Déguisé en innocent masseur dans les publicités de nos grand-mères, le sextoy participe à l’émancipation de la femme depuis toujours. Et aujourd’hui, plus beau et plus sophistiqué que jamais, il nous permet de nous épanouir pleinement. Vive la prochaine révolution.
Il est 19 heures quand on s’attable autour de quatre pintes (et un café pour notre dry-januareuse) à la terrasse frigorifiée d’un café de l’Est parisien. Posé entre nous, et au centre de toutes nos attentions, il y a un petit emballage cadeau violet foncé. L’objet, pas plus gros qu’un mascara, vole la vedette au gros cendrier de verre. Nos cinq visages tournés vers lui expriment tantôt la curiosité, tantôt l’appétit, tantôt une sorte d’appréhension. « Vous êtes sûrs que ça se fait d’offrir un sextoy pour un anniversaire ? », lâche enfin le plus sceptique d’entre nous. J’échange un regard complice avec lui, avant de mettre un terme au débat naissant : « On ne va pas annuler maintenant de toute manière ». Pas après avoir écumé tous les magasins érotiques de la Rive droite pour mettre la main sur le Graal. Ce petit tube en plastique doux, de la taille d’un rouge à lèvre, dont l’embout creux délivre « le baiser ultime, mais en sans contact grâce à l’air pulsé », d’après la vendeuse survoltée qui nous a accueillis dans la chaleur de son établissement.
Mieux, je crois que ça se fait, en 2025, d’offrir un sextoy pour un anniversaire sans passer pour une lourdaude. Un quart des Français en ont (étude Statista, janvier 2025). L’omerta autour de ces petits objets est passée. Nos popstars préférées, Sabrina Carpenter, Ice Spice ou Lil Nas X parlent autant sur scène de plaisir féminin que de chagrin d’amour. Les sextoys se vendent dans les pharmacies chez nos voisins espagnols et le Musée des Arts Décoratifs expose une rangée de mirifiques godes en verre coloré dans le cadre de son exposition « L’Intime ». Enquête moite et sexy.
LE SEXTOY, OBJET POP
« Le sextoy est assez protéiforme, raconte Flore Cherry, journaliste en sexologie et tenancière d’un bar à plaisir (le Sweet Paradise, 2e). Ça peut être un canard, une vaginette, une poupée gonflable… Un concombre peut être un sextoy ». Dur, chaud ou mou et froid, le jouet sexuel n’a pas de forme ou de couleur fixe : c’est un concept en tant que tel, un objet physique qui nous apporte du plaisir. Tout comme nos flacons de parfums sont devenus des objets de décoration, les petits canards vibrants ornent à présent nos rebords de baignoire. « Le sextoy a gagné cette victoire d’être un objet du quotidien. C’est majoritairement accepté d’en avoir dans son sac, tout comme on va avoir une routine skin care ». À la direction artistique de la marque de produits de bien-être sexuel Satisfyer, on semble être d’accord avec l’analogie, au vu de la forme de leur dernier Pro 2 Kiss à l’apparence d’un … rouge à lèvres.
