Un monde où chacun peut effacer ses défauts sous la lame ou la seringue ? Voici le fantasme égalitaire que vend la chirurgie esthétique. Dans les faits : les uns se payent des liftings à 5000 dans des cliniques feutrées, pendant que d’autres s’endettent pour des opérations cheapouilles à la chaîne. Attention, lecteurs sensibles s’abstenir.
Légende photo : BELLE DE JOUR_ La marque de la makeup artist Isamaya Ffrench nous vend la beauté sans retenue (sa campagne 2025 ci-contre) et surtout, sans botox. Passez-donc le mot à nos amis fauchés de la Génération Bistouri…
« Meuf, un chirurgien m’a contactée sur snap, il me propose un BBL (Brazilian Butt Lift, ndlr) pour moins de 1500 euros, c’est donné, je le fais non ? » Voilà ce que me balance Célia, étudiante de 20 ans, obsédée, depuis ses 13 ans, par le corps des sœurs Kardashian. Elle enchaîne : « Ça te dit qu’on le fasse ensemble ? » Non, Célia, je n’ai pas 1500 euros a mettre dans une chirurgie pour les fesses, et à ce prix, je préfère me payer une Clio 2 ou un aller-retour à Antigua-et-Barbuda.
En France, la Sécurité sociale te remet sur pied si ton corps flanche, mais pour un nez corrigé ou des fesses gonflées, passe à la caisse. « Le corps est un marqueur social qui permet d’accéder à une classe supérieure, il reflète une ascension ou une appartenance. » Margaux Cassan, auteure du livre Ultra Violet (Grasset, 2024), explique que transformer son corps envoie un signal social : « La chirurgie esthétique, comme le bronzage, permet d’afficher son appartenance ou son aspiration à une classe plus élevée. » En 2023, l’IMCAS note que les 18-34 ans dominent le marché de l’esthétique, mais l’ISAPS précise que 73 % des patients viennent des classes moyennes supérieures ou aisées, gagnant plus de 3000 € mensuels. Les 20 % les plus pauvres, sous les 1200 €, ne pèsent que 5 % des actes officiels. Alors, avec 1500 balles, quelles sont vos options pour vous refaire une beauté ?
TRANSFORMATION AVEC VOL
Sur Instagram, des comptes comme @clinichub proposent des packages tout compris (BBL, rhinoplastie, etc.) avec séjour luxueux à Istanbul. On parle de « transformation avec vol et hôtel 5 étoiles » pour des prix attractifs, souvent entre 1500 et 3000 € selon les procédures, pendant que Sophie, 42 ans, cadre parisienne, investit 6800 € dans des implants mammaires à la Clinique des Champs-Élysées, avec un suivi irréprochable.
Le plan B ? Des injections clandestines à 200 € ou des vols low-cost vers Tunis, où une liposuccion coûte 1800 € contre 4500 € à Paris (Medical Travel Market). Amina, 27 ans, caissière à mi-temps en Seine-Saint-Denis, en sait quelque chose : en 2023, elle économise 1200 € pour une lipo via Esthetic Planet, trouvé sur Instagram. Résultat : une infection sévère, une opération d’urgence en France, son cas relayé sous #ChirurgieLowCost.
Les moins aisés ne sont pas hors jeu, mais ils jouent sur un terrain miné. Les réseaux sociaux leur agitent une perfection à prix cassés, et le réveil fait mal. En 2024, l’Ordre des médecins recense 128 signalements d’actes illégaux, contre 62 en 2022. À Marseille, Leila, sans diplôme, injecte de l’acide hyaluronique frelaté dans un salon clandestin ; trois femmes finissent aux urgences (on vous passe les détails). Margaux Cassan rappelle que « Baudrillard compare la peau aux biens matériels : pour les classes populaires, elle devient un instrument de prestige, comme une maison secondaire dont on soigne l’apparence pour afficher un certain statut. »
GÉNÉRATION BISTOURI
Le Dr Christophe Descouches, chirurgien marseillais et membre du SNCPRE, alerte : « On est passé de séquelles esthétiques, nécroses ou abcès, à des risques vitaux. Les fausses injectrices font désormais des liposuccions dans des appartements. Une infection ou une plaie vasculaire, et c’est fini. » Lucas, 19 ans, banlieue lyonnaise, fasciné par les corps bodybuildés de TikTok, a déboursé 300 € pour des injections dans une cave à Vénissieux. Décembre 2024 : une nécrose au bras, des photos crues sur X, et ce cri : « J’ai voulu être beau, j’ai failli y laisser ma main. » La loi d’octobre 2023 interdit aux influenceurs de promouvoir ces pratiques.
Faut-il donc vraiment autoriser la chirurgie aux pauvres. On rigole, mais la question claque comme un dilemme mal assumé. Si les options se résument à des opérations risquées (tourisme médical ou charlatans), les priver du bistouri limiterait les drames. « Notre société ne cherche pas à préserver le corps mais à l’optimiser, en exigeant un investissement émotionnel et financier dans l’apparence, via le sport, la cosmétique ou la chirurgie », analyse Margaux Cassan.
Il faut souffrir pour être belle – et beau. Dans une société où l’apparence dicte les règles, les plus démunis sont pris dans la nasse des standards. On parle d’une « génération bistouri » chez les 18-34 ans, souvent issus de milieux populaires, nourris aux filtres des réseaux sociaux. « Les standards esthétiques évoluent, mais ils ne deviennent pas plus tolérants : ils imposent simplement de nouvelles contraintes et attentes », rappelle Margaux Cassan. L’INSEE le confirme : les 20 % les plus pauvres consacrent 3 % de leur budget à l’apparence (coiffure, vêtements), contre 7 % chez les riches.
« Les réseaux ont un effet, mais il diminue. Les Kardashians et leurs fessiers ultra-injectés, c’est fini. On revient à des standards plus naturels », nuance le Dr Descouches. Malgré tout, « l’idée que la beauté a un prix persiste : l’acceptation sociale passe souvent par la souffrance et des efforts physiques ou financiers, conclut Margaux Cassan. L’enjeu n’est pas de correspondre à une norme, mais de pouvoir se regarder sans honte ni douleur ». Les riches en sortent indemnes. Mais le rêve de beauté devient un cauchemar quand le portefeuille ne suit pas. Réfléchissez à deux fois avant de vous séparer de votre nez grec…
Par Lina Bachierri