement. Mais si ce Les Reines du drame existe, cela signifie que les choses changent… Il faut vraiment militer fort pour que les personnes queer, et toutes les minorités, puissent faire leurs films.
Les Reines du drame
Sortie en salles le 27 novembre
Par Marc Godin