« LE SEXTOY A GAGNÉ CETTE VICTOIRE D’ÊTRE UN OBJET DU QUOTIDIEN… » – FLORE CHERRY,
Cet aspect ingénu cache une technologie tout juste développée par la marque allemande, au doux nom de « 3D Air Pulse ». L’embout du sextoy stimule le clitoris par ondes de pression négative, avec 30 options d’allure et d’intensité, le tout sans un bruit. Format mini et rechargeable en USB-C, l’objet est fait pour intégrer discrètement nos quotidiens. « Le statut des sextoy s’aligne avec celui de la santé mentale » souligne Manon Lugas. Depuis 6 ans, elle parle sexualité sur son compte instagram @leculnu, sur un ton léger et bienveillant. « Depuis 2020, et le confinement, ce sont des sujets qui ont pris de plus en plus de place. On se demande de plus en plus si on est bien avec soi-même, si notre plaisir dépend de quelqu’un. » Dans la continuité de ces nouveaux questionnements, la communication autour de la sextech a évolué. « On est sorti du schéma “sexy”, qui veut que tout soit bruyant, dégoulinant. Maintenant on parle plus simplement de se faire du bien, d’abord seul, puis à deux. »
POLITIQUE DU JOUET
« Les sextoys sont vraiment le miroir de ce qui se passe dans notre société, affirme Manon Lugas. Post Seconde Guerre mondiale, on a vu l’avènement du divertissement sexuel (avec les cinémas pornographiques sur les Champs-Élysées, ndlr), mais toujours dans un cadre hétérosexuel caricatural, où l’homme performe, et la femme jouit. » A-t-on réellement besoin de cette performance pour jouir ? Est ce que la femme jouit seule ? Ces questions étaient évacuées au profit d’un mythe viril. « Je crois que ce que le sextoy d’aujourd’hui annonce, c’est que les femmes sont aussi actives dans le plaisir, et que les hommes peuvent être un peu plus passif, pour leur bien. » Il valait le coup que cette binarité soit remise en question.
« Dans les années 1970, la plupart des dildos étaient de forme phallique. Parce qu’à l’époque, il était généralement accepté que c’était l’homme qui était actif dans le plaisir ». Désormais, les nouveaux brevets ont généralement abandonné cette forme pour d’autres innovations. Une vague portée par le stimulateur clitoridien Womanizer qui a inondé le marché en 2014. Moins de deux ans plus tard, Odile Fillod créait l’événement en imprimant le premier modèle 3D d’un clitoris scientifiquement correct, dédié à l’éducation. « On a compris que les dildos pouvaient évidemment faire du bien, mais que ça n’avait rien à voir avec cette nouvelle technologie-là, qui promet un orgasme presque immédiat ».
JOUIR JOUIR JOUIR
Camille Teste, réalisatrice du podcast Encore Heureux parle des sextoys comme d’un outil aux multiples facettes. « Pour certaines personnes, ça va être un facilitateur. » Dans une sexualité à plusieurs, il peut être à l’origine de nouvelles conversations (« Tu aimes quand je le pose là ? Pourquoi ? Etc.»). Il existe à présent une telle diversité de jouets que chacun peut y trouver son compte. Exemple parmi d’autres, les sextoys peuvent proposer des alternatives à la pénétration aux femmes atteintes de vaginisme, voire à en soulager les symptômes. De même, ils permettent à des personnes d’avoir une sexualité épanouie, malgré des traumatismes qui empêchent certains gestes. « Pour d’autres au contraire, ça peut être bloquant. Déjà, parce que pour utiliser un sextoy, il faut l’acheter. Pour des personnes qui ont grandi dans des familles où se faire plaisir est très stigmatisé, aller au magasin pour s’en procurer peut être paralysant. »
« Finalement, les sextoys, ça sert à jouir, et à jouir vite. » Le marché de la sextech (estimé mondialement à 44 milliards de dollars) capitalise sur le plaisir immédiat, avec son cycle de nouveautés, de brevets et de publicités. Le danger étant de ne jamais sortir du schéma de la sexualité performative. « Par conséquent, si on fait entrer les sextoys dans ses pratiques, il faut se demander pourquoi on le fait. Quels sont les enjeux sous-jacents. » Est-ce la peur de ne pas jouir qui nous pousse à nous introduire dans nos ébats ? Ou une autre forme de consommation frénétique ? « Il peut y avoir dans la sexualité quelque chose qui répare, une forme de tendresse qui peut nous faire dépasser certains traumas. Le sextoy devrait être un outil de ce plaisir. C’est tout. » En plus, Lady Gaga, toujours en avance sur son temps, déclarait à The Sun en 2009 « moi et mes vibros, on est heureux ». Et si Lady Gaga est heureuse, Technikart est heureux.
Par Adèle Thiery