Au Musée Maillol, par la rétrospective d’une vie méconnue et d’une œuvre oubliée, s’incarnent le dévouement artistique et politique d’une génération avant-gardiste. Figuration ou abstraction, art politique ou non… Vous avez dit Nadia Léger ?
L’EXPO NADIA KHODOSSIEVITCH-LÉGER
« Lorsqu’on ne connaît pas son travail, on a tendance à n’y voir que l’influence de son mari, Fernand Léger. Cette exposition est là pour montrer aussi bien les similitudes avec celui-ci que son originalité profonde », présente Léa Rangé, une des commissaires de l’exposition. Cubisme, suprématisme et nouveau réalisme français… Avant que le fondateur de la maison d’édition Imav (Aymar du Chatenet) ne s’intéresse à elle et ne publie sa monographie (Nadia Léger – L’histoire extraordinaire d’une femme de l’ombre, 2019), l’œuvre de cette prolétaire de naissance dont l’épithète est « la Milliardaire Rouge » restait enfouie dans les limbes de l’histoire de l’art, en tant que « femme de », et « amie de ». Son œuvre, singulière, est pourtant un condensé de révolutions esthétiques et politiques.
(« Nadia Léger. Une femme d’avant-garde », au Musée Maillol, du 8 novembre 2024 au 23 mars 2025)
LÉGER, POWER COUPLE
Arrivée à Paris en 1925, elle se forme à l’atelier de Fernand Léger, qu’elle paie en travaillant dans une pension le matin, tout en élevant seule sa fille. Assistante, puis directrice de l’atelier, elle épouse Léger en 1952 (qui la représente ici). À sa mort, elle s’occupe de la promotion de son œuvre tout en poursuivant la sienne. « Nadia Léger n’était pas une muse. Ils travaillaient ensemble, avec la même ambition artistique – à la manière du couple Delaunay », ajoute Léa Rangé.
(Nadia, Fernand Léger, 1953)
ME MYSELF AND I…
Regard de défi, fierté assumée : à Paris, où l’avant-garde est plus masculine qu’ailleurs en Europe, Nadia Léger assoit son statut de femme artiste. Une ambition présente dès ses œuvres de jeunesse. Ici, elle reprend et détourne une commande faite par Maud Dale, une riche collectionneuse américaine, à Fernand Léger, en 1935. « Désormais, elle est elle aussi une femme riche et puissante ! », indique Léa Rangé.
(Autoportrait, Nadia Léger, 1948)
AVANT-GARDISME
Du quartier de Montparnasse à celui de Montmartre, Nadia Léger fréquente Pierre Cardin, Chagall, Picasso, Braque, Aragon et Elsa Triolet. Cette effervescence se ressent dans son œuvre, condensée d’expérimentations d’un demi-siècle qui révolutionne l’art, son modèle, ses idées, et interroge autant la figuration que l’abstraction. Cette œuvre de jeunesse s’inscrit dans l’héritage du suprématisme de Malevitch, sa première inspiration.
(Jeune fille suprématiste, Nadia Léger, vers 1921-1922)
SOCIALISME POP
Pour le Xe congrès du PCF après guerre (26 juin-1er juillet 1945), trônent, dans une salle bondée, d’immenses portraits de Maurice Thorez, Marcel Cachin… par Nadia Léger, et ses élèves de l’Atelier. Transfuge de classe qui hérite de la politique de l’art pour tous initiée par la Révolution bolchévique de 1917, l’œuvre de Nadia Léger participe de la propagande communiste. Si Fernand Léger glorifie le modernisme et préfigure le Pop Art, Nadia encense le travailleur, dans la veine de l’art social communiste.
(Les Constructeurs, Nadia Léger, 1953)
Par Alexis Lacourte